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Je rencontre à la fois Perrin1 et Pelletier,
Bonnecorse, Pradon, Colletet, Titreville 2;

Et, pour un que je veux, j'en trouve plus de mille.
Aussitôt je triomphe; et ma muse en secret
S'estime et s'applaudit du beau coup qu'elle a fait.
C'est en vain qu'au milieu de ma fureur extrême
Je me fais quelquefois des leçons à moi-même;
En vain je veux au moins faire grâce à quelqu'un :
Ma plume auroit regret d'en épargner aucun;
Et sitôt qu'une fois la verve me domine,
Tout ce qui s'offre à moi passe par l'étamine.
Le mérite pourtant m'est toujours précieux :
Mais tout fat me déplaît, et me blesse les yeux;
Je le poursuis partout, comme un chien fait sa proie
Et ne le sens jamais qu'aussitôt je n'aboie.

Enfin, sans perdre temps en de si vains propos,
Je sais coudre une rime au bout de quelques mots.
Souvent j'habille en vers une maligne prose:
C'est par là que je vaux, si je vaux quelque chose.
Ainsi, soit que bientôt, par une dure loi,

La mort d'un vol affreux vienne fondre sur moi,
Soit que le ciel me garde un cours long et tranquille,
A Rome ou dans Paris, aux champs ou dans la ville,
Dût ma muse par là choquer tout l'univers,
Riche, gueux, triste ou gai, je veux faire des vers,
Pauvre esprit, dira-t-on, que je plains ta folie !
Modère ces bouillons de ta mélancolie;

Et garde qu'un de ceux que tu penses blâmer
N'éteigne dans ton sang cette ardeur de rimer.

Eh quoi lorsqu'autrefois Horace, après Lucile3,
Exhaloit en bons mots les vapeurs de sa bile,
Et, vengeant la vertu par des traits éclatans,
Alloit ôter le masque aux vices de son temps;
Ou bien quand Juvénal, de sa mordante plume
Faisant couler des flots de fiel et d'amertume,
Gourmandoit en courroux tout le peuple latin,
L'un ou l'autre fit-il une tragique fin?

Et que craindre, après tout, d'une fureur si vaine?
Personne ne connoît ni mon nom ni ma veine :
On ne voit point mes vers, à l'envi de Montreuil,

1. L'abbé Perrin, traducteur de l'Eneide en vers françois, auteur d'opéras et premier directeur de l'Opéra de Paris.

2. Poëtes décriés. (B.) 3. Auteur satirique romain.

4. Le nom de Montreuil dominoit dans tous les fréquens recueils de poésie qu'on faisoit alors. (B.) — Boileau écrit Montreuil pour Montereul. Ils étoient deux frères, Jean et Matthieu, tous deux poëtes. Jean étoit de l'Académie françoise.

BOILEAU

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Grossir impunément les feuillets d'un recueil.
A peine quelquefois je me force à les lire,
Pour plaire à quelque ami que charme la satire,
Qui me flatte peut-être, et, d'un air imposteur,
Rit tout haut de l'ouvrage, et tout bas de l'auteur.
Enfin c'est mon plaisir; je veux me satisfaire.
Je ne puis bien parler, et ne saurois me taire;
Et, dès qu'un mot plaisant vient luire à mon esprit,
Je n'ai point de repos qu'il ne soit en écrit:
Je ne résiste point au torrent qui m'entraîne.

Mais c'est assez parlé; prenons un peu d'haleine :
Ma main, pour cette fois, commence à se lasser.
Finissons. Mais demain, muse, à recommencer.

SATIRE VIII.

1667.

A M. M.... DOCTEUR DE SORBONNE',

SUR L'HOMME 2.

De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.
Quoi! dira-t-on d'abord, un ver, une fourmi,

Un insecte rampant qui ne vit qu'à demi,
Un taureau qui rumine, une chèvre qui broute,

Ont l'esprit mieux tourné que n'a l'homme? Oui sans doute.
Ce discours te surprend, docteur, je l'aperçoi.
L'homme de la nature est le chef et le roi :

Bois, prés, champs, animaux, tout est pour son usage.
Et lui seul a, dis-tu, la raison en partage.

Il est vrai, de tout temps la raison fut son lot :
Mais de là je conclus que l'homme est le plus sot.
Ces propos, diras-tu, sont bons dans la satire,

Pour égayer d'abord un lecteur qui veut rire :
Mais il faut les prouver. En forme. J'y consens.
Réponds-moi donc, docteur, et mets-toi sur les bancs.
Qu'est-ce que la sagesse? une égalité d'âme

Que rien ne peut troubler, qu'aucun désir n'enflamme,

4. On pense que cette satire est adressée à Morel, surnommé Mâchoire d'âne, grand ennemi des jansénistes.

2. Cette satire est tout à fait dans le goût de Perse; et marque un philosophe qui ne peut plus souffrir les vices des hommes. (B.)

Qui marche en ses conseils à pas plus mesurés
Qu'un doyen au palais ne monte les degrés.
Or cette égalité dont se forme le sage,

Qui jamais moins que l'homme en a connu l'usage?
La fourmi tous les ans traversant les guérets
Grossit ses magasins des trésors de Cérès;
Et dès que l'aquilon, ramenant la froidure,
Vient de ses noirs frimas attrister la nature,
Cet animal, tapi dans son obscurité,

Jouit l'hiver des biens conquis durant l'été.
Mais on ne la voit point, d'une humeur inconstante,
Paresseuse au printemps, en hiver diligente,
Affronter en plein champ les fureurs de janvier,
Ou demeurer oisive au retour du bélier.

Mais l'homme, sans arrêt dans sa course insensée,
Voltige incessamment de pensée en pensée :
Son cœur, toujours flottant entre mille embarras,
Ne sait ni ce qu'il veut ni ce qu'il ne veut pas.
Ce qu'un jour il abhorre, en l'autre il le souhaite.
Moi! j'irois épouser une femme coquette !
J'irois, par ma constance aux affronts endurci,
Me mettre au rang des saints qu'a célébrés Bussi !!
Assez de sots sans moi feront parler la ville,
Disoit le mois passé ce marquis indocile,
Qui, depuis quinze jours dans le piége arrêté,
Entre les bons maris pour exemple cité,
Croit que Dieu tout exprès d'une côte nouvelle
A tiré pour lui seul une femme fidèle.

Voilà l'homme en effet. Il va du blanc au noir;
Il condamne au matin ses sentimens du soir :
Importun à tout autre, à soi-même incommode,
Il change à tous momens d'esprit comme de mode :
Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre choc,
Aujourd'hui dans un casque, et demain dans un froc.
Cependant à le voir, plein de vapeurs légères,
Soi-même se bercer de ses propres chimères,
Lui seul de la nature est la base et l'appui,
Et le dixième ciel ne tourne que pour lui.
De tous les animaux il est, dit-il, le maître.
Qui pourroit le nier? poursuis-tu. Moi, peut-être.
Mais, sans examiner si vers les antres sourds,
L'ours a peur du passant, ou le passant de l'ours;

1. Bussi, dans son Histoire galante, raconte beaucoup de galanteries très-criminelles de dames mariées de la cour. (B.) C'est BussiRabutin, membre de l'Académie françoise, auteur de l'Histoire amoureuse des Gaules.

Et si, sur un édit des pâtres de Nubie,
Les lions de Barca videroient la Libye;
Ce maître prétendu qui leur donne des lois,
Ce roi des animaux, combien a-t-il de rois!
L'ambition, l'amour, l'avarice, la haine,
Tiennent comme un forçat son esprit à la chaîne.
Le sommeil sur ses yeux commence à s'épancher.
<< Debout, dit l'avarice, il est temps de marcher.
Hélaisse-moi. Debout! Un moment.

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A peine le soleil fait ouvrir les boutiques. - N'importe, lève-toi.

Tu répliques?

Pour quoi faire après tout?

Pour courir l'Océan de l'un à l'autre bout,

Chercher jusqu'au Japon la porcelaine et l'ambre,

Rapporter de Goa1 le poivre et le gingembre.

Mais j'ai des biens en foule, et je puis m'en passer.
On n'en peut trop avoir; et pour en amasser

Il ne faut épargner ni crime ni parjure;

Il faut souffrir la faim, et coucher sur la dure;
Eût-on plus de trésors que n'en perdit Galet2,
N'avoir en sa maison ni meubles ni valet;
Parmi les tas de blé vivre de seigle et d'orge;

De peur de perdre un liard souffrir qu'on vous égorge

Et pourquoi cette épargne enfin? - L'ignores-tu? Afin qu'un héritier, bien nourri, bien vêtu,

Profitant d'un trésor en tes mains inutile,

De son train quelque jour embarrasse la ville.

Que faire ? il faut partir les matelots sont prêts. »
Ou, si pour l'entraîner l'argent manque d'attraits,
Bientôt l'ambition et toute son escorte

Dans le sein du repos vient le prendre à main forte,
L'envoie en furieux, au milieu des hasards,

Se faire estropier sur les pas des Césars;

Et cherchant sur la brèche une mort indiscrète,

De sa folle valeur embellir la gazette.

Tout beau, dira quelqu'un, raillez plus à propos;

Ce vice fut toujours la vertu des héros.

Quoi donc à votre avis, fut-ce un fou qu'Alexandre? »
Qui? cet écervelé qui mit l'Asie en cendre?

Ce fougueux l'Angéli3, qui, de sang altéré,
Maître du monde entier s'y trouvoit trop serré !
L'enragé qu'il étoit, né roi d'une province
Qu'il pouvoit gouverner en bon et sage prince,
S'en alla follement, et pensant être Dieu,

4. Ville des Portugais dans les Indes orientales. (B.) 2. Fameux joueur dont il est fait mention dans Regnier. (B.) 3. Il en est parlé dans la première satire. (B.)

Courir comme un bandit qui n'a ni feu ni lieu;
Et, traînant avec soi les horreurs de la guerre,
De sa vaste folie emplir toute la terre :

Heureux, si de son temps, pour cent bonnes raisons,
La Macédoine eût eu des Petites-Maisons',
Et qu'un sage tuteur l'eût en cette demeure,
Par avis de parens, enfermé de bonne heure!
Mais, sans nous égarer dans ces digressions,
Traiter, comme Senaut', toutes les passions;
Et, les distribuant, par classes et par titres,
Dogmatiser en vers, et rimer par chapitres,
Laissons-en discourir La Chambre et Coeffeteau,
Et voyons l'homme enfin par l'endroit le plus beau.
Lui seul, vivant, dit-on, dans l'enceinte des villes,
Fait voir d'honnêtes mœurs, des coutumes civiles,
Se fait des gouverneurs, des magistrats, des rois,
Observe une police, obéit à des lois.

Il est vrai. Mais pourtant sans lois et sans police,
Sans craindre archers, prévôt, ni suppôt de justice,
Voit-on les loups brigands, comme nous inhumains,
Pour détrousser les loups courir les grands chemins?
Jamais, pour s'agrandir, voit-on dans sa manie
Un tigre en factions partager l'Hyrcanie 3 ?
L'ours a-t-il dans les bois la guerre avec les ours?
Le vautour dans les airs fond-il sur les vautours?
A-t-on vu quelquefois dans les plaines d'Afrique,
Déchirant à l'envi leur propre république,

3

<< Lions contre lions, parens contre parens,
<< Combattre follement pour le choix des tyrans1? »
L'animal le plus fier qu'enfante la nature
Dans un autre animal respecte sa figure,

De sa rage avec lui modère les accès,

Vit sans bruit, sans débats, sans noise, sans procès.
Un aigle, sur un champ prétendant droit d'aubaine,

4. C'est un hôpital de Paris où l'on enferme les fous. (B.) 2. Senaut, La Chambre et Coeffeteau ont tous trois fait chacun un Traité des passions. (B.) — Senaut étoit général de l'Oratoire, et Coeffeteau, évêque de Marseille; Cureau de La Chambre étoit membre de l'Académie françoise.

3. Province de Perse sur les bords de la mer Caspienne. (B.)

4.

<< Romains contre Romains, parens contre parens,

« Combattre seulement pour le choix des tyrans. »

(Corneille, Cinna, act. I, sc. xi.) Une note de Boileau, en diverses éditions de ses œuvres, indique cet emprunt.

5. C'est un droit qu'a le roi de succéder aux biens des étrangers qui meurent en France et qui n'y sont point naturalisés. (B.)

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