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dont chacune porte un autre Tourbillon. Ces faces font fort inégales; ici elles font plus grandes, là plus petites. Les plus petites de notre Tourbillon, par exemple, répondent à la Voie de Lait, & foutiennent tous ces petits Mondes. Que deux Tourbillons qui font appuyés fur deux faces voifines laiffent quelque vuide entr'eux par enbas, comme cela doit arriver très-fouvent, auffi-tôt la Nature qui ménage bien le terrein, vous remplit ce vuide par un petit Tourbillon ou deux, peutêtre par mille qui n'incommodent point les autres, & ne laiffent pas d'etre un, ou deux, ou mille Mondes de plus. Ainfi, nous pouvons voir beaucoup plus de Mondes que notre Tourbillon n'a de faces pour en porter. Je gagerois que quoique ces petits Mondes n'aient été faits que pour être jettés dans des coins de l'Univers qui fussent demeurés inutiles, quoiqu'ils foient inconnus aux autres Mondes qui les touchent, ils ne laiffent pas d'être fort contens d'eux-mêmes. Ce font eux fans doute dont on ne découvre les petits Soleils qu'avec des Lunettes d'approche, & qui font en une quantité fi prodigieufe. Enfin tous ces Tourbillons

s'ajuftent les uns avec les autres le mieux qu'il eft poffible ; & comme il faut que chacun tourne autour de fon Soleil fans changer de place, chacun prend la manière de tourner qui eft la plus commode & la plus aifée dans la fituation où il eft. Ils s'engrènent en quelque façon les uns dans les autrès comme les roues d'une Montre, & aident mutuellement leurs mouvemens. Il eft pourtant vrai qu'ils agiffent auffi les uns contre les autres. Chaque Monde à ce qu'on dit, eft comme un ballon qui s'étendroit fi on le laiffoit faire; mais il eft auffi tôt repouffé par les Mondes voifins, & il rentre en luimême, après quoi il recommence à s'enfler, & ainfi de fuite: & quelques Philofophes prétendent que les Etoiles fixes ne nous envoient cette lumière tremblante, & ne paroiffent briller à reprises, que parce que leurs Tourbillons pouffent perpétuellement le nôtre, & en font perpétuellement repouffés.

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J'aime fort toutes ces idées-là, dit la Marquife. J'aime ces ballons qui s'enflent & fe défenflent à chaque moment, & ces Mondes qui fe combattent toujours; & fur tout j'aime à voir comment ce combat fait entr'eux un

commerce de lumière, qui apparemment eft le feul qu'ils puiffent avoir.

Non, non, repris-je, ce n'eft pas le feul. Les Mondes voifins nous envoient quelquefois vifiter & même affez magnifiquement. Il nous en vient des Comètes qui font ornées ou d'une chevelure éclatante, ou d'une barbe vénérable, ou d'une queue majeftueule.

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Ah! quels Députés, dit-elle en riant! On fe pafferoit bien de leur vifite, elle ne fert qu'à faire peur. Ils ne font peur qu'aux enfans, repliquai-je, à caufe de leur équipage extraordinaire; mais les enfans font en grand nombre. Les Comètes ne font que des Planètes qui appartiennent à un Tourbillon voifin. Elles avoient leur mouvement vers fes extrémités; mais ce Tourbillon étant peut-être différemment preffé par ceux qui l'environnent, eft plus rond par enhaut, & plus plat par en-bas, & c'est par en-bas qu'il nous regarde. Ces Planètes qui auront commencé vers le haut à fe mouvoir en cercle, ne prévoyoient pas qu'en bas le Tourbillon leur manqueroit, parce qu'il eft là comme écrafé; & pour continuer leur mouvement circulaire, il faut néceffai

rement qu'elles entrent dans un autre Tourbillon, que je fuppofe qui eft le nôtre, & qu'elles en occupent les extrémités. Auffi font-elles toujours fort élevées à notre égard; on peut croire qu'elles marchent au-deffus de Saturne. Il eft néceffaire, vu la prodigienfe diftance des Etoiles fixes, que depuis Saturne jufqu'aux extrémités de notre Tourbillon, il y ait un grand efpace vuide & fans Planètes. Nos ennemis nous reprochent l'inutilité de ce grand efpace. Qu'ils ne s'inquiètent plus, nous en avons trouvé l'ufage; c'eft l'appartement des Planètes étrangères qui entrent dans notre Monde.

J'entends, dit-elle. Nous ne leur permettons pas d'entrer jufques dans le cœur de notre Tourbillon, & de fe mêler avec nos Planètes; nous les recevons comme le Grand Seigneur reçoit les Ambaffadeurs qu'on lui envoie. Il ne leur fait pas l'honneur de les loger à Conftantinople, mais feulement dans un Fauxbourg de la Ville. Nous avons encore cela de commun avec les Ottomans, repris-je, qu'ils reçoivent des Ambaffadeurs fans en renvoyer, & que nous ne renvoyons point de nos Planètes aux Mondes voisins.

A en juger par toutes ces chofes, repliqua-t-elle, nous fommes bien fiers. Cependant je ne fais pas trop encore ce que j'en dois croire. Ces Planètes étrangères ont un air bien menaçant avec leurs queues & leurs barbes, & peut-être on nous les envoie pour nous infulter; au lieu que les nôtres, qui ne font pas faites de la même manière, ne feroient pas fi propres à fe faire craindre quand elles iroient dans les autres Mondes.

Les queues & les barbes, répondisje, ne font que de pures apparences. Les Planètes étrangères ne diffèrent en rien des nôtres ; mais en entrant dans notre Tourbillon, elles prennent la queue ou la barbe par une certaine forte d'illumination qu'elles reçoivent du Soleil, & qui entre nous n'a pas encore été trop bien expliquée: mais toujours on eft fûr qu'il ne s'agit que d'une efpèce d'illumination; on la devinera quand on pourra. Je voudrois donc bien, reprit-elle, que notre Saturne allât prendre une queue ou une barbe dans quelqu'autre Tourbillon

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& y répandre l'effroi ; & qu'enfuite ayant mis bas cet accompagnement terrible, il revînt fe ranger içi avec les autres

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