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vous dites qu'eft la matière célefte, elle de vroit agiter les Planètes irrégulièrement, tantôt les approcher, tantôt les éloigner les unes des autres. Nous pourrions auffitôt y gagner qu'y perdre, répondis-je; peut-être irions-nous foumettre à notre domination Mercure ou Mars, qui font de plus petites Planètes, & qui ne nous pourroient réfifter. Mais nous n'avons rien à espérer, ni à craindre; les Planètes fe tiennent où elles font, & les nouvelles conquêtes leur font défendues, comme elles l'étoient autrefois aux Rois, de la Chine. Vous favez bien que quand on met de l'huile avec de l'eau, l'huile furnage. Qu'on mette fur ces deux liqueurs un corps extrêmement léger, l'huile le foutiendra, & iln'ira pas jusqu'à l'eau. Qu'on y mette un autre corps plus pefant, & qui foit justement d'une certaine pefanteur, il paffera au travers de l'huile, qui fera trop foible pour l'arrêter, & tombera, jufqu'à ce qu'il rencontre l'eau qui aura la force de le foutenir. Ainfi, dans cette liqueur, compofée de deux liqueurs qui ne fe mêlent point, deux corps inégalement pefans fe mettent à deux places différentes, &. jamais l'un ne montera, ni l'autre ne defcendra. Qu'on mette encore d'autres.

Tome 11.

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liqueurs qui fe tiennent féparées, & qu'on y plonge d'autres corps, il arrivera la même chofe. Repréfentez-vous que la matière célefte qui remplit ce grand Tourbillon, a différentes couches qui s'enveloppent les unes les autres, & dont les pefanteurs font différentes, comme celles de l'huile & de l'eau, & des autres liqueurs. Les Planètes ont auffi différentes pefanteurs ; chacune d'elles par conféquent s'arrête dans la couche qui a précifément la force néceffaire pour la foutenir, & qui lui fait équilibre, & vous voyez bien qu'il n'eft pas poffible qu'elle en forte jamais.

Je conçois, dit la Marquife, que ces pefanteurs-là règlent fort bien les rangs. Plût à Dieu qu'il y eût quelque chofe de pareil qui les réglât parmi nous, & qui fixât les gens dans les places qui leur font naturellement convenables! Me voilà fort en repos du côté de Jupiter. Je fuis bien-aise qu'il nous laiffe dans notre petit Tourbillon avec notre Lune unique. Je fuis d'humeur à me borner aisément, & je ne lui envie point les quatre qu'il a.

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Vous auriez tort de les lui envier, repris-je; il n'en a point plus qu'il ne

lui en faut. Il eft cinq fois plus éloigné du Soleil que nous, c'eft à-dire, qu'il en eft à cent foixante-cinq millions de lieues, & par conféquent fes Lunes ne reçoivent & ne lui renvoient qu'une lumiere affez foible. Le nombre fupplée au peu d'effet de chacune. Sans cela comme Jupiter tourne fur lui-même en dix heures & que fes nuits qui n'en durent que cinq, font fort courtes, quatre Lunes ne paroîtroient pas fi néceffaires. Celle qui eft la plus proche de Jupiter fait fon cercle autour de lui en quarante-deux heures la feconde en trois jours & demi, la troisième en sept, la quatrième en dix-fept, & par l'inégalité même de leurs cours elles s'accordent à lui donner les plus jolis fpectacles du monde. Tantôt elles fe lèvent toutes quatre enfemble, & puis fe féparent prefque dans le moment; tantôt elles font toutes à leur Midi rangées l'une au-deffus de l'autre ; tantôt on les voit toutes quatre dans le Ciel à des diftances égales; tantôt, quand deux fe lèvent, deux autres fe couchent: fur-tout j'aimerois à voir ce jeu perpétuel d'Eclipfes qu'elles font; car il ne fe paffe point de jour qu'elles ne s'éclipfent les unes les autres, ou qu'elles

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n'éclipfent le Soleil; & affurément les Eclipfes s'étant rendues fi familières en ce monde-là, elles y font un fujet de divertiffement, & non pas de frayeur, comme en celui-ci.

Et vous ne manquerez pas, dit la Marquife, à faire habiter ces quatre Lunes, quoique ce ne foient que de petites Planètes fubalternes, deftinées feulement à en éclairer une autre pendant fes nuits? N'en doutez nullement, répondis-je; ces Planètes n'en font pas moins dignes d'être habitées, pour avoir le malheur d'être affervies à tourner autour d'une autre plus importante.

Je voudrois donc, reprit-elle, que les Habitans des quatre Lunes de Jupiter fuffent comme des Colonies de Jupiter; qu'elles euffent reçu de lui, s'il étoit poffible, leurs Loix & leurs Coutumes; que par conféquent elles lui rendiffent quelque forte d'hommage & ne regardaffent la grande Planète qu'avec refpect. Ne faudroit-il point auffi, lui disje, que les quatre Lunes envoyaflent de temps en temps des Députés dans Jupiter, pour lui prêter ferment de fidélité? Pour moi, je vous avoue que le peu de fupériorité que nous avons fur les Gens de notre Lune,

me fait douter que Jupiter en ait beaucoup fur les Habitans des fiennes, & je crois que l'avantage auquel il puiffe le plus raisonnablement prétendre, c'est de leur faire peur. Par exemple, dans celle qui eft la plus proche de lui, ils le voient feize cents fois plus grand que notre Lune ne nous paroît. Quelle monftrueuse Planète fufpendue fur leurs têtes! En vérité, fi les Gaulois craignoient anciennement que le Ciel ne tombât fur eux, & ne les écrasât, les Habitans de cette Lune auroient bien plus de fujet de craindre une chûte de Jupiter. C'eft peut être là auffi la frayeur qu'ils ont, dit-elle, au lieu de celle des Eclipfes dont vous m'avez affuré qu'ils font exempts, & qu'il faut bien remplacer par quelqu'autre fottife. Il le faut de néceffité abfolue, répondis-je. L'inventeur du troifième Systême dont je vous parlois l'autre jour, le célèbre Ticho-Brahé, un des plus grands Aftronomes qui furent jamais, n'avoit garde de craindre les Eclipfes, comme le vulgaire les craint; il paffoit fa vie avec elles. Mais croiriez-vous bien ce qu'il craignoit en leur place? Si en fortant de fon logis, la première perfonne qu'il rencontroit étoit une vieille, fi un

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