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n'en eft tombé en partage qu'aux Planètes éloignées du Soleil, à la Terre, à Jupiter, à Saturne; car ce n'étoit pas la peine d'en donner à Vénus & à Mercure, qui ne reçoivent que trop de lumière, dont les nuits font fort courtes, & qui les comptent apparemment pour de plus grands bienfaits de la Nature que leurs jours mêmes. Mais attendez; il me femble que Mars, qui eft encore plus éloigné du Soleil que la Terre, n'a point de Lune. On ne peut pas vous le diffimuler, répondis je; il n'en a point, & il faut qu'il ait pour les nuits des relfources que nous ne favons pas. Vous avez vu des phofphores de ces matières liquides ou sèches, qui, en recevant la lumière du Soleil, s'en imbibent & s'en pénètrent, & enfuite jettent un affez grand éclat dans l'obscurité. Peut-être Mars a-t-il de grands rochers fort élevés, qui font des phofphores naturels, & qui prennent pendant le jour une provifion de lumière qu'ils rendent pendant la nuit. Vous ne fauriez nier que ce ne fût un spectacle affez agréable de voir tous ces rochers s'allumer de toutes parts, dès que le Soleil feroit couché, & faire, fans aucun Art, des illuminations magnifiques, qui ne pourroient

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incommoder par leur chaleur. Vous favez encore qu'il y a en Amérique des Oifeaux qui font fi lumineux dans les ténèbres, qu'on s'en peut fervir pour lire. Que favons-nous fi Mars n'a point un grand nombre de ces Oifeaux, qui, dès que la nuit eft venue, fe difperfent de tous côtés, & vont répandre un nouveau jour?

Je ne me contente, reprit-elle, ni de vos rochers, ni de vos Oifeaux. Cela ne laifferoit pas d'être joli: mais puifque la Nature a donné tant de Lunes à Saturne & à Jupiter, c'eft une marque qu'il faut des Lunes. J'euffe été bien aife que tous les Mondes éloignés du Soleil en euffent eu, fi Mars ne nous fût point venu faire une exception défagréable. Ah! vraiment, repliquai – je, fi vous vous mêliez de Philofophie plus que vous ne faites, il faudroit bien que vous vous accoutumaffiez à voir des exceptions dans les meilleurs Syftêmes. Il y a toujours quelque chofe qui y convient le plus jufte du monde, & puis quelque chofe auffi qu'on y fait convenir comme on peut ou qu'on laiffe-là, fi on défefpère d'en pouvoir venir à bout. Ufons en de même pour Mars, puifqu'il ne nous eft point favo

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rable, & ne parlons point de lui. Nous ferions bien étonnés, fi nous étions dans Saturne, de voir fur nos têtes pendant la nuit ce grand Anneau qui iroit en forme de demi-cercle d'un bout à l'autre de l'Horifon, & qui nous renvoyant la lumière du Soleil, feroit l'effet d'une Lune continue. Et ne mettronsnous point d'Habitans dans ce grand Anneau interrompit elle en riant? Quoique je fois d'humeur, répondis-je, en envoyer par-tout affez hardiment, je vous avoue que je n'oferois en mettre là; cet anneau me paroît une habitation trop irrégulière. Pour les cinq petites Lunes, on ne peut pas fe dif penfer de les peupler. Si cependant l'Anneau n'étoit, comme quelques-uns le foupçonnent, qu'un Cercle de Lunes qui fe fuiviffent de fort près, & eussent un mouvement égal, & que les cinq petites Lunes fuffent cinq échappées de ce grand Cercle, que de mondes dans le tourbillon de Saturne! Quoi qu'il en foit, les Gens de Saturne font affez miférables, même avec le secours de l'Anneau. Il leur donne la lumière; mais quelle lumière dans l'éloignement où il eft du Soleil ! Le Soleil même qu'ils voient cent fois plus petit que

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nous ne le voyons, n'eft n'est pour eux qu'une petite Etoile blanche & pâle, qui n'a qu'un éclat & une chaleur bien foible; & fi vous les mettiez dans nos Pays les plus froids, dans la Groënlande, ou dans la Laponie, vous les verriez fuer à groffes gouttes, & expirer de chaud. S'ils avoient de l'eau, ce ne feroit point de l'eau pour eux, mais une pierre polie, un marbre ; & l'efpritde-vin qui ne gèle jamais ici, feroit dur comme nos diamans.

Vous me donnez une idée de Saturne qui me glace, dit la Marquife, au lieu que tantôt vous m'échauffiez en me parlant de Mercure. Il faut bien, repliquai-je, que les deux Mondes qui font aux extrémités de ce grand Tourbillon, foient oppofés en toutes choses.

Ainfi, reprit-elle, on eft bien fage dans Saturne; car vous m'avez dit que tout le monde étoit fou dans Mercure. Si on n'eft pas bien fage dans Saturne, repris-je, du moins, felon toutes les apparences, on y eft bien flegmatique. Ce font des gens qui ne favent ce que c'eft que de rire, qui prennent toujours un jour pour répondre à la moindre queftion qu'on leur fait, & qui euffent trouvé Caton d'Utique trop badin & trop folâtre.

Il me vient une penfée, dit-elle. Tous les Habitans de Mercure font vifs, tous ceux de Saturne font lents. Parmi nous, les uns font vifs, les autres lents: cela ne viendroit-il point de ce que notre Terre étant juftement au milieu des autres Mondes, nous participons des extrémités? Il n'y a point pour les Hommes de caractère fixe & déterminé; les uns font faits comme les Habitans de Mercure, les autres comme ceux de Saturne, & nous fommes un mélange de toutes les espèces qui fe trouvent dans les autres Planètes. J'aime affez cette idée, repris-je: nous formons un affemblage fi bizarre, qu'on pourroit croire que nous ferions ramaflés de plufieurs Mondes différens. A ce compte, il eft affez commode d'être ici: on y voit tous les autres Mondes en abrégé.

Du moins, reprit la Marquife, une commodité fort réelle qu'a notre Monde par fa fituation, c'est qu'il n'eft ni si chaud que celui de Mercure ou de Vénus, ni fi froid que celui de Jupiter ou de Saturne. De plus, nous fommes justement dans un endroit de la Terre où nous ne fentons l'excès ni du chaud ni du froid. En vérité, fi un certain Philofophe rendoit grace à la Nature

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