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l'Afrique & l'Espagne, arrêtoient l'Océan; & qu'auffi-tôt la Mer entra avec violence dans les Terres, & fit ce grand Golfe qu'on appelle la Méditerranée. Les Fables ne font point tout-à-fait des Fables; ce font des Hiftoires des temps reculés, mais qui ont été défigurées, ou par l'ignorance des Peuples, ou par l'amour qu'ils avoient pour le merveilleux, très-anciennes maladies des Hommes. Qu'Hercule ait féparé deux Montagnes avec les deux mains, cela n'eft pas trop croyable: mais que du temps de quelque Hercule, car il y en a cinquante, l'Océan ait enfoncé deux Montagnes plus foibles que les autres, peutêtre à l'aide de quelque tremblement de Terre, & le foit jetté entre l'Europe & l'Afrique, je le croirois fans beaucoup de peine. Ce fut alors une belle Tache que les Habitans de la Lune virent paroître tout-à-coup fur notre Terre; car vous favez, Madame, que les Mers font des Taches. Du moins l'opinion commune eft que la Sicile a été léparée de l'Italie, & Cypre de la Syrie; il s'eft quelquefois formé de nouvelles Ifles dans la Mer ; des tremblemens de Terre ont abymé des Montagnes, en ont fait naître d'autres, & ont changé je cours

des Rivières. Les Philofophes nous font craindre que le Royaume de Naples & la Sicile, qui font des Terres appuyées fur de grandes voûtes fouterreines remplies de foufre, ne fondent quelque jour, quand les voûtes ne feront plus affez fortes pour rélifter aux feux qu'elles renferment, & qu'elles exhalent préfentement par des foupiraux tels que le Véfuve & l'Etna. En voilà affez pour diverfifier un peu le Spectacle que nous donnons aux Gens de la Lune.

J'aimerois bien mieux, dit la Marquife, que nous les ennuyaffions enleur donnant toujours le même, que de les divertir par des Provinces aby

mées.

Cela ne feroit encore rien, repris-je, en comparaison de ce qui fe paffe dans Jupiter. Il paroît fur fa furface comme des bandes dont il feroit enveloppé & que l'on diftingue les unes des autres, ou des intervalles qui font entr'elles, par des différens degrés de clarté ou d'obfcurité. Ce font des Terres & des Mers, ou enfin de grandes parties de la furface de Jupiter, auffi différentes entr'elles. Tantôt ces bandes s'étréciffent, tantôt elles s'élargiffent; elles s'interrompent quelquefois, & fe réu

niffent enfuite; il s'en forme de nouvelles en divers endroits, & il s'en efface & tous ces changemens, qui ne font fenfibles qu'à nos meilleures Lunettes, font en eux-mêmes beaucoup plus confidérables, que fi notre Océan inondoit toute la Terre ferme, & laiffoit en fa place de nouveaux Continens. A moins que les Habitans de Jupiter ne foient Amphibies, & qu'ils ne vivent également fur la Terre & dans l'Eau, je ne fais pas trop bien ce qu'ils deviennent. On voit auffi fur la furface de Mars de grands changemens, & même d'un mois à l'autre. En auffi peu de temps, des Mers couvrent de grands Continents, ou se retirent par un flux & reflux infiniment plus violent que le nôtre; ou du moins c'eft quelque chofe d'équivalent. Notre Planète eft bien tranquille auprès de ces deux là, & nous avons grand fujet de nous en louer, & encore plus s'il eft vrai qu'il y ait eu dans Jupiter des Pays grands comme toute l'Europe embrafés. Embrafés s'écria la Marquife. Vraiment ce feroit-là une nouvelle confidérable! Très considérable, répondis - je. On a vu dans Jupiter, il y a peut-être vingt ans, une longue lumière plus éclatante

que

le refte de la Planète. Nous avons eu ici des Déluges, mais rarement; peut-être que dans Jupiter ils ont rarement auffi de grands Incendies, fans préjudice des Déluges qui y font communs. Mais quoi qu'il en foit, cette lumière de Jupiter n'eft nullement comparable à une autre, qui, felon les apparences, eft auffi ancienne que le Monde, & que l'on n'avoit pourtant jamais vue. Comment une lumière faitelle pour fe cacher, dit-elle ? il faut pour cela une adreffe fingulière.

Celle-là, repris-je, ne paroît que dans le temps des Crépufcules, de forte que le plus fouvent ils font affez longs & affez forts pour la couvrir; & que quand ils peuvent la laiffer paroître, ou les vapeurs de l'horifon la dérobent, ou elle eft fi peu fenfible, qu'à moins que d'être fort exact, on la prend pour les Crépuscules mêmes. Mais enfin depuis trente ans on l'a démêlée fûrement, & elle a fait quelque temps les délices des Aftronomes, dont la curiofité avoit befoin d'être réveillée par quelque chofe d'une espèce nouvelle. Ils euffent eu beau découvrir de nouvelles Planètes fubalternes, ils n'en étoient presque plus touchés, Les deux dernières Lunes

de

de Saturne, par exemple, ne les ont pas charmés ni ravis, comme avoient fait les Satellites ou les Lunes de Jupiter; on s'accoutume à tout. On voit donc un mois devant & après l'Equinoxe de Mars, lorfque le Soleil eft couché & le Crépuscule fini, une certaine lumière blanchâtre qui reffemble à une queue de Comète. On la voit avant le lever du Soleil & avant le Crépuscule vers l'Equinoxe de Septembre, & on la voit foir & matin vers le Solstice d'Hiver. Hors de là elle ne peut, comme je viens de vous dire, fe dégager des Crépuscules, qui ont trop de force & de durée; car on fuppofe qu'elle fubfifte toujours, & l'apparence y eft toute entière. On commence à conjecturer qu'elle eft produite par quelque grand amas de matière un peu épaiffe qui environne le Soleil jufqu'à une certaine étendue. La plupart de fes rayons percent cette enceinte, & viennent à nous en ligne droite; mais il y en a qui allant donner contre la furface intérieure de cette matière, en font renvoyés vers nous, & y arrivent lorfque les rayons directs, ou ne peuvent pas encore y arriver le matin, ou ne peuvent plus y arriver le foir. Comme ces Tome II, Q

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