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périence de tous les siècles. Tout ce que vous trouverez alors en vous de nouveau, sera peut-être un compte un peu plus grand que celui que vous auriez aujourd'hui à rendre ; et sur ce que vous seriez, si l'on venait vous juger en ce moment, vous pouvez presque décider ce qui vous arrivera au sortir de la vie.

Or, je vous demande, et je vous le demande frappé de terreur, ne séparant point en ce point mon sort du vôtre et me mettant dans la même disposition où je souhaite que vous entriez; je vous demande donc : Si Jésus-Christ paraissait dans ce temple, au milieu de cette assemblée, la plus auguste de l'univers, pour vous juger, pour faire le terrible discernement des boucs et des brebis, croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce que nous sommes ici fût placé à la droite? croyez-vous, du moins, que les choses fussent égales? croyez-vous qu'il s'y trouvât seulement dix justes, que le Seigneur ne put trouver autrefois en cinq villes tout entières? Je vous le demande, vous l'ignorez, et je l'ignore moi-même vous seul, ô mon Dieu, connaissez ceux qui vous appartiennent. Mais, si nous ne connaissons pas ceux qui lui appartiennent, nous connaissons, du moins, que les pécheurs ne lui appartiennent pas. Or, qui sont les fidèles ici assemblés ? Les titres et les dignités ne doivent compter pour rien; vous en serez dépouillés devant Jésus-Christ. Qui sont-ils? beaucoup de pécheurs qui ne veulent pas se convertir; encore plus qui le voudraient, mais qui diffèrent leur conversion; plusieurs autres qui ne se convertissent jamais que pour retomber; enfin, un grand nombre qui croient n'avoir pas besoin de conversion: voilà le parti des réprouvés. Retranchez ces quatre sortes de pécheurs de cette assemblée sainte, car ils en seront retranchés au grand jour; paraissez maintenant, justes; où êtes-vous ? Restes d'Israël, passez à la droite; froment de Jésus-Christ, démêlez-vous de cette paille destinée au feu. O Dieu! où sont vos élus, et que reste-t-il pour votre partage? ·

D'AGUESSEAU.

D'AGUESSEAU (HENRI-FRANÇOIS), chancelier de France, naquit à Limoges le 7 novembre 1668. Il puisa dans ses relations intimes avec Racine et Boileau l'amour des arts et des lettres, et l'habitude d'une élocution toujours noble et simple. Sous le rapport de l'étendue des connaissances, personne ne peut être comparé à Cicéron aussi justement que lui. On a dit de d'Aguesseau qu'il pensait en philosophe et qu'il parlait en orateur; son style cependant n'est pas toujours exempt de pompe et d'affectation. Quoi qu'il en soit, son talent lui a mérité, comme orateur et comme écrivain, une place éminente dans notre littérature. Ses œuvres ont été imprimées en 13 vol. in-4, 1759—1789, et en 16 vol. in-8, 1819. M. Rives a publié en outre, en 1824, des Lettres inédites, 1 vol. in-4, et 2 vol. in-8. Thomas a écrit l'Eloge de d'Aguesseau.

D'Aguesseau mourut le 9 février 1751.

LA SCIENCE.

Par elle, l'homme ose franchir les bornes étroites dans lesquelles il semble que la nature l'ait renfermé: citoyen de toutes les républiques, habitant de tous les empires, le monde entier est sa patrie. La science, comme un guide aussi fidèle que rapide, le conduit de pays en pays, de royaume en royaume ; elle lui en découvre les lois, les mœurs, la religion, le gouvernement: il revient chargé des dépouilles de l'Orient et de l'Occident; et, joignant les richesses étrangères à ses propres trésors, il semble que la science lui ait appris à rendre toutes les nations de la terre tributaires de sa doctrine.

Dédaignant les bornes des temps comme celles des lieux, on dirait qu'elle l'ait fait vivre long-temps avant sa naissance. C'est l'homme de tous les siècles, comme de tous les pays. Tous les sages de l'antiquité ont pensé, ont agi pour lui, ou plutôt il a vécu avec eux, il a entendu leurs leçons, il a été le témoin de leurs grands exemples. Plus attentif encore à exprimer leurs mœurs qu'à admirer leurs lumières, quel aiguillon leurs paroles ne laissent-elles pas dans son esprit? quelle sainte jalousie leurs actions n'allument-elles pas dans son cœur ?

Ainsi nos pères s'animaient à la vertu : une noble émula

tion les portait à rendre à leur tour Athènes et Rome jalouses de leur gloire; ils voulaient surpasser les Aristide en justice, les Phocion en constance, les Fabrice en modération, et les Caton même en vertu.

Que si les exemples de sagesse, de grandeur d'âme, de générosité, d'amour de la patrie, deviennent plus rares que jamais, c'est parce que la mollesse et la vanité de notre âge ont rompu les nœuds de cette douce et utile société que la science forme entre les vivants et les illustres morts dont elle ranime les cendres pour en former le modèle de notre conduite.

(Nécessité de la Science.)

L'ESPRIT.

Penser peu, parler de tout, ne douter de rien, n'habiter que les dehors de son âme, et ne cultiver que la superficie de son esprit, s'exprimer heureusement, avoir un tour d'imagination agréable, une conversation légère et délicate, et savoir plaire sans se faire estimer : être né avec le talent équivoque d'une conception prompte, et se croire par là au-dessus de la réflexion; voler d'objets en objets sans en approfondir aucun; cueillir rapidement toutes les fleurs, et ne donner jamais aux fruits le temps de parvenir à leur maturité : c'est une faible peinture de ce qu'il a plu à notre siècle d'honorer du nom d'esprit.

Esprit plus brillant que solide, lumière souvent trompeuse et infidèle, l'attention le fatigue, la raison le contraint, l'autorité le révolte; incapable de persévérance dans la recherche de la vérité, elle échappe encore plus à son inconstance qu'à sa paresse.

(Nécessité de la Science.)

*SAINT-SIMON.

* SAINT-SIMON (LOUIS DE ROUVROY, duc de) né à Paris en 1675, se livra de bonne heure à la carrière des armes. Après avoir succédé

à son père dans le gouvernement de Blaye et dans ses titres de duc et pair, il quitta l'armée et consacra tous ses instants à la diplomatie et à l'observation des intrigues de la cour. Après avoir joué un rôle politique fort important sous la régence du duc d'Orléans, il perdit son crédit à la mort de ce prince et se retira alors dans ses terres, où il écrivit ses Mémoires que M. Villemain appelle un recueil incomparable et le vrai siècle de Louis XIV.

Le duc de Saint-Simon mourut à Paris en 1755. L'édition complète de ses Mémoires n'a été publiée qu'en 1829-31, 21 vol. in—8.

UN TRAIT DU CZAR PIERRE.

Le czar avait déjà commencé ses voyages. Il a tant et si justement fait de bruit dans le monde, que je serai succinct sur un prince si grand et si connu, et qui le sera sans doute de la postérité la plus reculée, pour avoir rendu redoutable à toute l'Europe, et mêlé nécessairement dans les affaires de toute cette partie du monde, une cour qui n'en avait jamais été une, et une nation méprisée et entièrement ignorée pour sa barbarie. Ce prince était en Hollande à apprendre lui-même et à pratiquer la construction des vaisseaux. Bien qu'incognito, suivant sa pointe, et ne voulant point s'incommoder de sa grandeur ni de personne, il se faisait pourtant tout rendre, mais à sa mode et à sa façon.

Il trouva sourdement mauvais que l'Angleterre ne se fût pas assez pressée de lui envoyer une ambassade dans ce proche voisinage, d'autant que, sans se commettre, il avait fort envie de lier avec elle pour le commerce. Enfin l'ambassade arriva il différa de lui donner audience, puis donna le jour et l'heure, mais à bord d'un gros vaisseau hollandais qu'il devait aller examiner. Il y avait deux ambassadeurs qui trouvèrent le lieu sauvage; mais il fallut bien y passer. Ce fut bien pis quand ils furent arrivés à bord. Le czar leur fit dire qu'il était à la hune, et que c'était là où il les verrait. Les ambassadeurs, qui n'avaien pas le pied assez marin pour hasarder les échelles de corde s'excusèrent d'y monter: le czar insista, et voilà les ambas sadeurs fort troublés d'une proposition si étrange et s opiniâtre ; à la fin, à quelques réponses brusques aux der

niers messages, ils sentirent bien qu'il fallait sauter ce fâcheux bâton, et ils montèrent. Dans ce terrain si serré et si fort au milieu des airs, le czar les reçut avec la même majesté que s'il eût été sur son trône: il écouta la harangue, répondit obligeamment pour le roi et sa nation, puis se moqua de la peur qui était peinte sur le visage des ambassadeurs, et leur fit sentir en riant que c'était la punition d'être arrivés trop tard auprès de lui.

*SAURIN.

* JACQUES SAURIN, que sa mâle éloquence a fait surnommer le Bossuet de la chaire protestante, naquit à Nîmes le 6 Janvier 1677. D'abord militaire, il renonça à la carrière des armes pour devenir pasteur. Après un séjour de quatre ans à Londres, Saurin fut appelé à La Haye, où pendant vingt-cinq ans ce ministre éloquent déploya les talents qui l'ont placé au premier rang des orateurs sacrés. Il mourut le 30 décembre 1730.

Le style de cet écrivain n'est point toujours pur, égal, délicat et choisi; mais lorsque la verve l'anime, il est alors rapide, élevé, majestueux et rempli de sublimes images.

LA MORT EST LE TERME DE TOUTES LES GRANDEURS HUMAINES.

La mort est le terme où finissent les titres les plus spécieux, la gloire la plus éclatante, la vie la plus délicieuse; et je rappelle ici à mon esprit l'action mémorable d'un prince, idolâtre à la vérité, mais plus sage que beaucoup de chrétiens; je parle du grand Saladin. Après avoir asservi l'Égypte, après avoir passé l'Euphrate et conquis des villes sans nombre, après avoir repris Jérusalem et fait des actions au-dessus de l'homme, dans ces guerres que les chrétiens avaient entreprises pour le recouvrement des lieux saints, il finit sa vie par une action qui mérite d'être transmise à la postérité la plus reculée: un moment avant de

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