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cédez à Feuillet' ces prédications outrées qui ne touchent qui que ce soit.

Mais sur quel sujet s'exercera donc dorénavant ma muse? Courrai-je, transporté de l'enthousiasme de Pindare, répéter avec Malherbe après Théophile? irai-je, rassemblant plusieurs de leurs centons ensemble,

Chanter d'un grave ton dans une ode superbe,
Faire trembler Memphis? etc.

Chausserai-je le cothurne, pour marcher au milieu d'une troupe rustique? Enflerai-je la simplicité de l'églogue, pour animer ses chalumeaux? et dessus mon papier, rêvant au pied des arbres, mettrai-je dans la bouche d'Écho une langue qu'elle n'a pas? Le cœur glacé, le jugement sain, faudra-t-il sur un nom inventé imaginer uae passion ridicule, ne lui pas épargner les épithètes les plus flatteuses; et, rempli des meilleurs morceaux, expirer par métaphore? Je cède aux fades amans l'affectation de cette langue, l'entretien d'une volupté ignorante.

L'ironie abondante en portraits donne seule du sel à la science et à la plaisanterie, et, par une versification que le bon sens embellit, elle sait désabuser les hommes du siècle, des erreurs qui s'y glissent. Le trône n'est pas à l'abri de ses poursuites. Elle ne redoute rien, et, souvent aidée d'une pensée vive, elle prend le parti de la raison attaquée par un butor. Voilà de quelle sorte le premier satirique romain, Lucilius, soutenu de Lélius, jouoit Lupus, Métellus, et les autres Cotins de son temps; et c'est ainsi qu'Horace, prodiguant ses bons mots, parla avec liberté d'Alpinus et des Pelletiers romains. C'est la satire qui, guidant mes études, me fit haïr dès l'âge de quinze ans un mauvais livre, et qui, conduisant mes pas sur le Parnasse, encouragea ma témérité et m'ouvrit l'esprit. C'est pour la satire seule que j'ai pris la plume

Cependant, s'il est nécessaire, je me démentirai sur ce que j'ai avancé; et, pour apaiser enfin ce monde de mécontens, je distinguerai les noms qui effarouchent tant d'auteurs. D'abord que vous m'imposez silence, je vais parler sur un autre ton. Je le dis donc une bonne fois avec franchise : Quinault' fait mieux un opéra que Virgile; le soleil n'est pas plus éclatant que la réputation de Boursault; Pelletier tourne plus facilement un vers que Patru ni d'Ablancourt. Il y a un monde si surprenant aux sermons de Cotin, que la foule de ses auditeurs le fait suer avant qu'il puisse monter en chaire. Rien n'est au-dessus de l'esprit de Sauval, le phénix même: Pomone où Perrin.... Fort bien, mon esprit,

4. Prédicateur.

2. Quinault n'avoit point encore fait d'opéra en 1667.

3. Opéra de Perrin. Ce fut en 1669, comme l'a rapporté Voltaire,

continuez, ne demeurez pas court; mais ne vous apercevez-vous pas déjà que leur cabale furieuse ne regardera pas de meilleur œil ces derniers vers que les premiers? Et d'abord, que de poëtes courroucés vous attaqueront! Fertiles en injures et pauvres en inventions, vous les verrez augmenter contre vous des volumes de remarques. Tel vers sera regardé comme criminel, et tel bon mot comme une hardiesse contre l'État. Le roi sera en vain le sujet de vos veilles, son nom assurera inutilement chaque feuillet de vos écrits d'abord que Cotin est critiqué par quelqu'un, il n'a pas d'amour pour Sa Majesté; et ce téméraire, si l'on en croit Cotin, ne connoît pas son Créateur, ni les lois civiles et humaines.

Il vous est facile de répondre : mais quel embarras nous peut causer Cotin à la cour? que ses criailleries produiront-elles? Prétend-il par là frustrer mes vers des pensions que je n'ai jamais demandées? Non, pour faire l'éloge d'un prince estimé de tout le monde entier, ma langue désintéressée ne souffrira point que l'argent lui dicte jamais de panégyrique. Tels que sont mes ouvrages, l'intérêt ne leur a point fait voir le jour, et la gloire de louer le prince est le seul prix que je me suis proposé pour récompense. Retenu dans les libertés de ma plume, avec ce même pinceau dont j'ai peint tant de ridicules auteurs et de vicieux, je n'oublierai point l'hommage que doit ma muse à ses rares vertus. Je veux bien vous croire; cependant on se plaint, les menaces se multiplient. Je me soucie peu, répondrez-vous, de ces souteneurs de muses. Eh! redoutez le fiel d'un poëte en fureur, son style glaçant peut vous réduire à un éternel silence....

LE LIBRAIRE AU LECTEUR 1.

Voici le dernier ouvrage qui est sorti de la plume du sieur D*** L'auteur, après avoir écrit contre tous les hommes en genéral2, a cru qu'il ne pouvoit mieux finir qu'en écrivant contre lui-même, et que c'étoit le plus beau champ de satire qu'il pût trouver. Peut-être que ceux qui ne sont pas fort instruits des démêlés du Parnasse, et qui n'ont pas beaucoup lu les autres satires du mêm. auteur, ne verront pas tout l'agrément de celle-ci, qui n'en est,

:

que s'associèrent l'abbé Perrin, le musicien Lambert et un marquis de Sourdéac ils firent jouer d'abord Pomone, pièce dans laquelle il étoit beaucoup parlé de pommes et d'artichauts. Ainsi cet opéra n'existoit point en 1667, et même il n'a été représenté qu'en 1674, selon les dictionnaires et les histoires des théâtres. C'est une nouvelle preuve que cette esquisse a été faussement attribuée à Boileau.

4. Cet avertissement, placé en tête de la satire IX, a été, un peu légèrement peut-être, attribué à Boileau lui-même.

2. Satire VIII.

BOILEAU

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ESQUISSE EN PROSE DE LA SATIRE IX.

à bien parler, qu'une suite; mais je ne doute point que les gens de lettres, et ceux surtout qui ont le goût délicat, ne lui donnent le prix, comme à celle où il y a le plus d'art, d'invention et de finesse d'esprit. Il y a déjà du temps qu'elle est faite; l'auteur s'étoit en quelque sorte résolu de ne la jamais publier. Il vouloit bien épargner ce chagrin aux auteurs qui s'en pourront choquer. Quelques libelles diffamatoires que l'abbé Kautain' et plusieurs autres eussent fait imprimer contre lui, il s'en tenoit assez vengé par le mépris que tout le monde a fait de ces ouvrages, qui n'ont été lus de personne, et que l'impression même n'a pu rendre pu blics; mais une copie de cette satire étant tombée, par une fatalité inévitable, entre les mains des libraires, ils ont réduit l'auteur à recevoir encore la loi d'eux. C'est donc à moi qu'il a confié l'original de sa pièce, et il l'a accompagnée d'un petit discours en prose3, où il justifie, par l'autorité des poëtes anciens et modernes, la liberté qu'il s'est donnée dans ses satires. Je ne doute donc point que le lecteur ne soit bien aise du présent que je lui en fais.

SATIRE IX.

COMPOSÉE EN 1667, PUBLIÉE EN 1668.

A SON ESPRIT 4.

C'est à vous, mon esprit, à qui je veux parler.
Vous avez des défauts que je ne puis celer :
Assez et trop longtemps ma lâche complaisance
De vos jeux criminels a nourri l'insolence;
Mais, puisque vous poussez ma patience à bout,
Une fois en ma vie il faut vous dire tout.

On croiroit à vous voir dans vos libres caprices
Discourir en Caton des vertus et des vices,
Décider du mérite et du prix des auteurs,
Et faire impunément la leçon aux docteurs,
Qu'étant seul à couvert des traits de la satire
Vous avez tout pouvoir de parler et d'écrire.

Mais moi, qui dans le fond sais bien ce que j'en crois,

1. Cotin.

2. Coras, l'auteur anonyme du Satirique berné, etc. Pradon n'avoit pas encore écrit contre Despréaux en 1668, et Boursault ne fit imprimer qu'en 1669 sa comédie intitulée la Satire des satires; mais il avoit tenté de la faire jouer.

3. C'est celui qu'on a lu ci-dessus avant la satire I.

4. Cette satire est entièrement dans le goût d'Horace et d'un homme qui se fait son procès à soi-même pour le faire à tous les autres. (B.)

sublimité du pacte

Qui compte tous les jours vos défauts par mes doigts,
Je ris quand je vous vois si foible et si stérile,
Prendre sur vous le soin de réformer la ville,
Dans vos discours chagrins plus aigre et plus mordant
Qu'une femme en furie, ou Gautier1 en plaidant.
Mais répondez un peu. Quelle verve indiscrète
Sans l'aveu des neuf Sœurs vous a rendu poëte?
Sentiez-vous, dites-moi, ces violens transports
Qui d'un esprit divin font mouvoir les ressorts?
Qui vous a pu souffler une si folle audace?
Phébus a-t-il pour vous aplani le Parnasse?
Et ne savez-vous pas que, sur ce mont sacré,
Qui ne vole au sommet tombe au plus bas degré,
Et qu'à moins d'être au rang d'Horace ou de Voiture,
On rampe dans la fange avec l'abbé de Pure?
Que si tous mes efforts ne peuvent réprimer
Cet ascendant malin qui vous force à rimer,

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Sans perdre en vains discours tout le fruit de vos veilles,
Osez chanter du roi les augustes merveilles :
Là, mettant à profit vos caprices divers,
Vous verriez tous les ans fructifier vos vers;
Et par l'espoir du gain votre muse animée
Vendroit au poids de l'or une once de fumée.
Mais en vain, direz-vous, je pense vous tenter
Par l'éclat d'un fardeau trop pesant à porter.
Tout chantre ne peut pas, sur le ton d'un Orphée,
Entonner en grands vers la Discorde étouffée;
Peindre Bellone en feu tonnant de toutes parts,
Et le Belge effrayé fuyant sur ses remparts2.
Sur un ton si hardi, sans être téméraire,

3

Racan pourroit chanter au défaut d'un Homère;
Mais pour Cotin et moi, qui rimons au hasard,
Que l'amour de blâmer fit poëtes par art,
Quoiqu'un tas de grimauds vante notre éloquence,
Le plus sûr est pour nous de garder le silence.
Un poëme insipide et sottement flatteur
Déshonore à la fois le héros et l'auteur :

4. Avocat célèbre et très-mordant. (B.) — Cet avocat étoit surnommé Gautier la Gueule.

2. Cette satire a été faite dans le temps que le roi prit Lille en Flandre et plusieurs autres villes. (B.)

teor;

3. Honorat de Bueil, marquis de Kacan, né en Touraine, l'an 1589, ne put jamais apprendre le latin, pas même, dit-on, retenir le Confimais devenu page et placé sous les ordres du duc de Bellegarde, il rencontra chez ce seigneur le poëte Malherbe et le prit pour maître. Racan fut l'un des premiers membres de l'Académie françoise, et mou ut en 1670.

Enfin de tels projets passent notre foiblesse.

Ainsi parle un esprit languissant de mollesse,
Qui, sous l'humble dehors d'un respect affecté,
Cache le noir venin de sa malignité.

Mais, dussiez-vous en l'air voir vos ailes fondues,
Ne valoit-il pas mieux vous perdre dans les nues,
Que d'aller sans raison, d'un style peu chrétien,
Faire insulte en rimant à qui ne vous dit rien,
Et du bruit dangereux d'un livre téméraire
A vos propres périls enrichir le libraire?

Vous vous flattez, peut-être, en votre vanité,
D aller comme un Horace à l'immortalité;
Et déjà vous croyez dans vos rimes obscures
Aux Saumaises' futurs préparer des tortures.
Mais combien d'écrivains, d'abord si bien reçus,
Sont de ce fol espoir honteusement déçus!

Combien, pour quelques mois, ont vu fleurir leur livre,
Dont les vers en paquet se vendent à la livre !
Vous pourrez voir, un temps, vos écrits estimés
Courir de main en main par la ville semés;;
Puis de là, tout poudreux, ignorés sur la terre,
Suivre chez l'épicier Neuf-Germain et La Serre 3;
Ou, de trente feuillets réduits peut-être à neuf,
Parer, demi-rongés, les rebords du Pont-Neuf.
Le bel honneur pour vous, en voyant vos ouvrages
Occuper le loisir des laquais et des pages,

Et souvent dans un coin renvoyés à l'écart
Servir de second tome aux airs du Savoyard!

Mais je veux que le sort, par un heureux caprice,
Fasse de vos écrits prospérer la malice,

Et qu'enfin votre livre aille, au gré de vos vœux,
Faire siffler Cotin chez nos derniers neveux :
Que vous sert-il qu'un jour l'avenir vous estime,
Si vos vers aujourd'hui vous tiennent lieu de crime,
Et ne produisent rien, pour fruit de leurs bons mots,
Que l'effroi du public et la haine des sots?

Quel démon vous irrite, et vous porte à médire ?
Un livre vous déplaît: qui vous force à le lire?
Laissez mourir un fat dans son obscurité :

Un auteur ne peut-il pourrir en sûreté ?

1. Fameux commentateur. (B.)

2. Poëte extravagant. (B.)

3. Auteur peu estimé. (B.)

4. Où l'on vend d'ordinaire les livres de rebut. (B.)

5. Fameux chantre du Pont-Neuf, dont on vante encore les chanzons. (B.) Il se nommoit Philipot.

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