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la logique, et ne suffit-il pas qu'elle touche, qu'elle ravisse, qu'elle persuade, par un art qui lui est propre?

M. de Châteaubriand a voulu faire aimer la religion. C'est là, en dernière analyse, tout le but de son ouvrage. Mais on ne prouve pas au cœur qu'il doit aimer par ordre de démonstrations. Cela serait ridicule, dit Pascal. L'esprit a son ordre, qui est par principes. Le coeur en a un autre. C'est faute d'avoir distingué ces deux méthodes que les critiques ont manqué de goût et de justesse, en reprochant à l'auteur de n'avoir pas pris une manière qui n'était de son ordre, et qui ne s'accordait pas avec son dessein.

pas

Mais la principale erreur sur cette matière, et la plus commune parmi les gens de lettres, vient de ce qu'ils n'ont pas connu, dans leur principe, les intentions poétiques du Christianisme, et de ce qu'ils n'en ont pas observé le caractère dans l'institution de ses signes, qui revêt d'une image sensible la spiritualité des dogmes et des mys

tères. S'ils avaient considéré le sujet sous ce rapport, ils n'auraient pas avancé d'une manière si absolue que cet ouvrage eût paru entièrement déplacé dans le siècle de Louis XIV. Assurément l'auteur ne l'eût pas entrepris pour défendre la religion, puisqu'elle n'était pas attaquée. Mais prétendre qu'on ne dût exposer à l'admiration ses beautés poétiques, que dans un siècle impie et railleur, c'est ignorer que ces beautés et cette poésie étincellent de toutes parts dans les Écritures; c'est ne pas voir qu'elles attestent les complaisances de la bonté divine pour la faiblesse de notre nature, puisqu'elles font partie d'une religion pleine de magnificence et de charme, qui se glorifie de faire fleurir les arts autour d'elle et d'en consacrer les prodiges, afin de ravir les sens et l'imagination de l'homme aux dangereuses beautés de cette vie. C'est là, si je ne me trompe, le plus haut principe de la poésie du Christianisme: et, dans le siècle le plus religieux, le livre de M. de Châteaubriand, dégagé de tout ce qui re

garde la philosophie moderne, se soutiendrait sur ce fondement. Après en avoir défendu le plan, le dessin et l'exécution par ces vues générales, on se réserve, en parlant des épisodes de René et d'Atala, d'entrer dans quelques opinions particulières de l'auteur, qui ont trouvé de grandes contradictions parmi les hommes du pre

mier mérite'.

CH. D.

1. L'article de M. Ch. Delalot sur Atala et René se trouve à la page 341 du tome IX de cette édition, contenant Atala et René.

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RAPPORT

SUR

LE GÉNIE DU CHRISTIANISME,

FAIT PAR ORDRE DE LA CLASSE DE LA LANGUE ET DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISES.

PAR M. LE COMTE DARU.

(Année 1811.)

Le génie d'une institution en est, ce me semble, ce qui constitue son caractère particulier, l'esprit du fondateur, l'objet vers lequel l'institution paraît principalement dirigée. Si on me dit que l'esprit des institutions romaines était de resserrer les liens qui unissent l'homme à sa famille, le citoyen à sa patrie; si on me dit que le génie du christianisme est la perfection des

vertus humaines, je concevrai que les fondateurs de cette religion, de cette république, ont eu tel ou tel objet; mais si, après m'avoir annoncé qu'on va m'exposer le Génie du Christianisme, on traduit cette expression par celle-ci, ou Beautés poétiques et morales de la Religion chrétienne, je me demanderai comment on a pu croire que l'intérêt de la poésie était entré pour quelque chose dans l'objet d'une pareille institution, et je m'étonnerai qu'on rapetisse un sujet aussi grave en le considérant sous d'aussi frivoles rapports. Sans doute un effet peut être le résultat d'une combinaison, sans être entré dans les fins que l'auteur s'était proposées; mais alors ce n'est plus qu'un accident qui n'appartient point au génie, à l'esprit de la chose dont il dérive.

Cette observation, qui ne s'applique qu'au titre de l'ouvrage, ne mériterait pas d'être énoncée, si dans une pareille matière il n'importait de commencer par bien savoir ce que l'auteur entend démontrer.

VII.

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