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Souffrez donc, Milord, que je tâche d'élever à sa gloire un monument que je consacre encore plus à l'utilité du genre humain.

sous son règne, mais c'est lui qui les faisait.

BRIDAINE.

BRIDAINE (JACQUES) naquit dans le voisinage d'Uzès le 21 mars 1701. Son éloquence tenait tout de l'inspiration et rien de l'étude. Ses sermons ont été tous improvisés, et les fragments qu'on en a conservés sont dus en grande partie à l'abbé Maury, qui les a retenus de mémoire. L'élévation et l'énergie qu'on y remarque donnent la plus haute idée de l'éloquence de ce célèbre missionnaire, qui ne fit imprimer que des Cantiques spirituels.

Bridaine mourut à Roquemaure en 1767. Sa vie a été publiée par l'abbé Caron sous ce titre : le Modèle des Prêtres.

EXORDE D'UN SERMON PRONONCÉ DEVANT LA PLUS HAUTE COMPAGNIE DE LA CAPITALE.

A la vue d'un auditoire si nouveau pour moi, il semble, mes frères, que je ne devrais ouvrir la bouche que pour vous demander grâce en faveur d'un pauvre missionnaire dépourvu de tous les talents que vous exigez quand on vient vous parler de votre salut. J'éprouve cependant aujourd'hui un sentiment différent; et, si je suis humilié, gardez-vous de croire que je m'abaisse aux misérables inquiétudes de la vanité. A Dieu ne plaise qu'un ministre du ciel pense jamais avoir besoin d'excuse auprès de vous! car, qui que vous soyez, vous n'êtes, comme moi, que des pécheurs. C'est devant votre Dieu et le mien que je me sens pressé dans ce moment de frapper ma poitrine.

Jusqu'à présent j'ai publié les justices du Très-Haut dans des temples couverts de chaume; j'ai prêché les rigueurs de la pénitence à des infortunés qui manquaient de pain; j'ai annoncé aux bons habitants des campagnes les vérités les plus effrayantes de ma religion. Qu'ai-je fait? malheureux! j'ai contristé les pauvres, les meilleurs amis de

mon Dieu; j'ai porté l'épouvante et la douleur dans ces âmes simples et fidèles que j'aurais dû plaindre et consoler.

C'est ici, où mes regards ne tombent que sur des grands, sur des riches, sur des oppresseurs de l'humanité souffrante, ou des pécheurs audacieux et endurcis: ah! c'est ici seulement qu'il fallait faire retentir la parole sainte dans toute la force de son tonnerre, et placer avec moi dans cette chaire, d'un côté la mort qui nous menace, et de l'autre, mon grand Dieu qui vient vous juger. Je tiens aujourd'hui votre sentence à la main: tremblez donc devant moi, hommes superbes et dédaigneux qui m'écoutez! La nécessité du salut, la certitude de la mort, l'incertitude de cette heure si effroyable pour vous, l'impénitence finale, le jugement dernier, le petit nombre des élus, l'enfer, et par-dessus tout l'éternité, l'éternité! voilà les sujets dont je viens vous entretenir, et que j'aurais dû sans doute réserver pour vous seuls.

Et qu'ai-je besoin de vos peut-être sans vous sauver ? que son indigne ministre vous parlera; car j'ai acquis une expérience de ses miséricordes. Alors, pénétrés d'horreur pour vos iniquités passées, vous viendrez vous jeter entre mes bras en versant des larmes de componction et de repentir, et, à force de remords, vous me trouverez assez éloquent.

suffrages, qui me damneraient Dieu va vous émouvoir, tandis

L'ÉTERNITÉ.

Eh! sur quoi vous fondez-vous donc, mes frères, pour croire votre dernier jour si éloigné? Est-ce sur votre jeunesse ?-Oui, répondrez-vous; je n'ai encore que vingt ans, que trente ans. Ah! vous vous trompez du tout au tout. Non, ce n'est pas vous qui avez vingt ou trente ans, c'est la mort qui a déjà vingt ou trente ans d'avance sur vous, trente ans de grâce que Dieu a voulu vous accorder en vous laissant vivre, que vous lui devez, et qui vous ont rapprochés d'autant du terme où la mort doit vous achever. Prenez-y garde, l'éternité marque déjà sur votre front l'in

Eh! savez

stant fatal où elle va commencer pour vous. vous ce que c'est que l'éternité ? C'est une pendule dont le balancier dit et redit sans cesse ces deux mots, seulement, dans le silence des tombeaux: Toujours! jamais! Jamais! toujours! Et pendant ces effroyables révolutions, un réprouvé s'écrie: "Quelle heure est-il ?" et la voix d'un autre misérable lui répond; "L'éternité !"

DUCLOS.

DUCLOS (CHARLES-PINEAU), né à Dinan en 1704, a publié une Histoire de Louis XI et des Mémoires secrets des règnes de Louis XIV et de Louis XV; mais l'ouvrage qui a fait sa réputation comme écrivain et comme philosophe, c'est son livre intitulé Considérations sur les mœurs, œuvre remplie d'idées justes et profondes, et dont le style est remarquable par sa concision et son énergie.

Duclos admis à l'Académie française en 1747, en fut nommé secrétaire perpétuel en 1755.

Il mourut à Paris en 1773.

LES FRANÇAIS.

C'est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe,- -ni que le courage s'altère; il allie les qualités héroïques avec le plaisir, le luxe et la mollesse; ses vertus ont peu de consistance; ses vices n'ont point de racines. Le caractère d'Alcibiade n'est pas rare en France. Le dérèglement des mœurs et de l'imagination ne donne point atteinte à la franchise, à la bonté naturelle du Français. L'amour-propre contribue à le rendre aimable; plus il croit plaire, plus il a de penchant à aimer. La frivolité qui nuit au développement de ses talents et de ses vertus le préserve en même temps des crimes noirs et réfléchis. La perfidie lui est étrangère, et il est bientôt fatigué de l'intrigue. Le Français est l'enfant de l'Europe; si l'on a quelquefois vu parmi nous des crimes

odieux, ils ont disparu plutôt par le caractère national que par la sévérité des lois.

(Considérations sur les mœurs.)

BUFFON.

BUFFON (GEORGES-Louis LECLER DE) naquit à Montbar en Bourgogne le 7 septembre 1707. C'est un des plus grands naturalistes et un des écrivains français les plus remarquables. Considéré comme savant, il est aujourd'hui dépassé : les progrès qu'a faits la science, les découvertes nouvelles, ont détruit un grand nombre de ses observations; mais sa gloire comme écrivain est impérissable; et loin de diminuer, elle ne peut que s'accroître.

Son Histoire naturelle est un des plus admirables monuments qu'ait élevés le génie ; jamais la prose n'a déployé autant de richesses et de magnificence que dans cet ouvrage, où l'on trouve de nombreux passages écrits d'un style vraiment sublime. Il eut pour l'aider dans les 24 premiers volumes de cette vaste composition son ami, le modeste et savant Daubenton; Guéneau de Montbelliard et l'abbé Bexon furent ensuite associés à ce grand travail, auquel la vie d'un homme ne pouvait suffire.

Buffon, reçu membre de l'Académie française, y prononça, en 1753, un discours sur le style, qui est un de ses chefs-d'œuvre.

Il mourut à Paris le 16 avril 1788.

LE CHIEN.

Le chien, fidèle à l'homme, conservera toujours une portion de l'empire, un degré de supériorité sur les autres animaux ; il leur commande, il règne lui-même à la tête d'un troupeau, il s'y fait mieux entendre que la voix du berger; la sûreté, l'ordre et la discipline sont le fruit de sa vigilance et de son activité; c'est un peuple qui lui est soumis, qu'il conduit, qu'il protège, et contre lequel il n'emploie jamais la force que pour y maintenir la paix. Mais c'est surtout à la guerre, c'est contre les animaux ennemis ou indépendants, qu'éclate son courage, et que son intelligence se déploie

tout entière. Les talents naturels se réunissent ici aux qualités acquises. Dès que le bruit des armes se fait entendre, dès que le son du cor ou la voix du chasseur a donné le signal d'une guerre prochaine, brûlant d'une ardeur nouvelle, le chien marque sa joie par les plus vifs transports; il annonce par ses mouvements et par ses cris l'impatience de combattre et le désir de vaincre; marchant ensuite en silence, il cherche à reconnaître le pays, à découvrir, à surprendre l'ennemi dans son fort; il recherche ses traces, il les suit pas à pas, et par des accents différents indique le temps, la distance, l'espèce et même l'âge de celui qu'il poursuit.

Le chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les regards de l'homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rend le chien sauvage redoutable à tous les animaux, et cède, dans le chien domestique, aux sentiments les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire ; il vient en rampant mettre aux pieds de son maître son courage, sa force, ses talents; il attend ses ordres pour en faire usage; il le consulte, il l'interroge, il le supplie; un coup d'œil suffit, il entend les signes de sa volonté : sans avoir, comme l'homme, la lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment, il a de plus que lui la fidélité, la constance dans ses affections; nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle crainte que celle de déplaire; il est tout zèle, tout ardeur et tout obéissance; plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitements; il les subit, les oublie, ou ne s'en souvient que pour s'attacher davantage; loin de s'irriter ou de fuir, il s'expose de lui-même à de nouvelles épreuves; il lèche cette main, instrument de douleur, qui vient de le frapper; il ne lui oppose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la soumission.

Plus docile que l'homme, plus souple qu'aucun des animaux, non seulement le chien s'instruit en peu de temps, mais même il se conforme aux mouvements, aux manières,

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