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KD 42477

HARVARD UNIVERSITY LIBRARY

DE LA PREMIÈRE ÉDITION

DU GÉNIE DU CHRISTIANISME.

Je donne aujourd'hui au public le fruit d'un travail de plusieurs années; et comme le Génie du Christianisme contient d'anciennes observations que j'avais faites sur la littérature, et une grande partie de mes recherches sur l'histoire naturelle et sur les mœurs des Sauvages de l'Amérique, je puis dire que ce livre est le résultat des études de toute ma vie.

J'étais encore dans les pays étrangers lorsque je livrai à la presse le premier volume de mon ouvrage. Cette édition fut interrompue par mon retour en France, mois de mai 1800.

au

Je me déterminai à recommencer l'impression à Paris, et à refondre le sujet en entier d'après les nouvelles idées que mon

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changement de position me fit naître : on ne peut écrire avec mesure que dans sa patrie.

Deux volumes de cette seconde édition étaient déjà imprimés, lorsqu'un accident me força de publier séparément l'épisode d'Atala.

L'indulgence avec laquelle on voulut bien accueillir cette anecdote indienne ne me rendit que plus sévère envers moi-même. Je profitai des critiques; et, malgré le mauvais état de ma fortune, je rachetai les deux volumes imprimés du Génie du Christianisme, dans le dessein de retoucher encore une fois tout l'ouvrage.

J'ai été forcé d'entrer dans ces détails, premièrement pour montrer que si mes talents n'ont pas répondu à mon zèle, du moins j'ai suffisamment senti l'importance de mon sujet; secondement, pour avertir que tout ce que le public connaît jusqu'à présent de cet ouvrage a été cité très-incorrectement, d'après les deux éditions manquées. Or, on sait de quelle importance peut être un seul mot changé, ajouté ou

omis, dans une matière aussi grave que celle que je traite.

Il y avait dans mon premier travail plusieurs allusions aux circonstances où je me trouvais alors. J'en ai fait disparaître le plus grand nombre; mais j'en ai laissé quelquesunes elles serviront à me rappeler mes malheurs, si jamais la fortune me sourit, et à me mettre en garde contre la prospérité.

Le chapitre d'introduction servant de véritable préface à mon ouvrage, je n'ai plus qu'un mot à dire ici.

Ceux qui combattent le christianisme ont souvent cherché à élever des doutes sur la sincérité de ses défenseurs. Ce genre d'attaque, employé pour détruire l'effet d'un ouvrage religieux, est fort connu. Il est donc probable que je n'y échapperai pas, moi surtout à qui l'on peut reprocher des erreurs.

Mes sentiments religieux n'ont pas toujours été ce qu'ils sont aujourd'hui. Tout en avouant la nécessité d'une religion, et en admirant le christianisme, j'en ai cependant méconnu plusieurs rapports. Frappé des abus de quelques institutions et des vices de

quelques hommes, je suis tombé jadis dans les déclamations et les sophismes. Je pour

rais en rejeter la faute sur ma jeunesse, sur le délire des temps, sur les sociétés que je fréquentais; mais j'aime mieux me condamner je ne sais point excuser ce qui n'est point excusable. Je dirai seulement les moyens dont la Providence s'est servie pour me rappeler à mes devoirs.

Ma mère, après avoir été jetée à soixantedouze ans dans des cachots où elle vit périr une partie de ses enfants, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l'avaient reléguée. Le souvenir de mes égarements répandit sur ses derniers jours une grande amertume: elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion dans laquelle j'avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère : quand la lettre me parvint au-delà des mers, ma sœur ellemême n'existait plus; elle était morte aussi des suites de son emprisonnement. Ces deux voix sorties du tombeau, cette mort qui servait d'interprète à la mort, m'ont frappé. Je suis devenu chrétien. Je n'ai point cédé,

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