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Mon zèle impatient ne se pouvoit cacher :
Je n'admirois que toi. Le plaisir de le dire
Vint m'apprendre à louer au sein de la satire.
Et, depuis que tes dons sont venus m'accabler,
Loin de sentir mes vers avec eux redoubler,
Quelquefois, le dirai-je? un remords légitime,
Au fort de mon ardeur, vient refroidir ma rime.
Il me semble, grand roi, dans mes nouveaux écrits,
Que mon encens payé n'est plus du même prix.
J'ai peur que l'univers, qui sait ma récompense,
N'impute mes transports à ma reconnoissance;
Et que par tes présens mon vers décrédité
N'ait moins de poids pour toi dans la postérité.
Toutefois je sais vaincre un remords qui te blesse.
Si tout ce qui reçoit des fruits de ta largesse
A peindre tes exploits ne doit point s'engager,
Qui d'un si juste soin se pourra donc charger?
Ah! plutôt de nos sons redoublons l'harmonie :
Le zèle à mon esprit tiendra lieu de génie.
Horace tant de fois dans mes vers imité,
De vapeurs en son temps, comme moi tourmentė,
Pour amortir le feu de sa rate indocile
Dans l'encre quelquefois sut égayer sa bile.
Mais de la même main qui peignit Tullius',
Qui d'affronts immortels couvrit Tigellius',
Il sut fléchir Glycère, il sut vanter Augustė,
Et marquer sur la lyre une cadence juste.
Suivons les pas fameux d'un si noble écrivain.
A ces mots, quelquefois prenant la lyre en main,
Au récit que pour toi je suis près d'entreprendre,
Je crois voir les rochers accourir pour m'entendre;
Et déjà mon vers coule à flots précipités,
Quand j'entends le lecteur qui me crie: Arrêtez.
Horace eut cent talens; mais la nature avare
Ne vous a rien donné qu'un peu d'humeur bizarre :
Vous passez en audace et Perse et Juvénal;
Mais sur le ton flatteur Pinchêne est votre égal.

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A ce discours, grand roi, que pourrois-je répondre ?
Je me sens sur ce point trop facile à confondre;

Et, sans trop relever des reproches si vrais,
Je m'arrête à l'instant, j'admire et je me tais.

1. Sénateur romain. César l'exclut du sénat; mais il y rentra après sa mort. (B.)

2. Fameux musicien, le plus estimé de son temps et fort chéri d'Auguste. (B.)

ÉPITRE IX.

4675.

AU MARQUIS DE SEIGNELAY.

RIEN N'EST BEAU QUE LE VRAI.

Dangereux ennemi de tout mauvais flatteur,
Seignelay', c'est en vain qu'un ridicule auteur,
Prêt à porter ton nom de l'Ebre2 jusqu'au Gange3,
Croit te prendre aux filets d'une sotte louange.
Aussitôt ton esprit, prompt à se révolter,

S'échappe, et rompt le piége où l'on veut l'arrêter.
Il n'en est pas ainsi de ces esprits frivoles
Que tout flatteur endort au son de ses paroles;
Qui, dans un vain sonnet, placés au rang des dieux,
Se plaisent à fouler l'Olympe radieux;

Et, fiers du haut étage où La Serre' les loge,
Avalent sans dégoût le plus grossier éloge.
Tu ne te repais point d'encens à si bas prix
Non que tu sois pourtant de ces rudes esprits

Qui regimbent toujours, quelque main qui les flatte :
Tu souffres la louange adroite et délicate,
Dont la trop forte odeur n'ébranle point les sens;
Mais un auteur novice à répandre l'encens
Souvent à son héros, dans un bizarre ouvrage,
Donne de l'encensoir au travers du visage,
Va louer Montereys d'Oudenarde forcé,
Ou vante aux Électeurs Turenne repoussé".
Tout éloge imposteur blesse une âme sincère.
Si, pour faire sa cour à ton illustre père,

Seignelay, quelque auteur, d'un faux zèle emporté,
Au lieu de peindre en lui la noble activité,

La solide vertu, la vaste intelligence,

Le zèle pour son roi, l'ardeur, la vigilance,

1. Jean-Baptiste Colbert, ministre et secrétaire d'État, mort en 4690, fils de Jean-Baptiste Colbert, ministre et secrétaire d'État. (B., 2. Rivière d'Espagne. (B.)

3. Rivière des Indes. (B.)

4. La Serre composoit, sous le titre de Portraits, des éloges en vers

et en prose.

5. Gouverneur des Pays-Bas. (B.)

6. Monterey avoit assiégé Oudenarde; Condé le força de lever le siége avec précipitation le 12 septembre 1674.

7. Turenne, au contraire, avoit battu l'armée des électeurs à Turekheim, le 5 janvier 4675.

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1

La constante équité, l'amour pour les beaux-arts,
Lui donnoit les vertus d'Alexandre ou de Mars;
Et, pouvant justement l'égaler à Mécène,
Le comparoit au fils de Pélée ou d'Alcmène :
Ses yeux, d'un tel discours foiblement éblouis,
Bientôt dans ce tableau reconnoîtroient Louis;
Et, glaçant d'un regard la muse et le poëte,
Imposeroient silence à sa verve indiscrète.

Un cœur noble est content de ce qu'il trouve en lui,
Et ne s'applaudit point des qualités d'autrui.
Que me sert en effet qu'un admirateur fade
Vante mon embonpoint, si je me sens malade;
Si dans cet instant même un feu séditieux

Fait bouillonner mon sang et petiller mes yeux?
Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est aimable;
Il doit régner partout, et même dans la fable
De toute fiction l'adroite fausseté

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité.

Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces,
Sont recherchés du peuple, et reçus chez les princes?
Ce n'est pas que leurs sons, agréables, nombreux,
Soient toujours à l'oreille également heureux;
Qu'en plus d'un lieu le sens n'y gêne la mesure,
Et qu'un mot quelquefois n'y brave la césure :
Mais c'est qu'en eux le vrai, du mensonge vainqueur,
Partout se montre aux yeux, et va saisir le cœur,
Que le bien et le mal y sont prisés au juste;
Que jamais un faquin n'y tint un rang auguste;
Et que mon cœur, toujours conduisant mon esprit,
Ne dit rien aux lecteurs, qu'à soi-même il n'ait dit.
Ma pensée au grand jour partout s'offre et s'expose,
Et mon vers,
bien ou mal, dit toujours quelque chose.
C'est par là quelquefois que ma rime surprend;
C'est là ce que n'ont point Jonas ni Childebrand3,
Ni tous ces vains amas de frivoles sornettes,
Montre, Miroir d'amour, Amitiés, Amourettes,
Dont le titre souvent est l'unique soutien,
Et qui, parlant beaucoup, ne disent jamais rien.
Mais peut-être, enivré des vapeurs de ma muse,
Moi-même en ma faveur, Seignelay, je m'abuse.
Cessons de nous flatter. Il n'est esprit si droit

1. Achille. (B.) — 2. Hercule. (B.)

3. Jonas, poëme de Coras; Childebrand, poëme de Sainte-Garde. 4. La Montre, mélange de vers et de prose, par Bonnecorse; le Miroir d'amour, ou la Métamorphose d'Oronte en miroir, conte de Charles Perrault; Amitiés, Amours et Amourettes, par Le Pays.

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Qui ne soit imposteur et faux par quelque endroit :
Sans cesse on prend le masque, et, quittant la nature,
On craint de se montrer sous sa propre figure.
Par là le plus sincère assez souvent déplaît.
Rarement un esprit ose être ce qu'il est.

Vois-tu cet importun que tout le monde évite;

Cet homme à toujours fuir, qui jamais ne vous quitte?
Il n'est pas sans esprit; mais, né triste et pesant,
Il veut être folâtre, évaporé, plaisant;

Il s'est fait de sa joie une loi nécessaire,

Et ne déplaît enfin que pour vouloir trop plaire.

La simplicité plaît sans étude et sans art.

Tout charme en un enfant dont la langue sans fard,
A peine du filet encor débarrassée,

Sait d'un air innocent bégayer sa pensée.

1

Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant ;
Mais la nature est vraie, et d'abord on la sent:
C'est elle seule en tout qu'on admire et qu'on aime.
Un esprit né chagrin plaît par son chagrin même
Chacun pris dans son air est agréable en soi :
Ce n'est que l'air d'autrui qui peut déplaire en moi.
Ce marquis étoit né doux, commode, agréable;
On vantoit en tous lieux son ignorance aimable.
Mais, depuis quelques mois devenu grand docteur,
Il a pris un faux air, une sotte hauteur;

Il ne veut plus parler que de rime et de prose;
Des auteurs décriés il prend en main la cause;
Il rit du mauvais goût de tant d'hommes divers,
Et va voir l'opéra seulement pour les vers.
Voulant se redresser, soi-même on s'estropie,
Et d'un original on fait une copie.

L'ignorance vaut mieux qu'un savoir affecté.
Rien n'est beau, je reviens, que par la vérité :

C'est par elle qu'on plaît, et qu'on peut longtemps plaire.
L'esprit lasse aisément, si le cœur n'est sincère.

En vain par sa grimace un bouffon odieux

A table nous fait rire, et divertit nos yeux :
Ses bons mots ont besoin de farine et de plâtre.
Prenez-le tête à tête, ôtez-lui son théâtre;

Ce n'est plus qu'un cœur bas, un coquin ténébreux;
Son visage essuyé n'a plus rien que d'affreux.
J'aime un esprit aisé qui se montre, qui s'ouvre,

Et qui plaît d'autant plus, que plus il se découvre.

Mais la seule vertu peut souffrir la clarté :

Le vice toujours sombre aime l'obscurité;

1. Le duc de Montausier.

Pour paroître au grand jour il faut qu'il se déguise;
C'est lui qui de nos mœurs a banni la franchise.
Jadis l'homme vivoit au travail occupé,
Et, ne trompant jamais, n'étoit jamais trompé :
On ne connoissoit point la ruse et l'imposture;
Le Normand même alors ignoroit le parjure;
Aucun rhéteur encore, arrangeant le discours,
N'avoit d'un art menteur enseigné les détours.
Mais sitôt qu'aux humains, faciles à séduire,
L'abondance eut donné le loisir de se nuire,
La mollesse amena la fausse vanité.

Chacun chercha pour plaire un visage emprunté :
Pour éblouir les yeux, la fortune arrogante
Affecta d'étaler une pompe insolente;
L'or éclata partout sur les riches habits;
On polit l'émeraude, on tailla le rubis;
Et la laine et la soie, en cent façons nouvelles,
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelles.
La trop courte beauté monta sur des patins;
La coquette tendit ses lacs tous les matins;
Et, mettant la céruse et le plâtre en usage,
Composa de sa main les fleurs de son visage.
L'ardeur de s'enrichir chassa la bonne foi:
Le courtisan n'eut plus de sentimens à soi.
Tout ne fut plus que fard, qu'erreur, que tromperie:
On vit partout régner la basse flatterie.

Le Parnasse surtout, fécond en imposteurs,
Diffama le papier par ses propos menteurs.
De là vint cet amas d'ouvrages mercenaires,
Stances, odes, sonnets, épîtres liminaires,
Où toujours le héros passe pour sans pareil,
Et, fût-il louche ou borgne, est réputé soleil.
Ne crois pas toutefois, sur ce discours bizarre,
Que, d'un frivole encens malignement avare,
J'en veuille sans raison frustrer tout l'univers.
La louange agréable est l'âme des beaux vers:
Mais je tiens, comme toi, qu'il faut qu'elle soit vraie,
Et que son tour adroit n'ait rien qui nous effraye.
Alors, comme j'ai dit, tu la sais écouter,

Et sans crainte à tes yeux on pourroit t'exalter.
Mais sans t'aller chercher des vertus dans les nues,
Il faudroit peindre en toi des vérités connues;
Décrire ton esprit ami de la raison,

Ton ardeur pour ton roi, puisée en ta maison;
A servir ses desseins ta vigilance heureuse;
Ta probité sincère, utile, officieuse.

Tel, qui hait à se voir peint en de faux portraits,

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