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lièvre traversoit fon chemin, TichoBrahé croyoit que la journée devoit être malheureuse, & retournoit promp tement fe renfermer chez lui, fans ofer commencer la moindre chofe.

Il ne feroit pas jufte, reprit-elle, après que cet homme-là n'a pu fe délivrer impunément de la crainte desEclipfes, que les Habitans de cette Lune de Jupiter, dont nous parlions, en fuffent quittes à meilleur marché. Nous ne leur ferons pas de quartier: ils fubiront la Loi commune ; & s'ils font exempts d'une erreur, ils donneront dans quelqu'autre ; mais comme je ne me pique pas de la pouvoir devi ner, éclairciflez-moi, je vous prie une autre difficulté qui m'occupe depuis quelques momens. Si la Terre eft fi petite à l'égard de Jupiter, Jupiter nous voit-il? Je crains que nous ne lui foyions.

inconnus.

De bonne foi, je crois que cela eft ainfi, répondisje. Il faudroit qu'il vît la Terre cent fois plus petite que nous ne le voyons. C'est trop peu; il ne la voit point. Voici feulement ce que nous pouvons croire de meilleur pour nous. Il y aura dans Jupiter des Aftronomes, qui, après avoir bien pris de la

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peine à compofer des Lunettes excellentes, après avoir choifi les plus belles nuits pour obferver auront enfin découvert dans les Cieux une très-petite Planète qu'ils n'avoient jamais vue. D'abord le Journal des Savans de ce Pays-là en parle; le Peuple de Jupiter, ou n'en entend point parler, ou n'en fait que rire; les Philofophes, dont cela détruit les opinions, forment le dessein de n'en rien croire; il n'y a que les Gens très-raifonnables qui en veulent bien douter. On obferve encore: on revoit la petite Planète ; on s'affure bien que ce n'eft point une vifion; on commence même à foupçonner qu'elle a un mouvement autour du Soleil: on trouve au bout de mille obfervations que ce mouvement eft d'une année; & enfin, grace à toutes les peines que fe donnent les Savans, on fait dans Jupiter que notre Terre eft au monde. Les Curieux vont la voir au bout d'une Lunette, & la vue à peine peut-elle encore l'attraper.

Si ce n'étoit, dit la Marquife, qu'il n'eft point trop agréable de favoir qu'on ne nous peut découvrir de dedans Jupiter qu'avec des Lunettes d'approche, je me représenterois avec plaifir ces

Lunettes de Jupiter dreffées vers nous, comme les nôtres le font vers lui, & cette curiofité mutuelle avec laquelle les Planètes s'entre-confidèrent, & demandent l'une de l'autre : Quel Monde eft-ce là? quels Gens l'habitent?

Cela ne va pas fi vite que vous penfez, repliquai-je. Quand on verroit notre Terre de dedans Jupiter, quand on l'y connoîtroit, notre Terre ce n'eit pas nous on n'a pas le moindre foupçon qu'elle puiffe être habitée. Si quelqu'un vient à fe l'imaginer, Dieu fait comme tout Jupiter fe moque de lui. Peut-être même fommes-nous caufe qu'on y a fait le procès à des Philofophes qui ont voulu foutenir que nous étions. Cependant, je croirois plus volontiers que les Habitans de Jupiter font affez occupés à faire des découvertes fur leur Planète, pour ne fonger point du tout à nous. Elle eft fi grande, que s'ils navigent, affurément leurs Chriftophe Colomb ne fauroient manquer d'emploi. Il faut que les Peuples de ce Monde là ne connoiffent pas feulement de réputation la centième partie des autres Peuples; au lieu que dans Mercure, qui eft fort petit, ils font tous voifins les uns des autres; ils vivent familièrement ensemble,

& ne comptent que pour une promenade de faire le tour de leur Monde. Si on ne nous voit point dans Jupiter, vous jugez bien qu'on y voit encore moins Vénus, qui eft plus éloignée de lui, & encore moins Mercure, qui eft & plus petit & plus éloigné. En récompenfe, fes Habitans voient leurs quatre Lunes, & Saturne avec les fiennes, & Mars. Voilà affez de Planètes pour em. barraffer ceux d'entr'eux qui font Aftronomes ; la Nature a eu la bonté de leur cacher ce qui en refte dans l'Uni

vers.

Quoi, dit la Marquife, vous comp tez cela pour une grace? Sans doute, répondis-je: il y a dans tout ce grand Tourbillon feize Planètes. La Nature, qui veut nous épargner la peine d'étudier tous leurs mouvemens, ne nous en montre que fept: n'eft-ce pas là une affez grande faveur? Mais nous qui n'en fentons pas le prix, nous faifons fi bien, que nous attrapons les neuf autres qui avoient été cachées; auffi en fommesnous punis par les grands travaux que l'Aftronomie demande préfentement.

Je vois, reprit-elle, par ce nombre de feize Planètes, qu'il faut que Saturne ait cinq Lunes. Il les a auffi, repli

quai-je ; & avec d'autant plus de juftice; que comme il tourne en trente ans autour du Soleil, il a des pays où la nuit dure quinze ans, par la même raison que fur la Terre qui tourne en un an, il y a des nuits de fix mois fous les Poles. Mais Saturne étant deux fois plus éloigné du Soleil que Jupiter, & par conféquent dix fois plus que nous, fes cinq Lunes fi foiblement éclairées lui donneroientelles affez de lumière pendant fes nuits? Non, il a encore une reffource fingulière & unique dans tout l'Univers connu. C'eft un grand Cercle & un grand Anneau affez large qui l'environne, & qui étant affez élevé pour être prefque entièrement hors de l'ombre du corps de cette Planète, réfléchit la lumière du Soleil dans des lieux qui ne le voient point, & la réfléchit de plus près, & avec plus de force que toutes les cinq Lunes, parce qu'il eft moins élevé que la plus baflè.

En vérité, dit la Marquife, de l'air d'une perfonne qui rentroit en ellemême avec étonnement, tout cela eft d'un grand ordre; il paroît bien que la Nature a eu en vue les befoins de quelques Etres vivans, & que la diftribution des Lunes n'a pas été faite au hafard. Il

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