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QUATRIEME SOIR.

Particularités des Mondes de Vénus, de Mercure, de Mars, de Jupiter & de Saturne.

LES fonges ne furent point heureux; ils reprélentèrent toujours quelque chofe qui reflembloit à ce que l'on voit ici. J'eus lieu de reprocher à la. Marquife ce que nous reprochent, à la vue de nos tableaux, de certains Peuples, qui ne font jamais que des peintures bizarres & grotefques. Bon! nous difent-ils, cela est tout fait comme des hommes; il n'y a pas là dimagination. Il fallut donc fe réfoudre à ignorer les figures des Habitans de toutes ces Planètes, & fe contenter d'en deviner ce que nous pourrions, en continuant le Voyage des Mondes que nous avions commencé. Nous en étions à Vénus. On eft bien fúr, dis-je à la Marquile, que Vénus tourne fur ellemême; mais on ne fait pas bien en quel temps, ni par conféquent combien fes jours durent. Pour fes années, elles ne

font que de près de huit mois, puif qu'elle tourne en ce temps-là autour du Soleil. Elle eft grofle comme la Terre, & par conféquent la Terse paroît à Vénus de la même grandeur dont Vénus nous paroît. J'en fus bien aife, dit la Marquife; la Terre pourra être pour Vénus l'Etoile du Berger & la mère des Amours, comme Vénus l'eft pour nous. Ces noms-là ne peuvent convenir qu'à une petite Planète qui foit jolie, claire, brillante, & qui ait un air galant. J'en conviens, répondis-je; mais favez-vous ce qui rend Vénus fi jolie de loin? c'estqu'elle eft fort affreute de près. On a vu avec les lunettes d'approche que ce n'étoit qu'un amas de montagnes beaucoup plus hautes que les nôtres, fort pointues, & apparemment fort fèches; & par cette difpofition, la surface d'une Planète eft la plus propre qu'il fe puisse à renvoyer la lumière avec beaucoup d'éclat & de vivacité. Notre Terre, dont la furface eft fort unie auprès de celle de Vénus, & en partie couverte de mers, pourroit bien n'être pas fi agréable à voir de loin. Tant pis, dit la Marquife, car ce fercit affurément un avantage & un agrément pour elle que de préfider aux amours des Habitans de

Vénus; ces Gens-là doivent bien enten dre la galanterie. Oh! fans doute, répondis-je, le menu Peuple de Vénus n'eft compofé que de Céladons & de Silvandres, & leurs converfations les plus communes valent les plus belles de Clélie. Le climat eft très-favorable aux Amours. Vénus eft plus proche que nous du Soleil, & en reçoit une lumière plus vive & plus de chaleur. Elle est àpeu près aux deux tiers de la distance du Soleil à la Terre.

Je vois préfentement, interrompit la Marquife, comment font faits les Habitans de Vénus: ils reffemblent aux Mores Grenadins, un petit Peuple noir, brûlé du Soleil, plein d'efprit & de feu, toujours amoureux, faifant des Vers " aimant la Mufique, inventant tous les jours des Fêtes, des Daníes & des Tournois. Permettez-moi de vous dire, Madame, repliquai je, que vous ne connoiffez guère bien les Habitans de Vénus. Nos Mores Grenadins n'auroient été auprès d'eux que des Lapons & des Groënlandois pour la froideur & pour la ftupidité.

Mais que fera-ce des Habitans de Mercure? Ils font plus de deux fois plus proche du Soleil que nous. Il faut qu'ils

foient foux à force de vivacité. Je crois qu'ils n'ont point de mémoire, non plus que la plupart des Nègres; qu'ils ne font jamais de réflexion fur rien; qu'ils n'agiffent qu'à l'aventure, & par des mouvemens fubits, & qu'enfin c'eft dans Mercure que font les Petites-Maifons de l'Univers. Ils voient le Soleil neuf fois plus grand que nous ne le voyons; il leur envoie une lumière fi forte, que s'ils étoient ici, ils ne prendroient nos plus beaux jours que pour de très-foibles crépufcules, & peut-être n'y pourroient ils pas diftinguer les objets; & la chaleur à laquelle ils font accoutumés eft fi exceffive, que celle qu'il fait ici au fond de l'Afrique les glaceroit. Apparemment notre fer, no. tre argent, notre or fe fondroient chez eux, & on ne les y verroit qu'en liqueur, comme on ne voit ici ordinairement l'eau qu'en liqueur, quoiqu'en de certains temps ce foit un Corps fort folide. Les Gens de Mercure ne foupçonneroient pas que dans un autre Monde ces liqueurs-là, qui font peutêtre leurs rivières, font des Corps des plus durs que l'on connoiffe. Leur année n'eft que de trois mois. La durée de leur jour ne nous eft point connue,

parce que Mercure eft fi petit & fi pro che du Soleil, dans les rayons duquel il eft prefque toujours perdu, qu'il échappe à toute l'adreffe des Aftronomes, & qu'on n'a pu encore avoir affez de prife fur lui, pour obferver le mouvement qu'il doit avoir fur fon centre: mais ces Ha bitans ont befoin qu'il achève ce tour en peu de temps; car apparemment, brûlés comme ils font par un grand poële ardent fufpendu fur leurs têtes, ils foupirent après la nuit. Ils font éclairés pendant ce temps-là de Vénus & de la Terre, qui leur doivent paroître affez grandes. Pour les autres Planètes comme elles font au-delà de la Terre, vers le Firmament, ils les voient plus petites que nous ne les voyons, & n'en reçoivent que bien peu de lumière.

Je ne fuis pas fi touchée, dit la Marquife, de cette perte là que font les Habitans de Mercure, que de l'incommodité qu'ils reçoivent de l'excès de la chaleur. Je voudrois bien que nous les foulageaffions un peu. Donnons à Mercure de longues & d'abondantes pluies qui le rafraîchiffent, comme on dit qu'il en tombe ici dans les Pays chauds pendant des quatre mois entiers, juftement dans les faifons les plus chaudes.

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