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Une injuste fureur qu'arme la piété?

Ces fureurs, jusqu'ici du vain peuple admirées,
Etoient pourtant toujours de l'Eglise abhorrées;
Et, dans ton grand crédit pour te bien conserver,
Il falloit que le ciel parût les approuver :
Ce chef-d'œuvre devoit couronner ton adresse
Pour y parvenir donc, ton active souplesse,
Dans l'école abusant tes grossiers écrivains,
Fit croire à leurs esprits ridiculement vains
Qu'un sentiment impie, injuste, abominable,
Par deux ou trois d'entre eux réputé soutenable,
Prenoit chez eux un sceau de probabilité',
Qui même contre Dieu lui donnoit sûreté ;
Et qu'un chrétien pouvoit, rempli de confiance,
Même en le condamnant, le suivre en conscience.
C'est sur ce beau principe, admis si follement,
Qu'aussitôt tu posas l'énorme fondement

De la plus dangereuse et terrible morale
Que Lucifer, assis dans sa chaire infernale,
Vomissant contre Dieu ses monstrueux sermons,
Ait jamais enseignée aux novices démons.
Soudain, au grand honneur de l'école païenne,
On entendit prêcher dans l'Église chrétienne
Que sous le joug du vice un pécheur abattu
Pouvoit, sans aimer Dieu ni même la vertu 2,
Par la seule frayeur au sacrement unie,
Admis au ciel, jouir de la gloire infinie;

Et que, les clefs en main, sur ce seul passe-port,
Saint Pierre à tous venans devoit ouvrir d'abord.
Ainsi, pour éviter l'éternelle misère

Le vrai zèle au chrétien n'étant plus nécessaire,
Tu sus, dirigeant bien en eux l'intention3,
De tout crime laver la coupable action.

Bientôt, se parjurer cessa d'être un parjure';
L'argent à tout denier se prêta sans usure;
Sans simonie, on put, contre un bien temporel.
Hardiment échanger un bien spirituel;

Du soin d'aider le pauvre on dispensa l'avare;
Et même chez les rois le superflu fut rare.
C'est alors qu'on trouva, pour sortir d'embarras,
L'art de mentir tout haut en disant vrai tout bass
C'est alors qu'on apprit qu'avec un peu d'adresse
Sans crime un prêtre peut vendre trois fois sa messe;

4. Voy. la cinquième Lettre provinciale de Pascal.
2. Voy. la dixième Provinciale.

3. Voy. la septième Provinciale. 4. Voy. la neuvième Provinciale. -5. Voy. la neuvième Provinciale.

Pourvu que, laissant là son salut à l'écart,
Lui-même en la disant n'y prenne aucune part'.
C'est alors que l'on sut qu'on peut pour une pomme,
Sans blesser la justice, assassiner un homme 2:
Assassiner! ah! non, je parle improprement;
Mais que, prêt à la perdre, on peut innocemment,
Surtout ne la pouvant sauver d'une autre sorte,
Massacrer le voleur qui fuit et qui l'emporte.
Enfin ce fut alors que, sans se corriger,

Tout pécheur.... Mais où vais-je aujourd'hui m'engager?
Veux-je d'un pape illustre3, armé contre tes crimes,
A tes yeux mettre ici toute la bulle en rimes;
Exprimer tes détours burlesquement pieux

Pour disculper l'impur, le gourmand, l'envieux;
Tes subtils faux-fuyans pour sauver la mollesse,
Le larcin, le duel, le luxe, la paresse,
En un mot, faire voir à fond développés
Tous ces dogmes affreux d'anathème frappés,
Que, sans peur débitant tes distinctions folles,
L'erreur encor pourtant maintient dans tes écoles?
Mais sur ce seul projet soudain puis-je ignorer
A quels nombreux combats il faut me préparer?
J'entends déjà d'ici tes docteurs frénétiques
Hautement me compter au rang des hérétiques,
M'appeler scélérat, traître, fourbe, imposteur,
Froid plaisant, faux bouffon, vrai calomniateur1,
De Pascal, de Wendrock copiste misérable;
Et, pour tout dire enfin, janséniste exécrable.
J'aurai beau condamner, en tous sens expliqués,
Les cinq dogmes fameux par ta main fabriqués',
Blâmer de tes docteurs la morale risible:
C'est, selon eux, prêcher un calvinisme horrible,

1. Voy. la septième Provinciale.

2. Voy. la quatorzième Provinciale.

3. Benoît Odescalchi, Innocent X.

4. Boileau, dans ces deux vers, transcrit en quelque sorte les premières lignes de la douzième Provinciale : « Mes révérends pères, j'étois prêt à vous écrire sur le sujet des injures que vous me dites depuis si longtemps dans vos écrits, où vous m'appelez impie, bouffon, ignorant, farceur, imposteur, calomniateur, fourbe, hérétique, calviniste déguisé, disciple de Dumoulin, possédé d'une légion de diables, et tout ce qu'il vous plaît.

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5. Pascal, né à Clermont, en Auvergne, en 1623, mort à Paris en 1662.

6. Wendrock est le nom que prit Nicole en traduisant en latin les Provinciales, et en y joignant des notes fort instructives.

7. Les cinq propositions qui se trouvent, dit-on, dans un in-folio intitulé Augustinus, composé par Jansénius, évêque d'Ypres.

C'est nier qu'ici-bas par l'amour appelé

Dieu pour tous les humains voulut être immolė.

Prévenons tout ce bruit: trop tard, dans le naufrage,
Confus on se repent d'avoir bravé l'orage.

Halte-là donc, ma plume. Et toi, sors de ces lieux,
Monstre à qui, par un trait des plus capricieux,
Aujourd'hui terminant ma course satirique,
J'ai prêté dans mes vers une âme allégorique.
Fuis, va chercher ailleurs tes patrons bien-aimés,
Dans ces pays par toi rendus si renommés,

Où l'Orne épand ses eaux, et que la Sarthe arrose';
Ou, si plus sûrement tu veux gagner ta cause,
Porte-la dans Trévoux, à ce beau tribunal
Où de nouveaux Midas un sénat monacal,
Tous les mois, appuyé de ta sœur l'Ignorance,
Pour juger Apollon tient, dit-on, så séance.

1. La Normandie et le Maine.

2. Les jésuites commencèrent en 1701 et continuèrent jusqu'à l'époque de leur destruction un journal littéraire, connu sous le nom de Journal de Trévoux. Boileau étoit mécontent de ce qu'ils avoient dit de lui dans leur cahier du mois de septembre 1703.

FIN DES SATIRES.

AU LECTEUR'

Je m'étois persuadé que la fable de l'huître, que j'avois mise à la fin de cette épître au roi, pourroit y délasser agréablement l'esprit des lecteurs qu'un sublime trop sérieux peut enfin fatiguer, joint que la correction que j'y avois mise sembloit me mettre à couvert d'une faute dont je faisois voir que je m'apercevois le premier; mais j'avoue qu'il y a eu des personnes de bon sens qui ne l'ont pas approuvée. J'ai néanmoins balancé longtemps si je l'ôterois, parce qu'il y en avoit plusieurs qui la louoient avec autant d'excès que les autres la blâmoient; mais enfin je me suis rendu å l'autorité d'un prince2, non moins considérable par les lumières de son esprit que par le nombre de ses victoires. Comme il m'a déclaré franchement que cette fable, quoique très-bien contée, ne lui sembloit pas digne du reste de l'ouvrage, je n'ai point résisté, j'ai mis une fin à ma pièce, et je n'ai pas cru, pour une vingtaine de vers, devoir me brouiller avec le premier capitaine de notre siècle. Au reste, je suis bien aise d'avertir le lecteur qu'il y a quantité de pièces impertinentes qu'on s'efforce de faire courir sous mon nom, et entre autres une satire contre les maltôtes ecclésiastiques. Je ne crains pas que les habiles gens m'attribuent toutes ces pièces, parce que mon style, bon ou mauvais, est aisé à reconnoître; mais comme le nombre des sots est grand, et qu'ils pourroient aisément s'y méprendre, il est bon de leur faire savoir que, hors les onze pièces qui sont dans ce livre, il n'y a rien de moi entre les mains du public ni imprimè, ni en manuscrit.

ÉPITRE I.

4669.

AU ROI.

CONTRE LES CONQUÈTES.

Grand roi, c'est vainement qu'abjurant la satire Pour toi seul désormais j'avois fait vœu d'écrire Dès que je prends la plume, Apollon éperdu Semble me dire: Arrête, insensé; que fais-tu?

4. Cet avertissement fut mis, en 1672, à la tête de la seconde édition de la première épître.

2. Condé.

Sais-tu dans quels périls aujourd'hui tu t'engages?
Cette mer où tu cours est célèbre en naufrages!

Ce n'est pas qu'aisément, comme un autre, à ton char
Je ne pusse attacher Alexandre et César;

Qu'aisément je ne pusse, en quelque ode insipide,
T'exalter aux dépens et de Mars et d'Alcide,
Te livrer le Bosphore, et, d'un vers incivil,
Proposer au sultan de te céder le Nil;
Mais, pour te bien louer, une raison sévère
Me dit qu'il faut sortir de la route vulgaire;
Qu'après avoir joué tant d'auteurs différens,
Phébus même auroit peur s'il entroit sur les rangs,
Que par des vers tout neufs, avoués du Parnasse,
Il faut de mes dégoûts justifier l'audace;

Et, si ma muse enfin n'est égale à mon roi,
Que je prête aux Cotins des armes contre moi.
Est-ce là cet auteur, l'effroi de la Pucelle,
Qui devoit des bons vers nous tracer le modèle,
Ce censeur, diront-ils, qui nous réformoit tous?
Quoi! ce critique affreux n'en sait pas plus que nous!
N'avons-nous pas cent fois, en faveur de la France,
Comme lui dans nos vers pris Memphis et Byzance,
Sur les bords de l'Euphrate abattu le turban,
Et coupé, pour rimer, les cèdres du Liban?
De quel front aujourd'hui vient-il, sur nos brisées,
Se revêtir encor de nos phrases usées?

Que répondrois-je alors? Honteux et rebuté,
J'aurois beau me complaire en ma propre beauté,
Et, de mes tristes vers admirateur unique,
Plaindre, en les relisant, l'ignorance publique.
Quelque orgueil en secret dont s'aveugle un auteur,
Il est fâcheux, grand roi, de se voir sans lecteur,
Et d'aller du récit de ta gloire immortelle
Habiller chez Francœur le sucre et la cannelle.
Ainsi, craignant toujours un funeste accident,
J'imite de Conrart' le silence prudent.

Je laisse aux plus hardis l'honneur de la carrière,
Et regarde le champ, assis sur la barrière.

Malgré moi toutefois un mouvement secret
Vient flatter mon esprit, qui se tait à regret.
Quoi! dis-je tout chagrin, dans ma verve infertile,
Des vertus de mon roi spectateur inutile,

Faudra-t-il sur sa gloire attendre à m'exercer

4. Fameux épicier. (B.)

2. Fameux académicien qui n'a jamais rien écrit. (B.) Les Mémoires de Conrart ont été publiés depuis.

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