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Encor, s'il était là pour guider ton enfance,
Il m'en coûterait moins de t'éloigner de moi;
Mais tu n'as pas dix ans, et tu pars sans défense...
Que je vais prier Dieu pour toi !...

Que feras-tu, mon fils, si Dieu ne te seconde,
Seul, parmi les méchants (car il en est au monde),
Sans ta mère, du moins, pour t'apprendre à souffrir...
Oh! que n'ai-je du pain, mon fils, pour te nourrir !

Mais Dieu le veut ainsi : nous devons nous soumettre.
Ne pleure pas en me quittant;

Porte au seuil des palais un visage content.
Parfois mon souvenir t'affligera peut-être...
Pour distraire le riche il faut chanter pourtant.

Chante, tant que la vie est pour toi moins amère;
Enfant, prends ta marmotte et ton léger trousseau;
Répète, en cheminant, les chansons de ta mère,
Quand ta mère chantait autour de ton berceau.

Si ma force première encor m'était donnée,
J'irais, te conduisant moi-même par la main;
Mais je n'atteindrais pas la troisième journée;
Il faudrait me laisser bientôt sur ton chemin :
Et moi, je veux mourir aux lieux où je suis née.

Maintenant, de ta mère entends le dernier vœu :
Souviens-toi, si tu veux que Dieu ne t'abandonne,
Que le seul bien du pauvre est le peu qu'on lui donne.
Prie et demande au riche: il donne au nom de Dieu.
Ton père le disait; sois plus heureux: adieu.

Mais le soleil tombait des montagnes prochaines,
Et la mère avait dit: Il faut nous séparer;
Et l'enfant s'en allait à travers les grands chênes,
Se tournant quelquefois, et n'osant pas pleurer.

(Poèmes et chants élégiaques.)

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* ANCELOT (JACQUES-FRANÇOIS-POLICARPE-ARSENE) naquit au Havre le 9 janvier 1794. Dès le collége, il promettait de devenir un poète distingué. Il s'est placé en effet non loin de son compatriote C. Delavigne par sa belle tragédie classique de Louis IX, à laquelle succédèrent Fiesque et le Maire du palais. Parmi ses autres œuvres poétiques on remarque aussi un poème en 6 chants intitulé: Marie de Brabant. M. Ancelot n'est pas seulement un poète élégant et pur: il s'est montré écrivain dramatique plein de finesse et d'observation dans un grand nombre de comédies-vaudevilles, et prosateur agréable et facile dans son roman de l'Homme du monde. Sous le titre de Six mois en Russie, il a publié des lettres fort intéressantes adressées à son ami Saintine, l'auteur de Picciola.

M. Ancelot a été élu membre de l'Académie française le 25 février 1841.

* LOUIS IX À JOINVILLE.

Qu'entends-je ? il est donc vrai! Joinville aussi me blâme!
Mais sais-tu quels desseins je renferme en mon âme?
Sais-tu si les combats où je vous ai guidés

Par de grands intérêts n'étaient pas commandés ?
Tu ne vois que tes maux, ton désespoir m'accuse :
Eh bien! lis dans mon cœur, et connais mon excuse:
Vainement, tu le sais, au sein de nos remparts,
Je voulus appeler le commerce et les arts.

Ces comtes qui du haut de leurs châteaux antiques
Font gémir mes sujets sous leurs lois despotiques,
Tyrans dans mon royaume, et vassaux turbulents,
Sans relâche occupés de leurs débats sanglants,
Détruisaient mes travaux, déchiraient la patrie,
Dans son premier essor, arrêtaient l'industrie.
Divisés d'intérêts, unis contre leur roi,

Je les trouvais sans cesse entre mon peuple et moi.
Signalant tour à tour leurs fureurs inhumaines,
Ils promenaient la mort dans leurs vastes domaines,

Et des soldats français, l'un par l'autre immolés,
Le sang coulait sans gloire en nos champs désolés.
Je voulus, des combats leur ouvrant la carrière,
Offrir un but plus noble à cette ardeur guerrière :
Tu te souviens qu'alors de pieux voyageurs,
Pour nos frères captifs implorant des vengeurs,
D'un zèle saint en nous ranimèrent la flamme;
Aux regards des Français déployant l'oriflamme,
Je leur montre la gloire aux rives du Jourdain :
Ils entendent ma voix, s'arrêtent, et soudain,
Oubliant leurs discords et déposant leurs haines,
Ils marchent réunis vers ces plages lointaines.
Quels plus nobles dangers leur pouvaient être offerts?
Délivrer les chrétiens gémissant dans les fers,
Rendre Jérusalem à sa splendeur première,
En chasser l'infidèle, et rompre la barrière
Qui du tombeau sacré nous défendait l'accès!
Tel devait être, ami, le fruit de nos succès.
Là s'arrêtaient vos vœux, et non mon espérance.
Jette avec moi, Joinville, un regard sur la France:
Avant de condamner les serments que j'ai faits,
De ces combats lointains contemple les effets :
Libre de ses tyrans, mon peuple enfin respire;
La paix renaît en France, et la discorde expire;
Le commerce, avec nous transporté sur ces bords,
Aux peuples rapprochés prodigue ses trésors;
L'aspect de ces climats, depuis longtemps célèbres,
Déjà de l'ignorance éclaircit les ténèbres,
Et sur nos pas, les arts, allumant leur flambeau,
Vont remplir l'Occident de leur éclat nouveau ;
Déjà des grands vassaux l'autorité chancelle:
Je sais ce qu'entreprend leur audace rebelle,
Joinville; et, m'instruisant aux leçons du passé,
Je suivrai le chemin que Philippe a tracé.
Aux tyrans de mon peuple arrachant leur puissance,
Éveillant la justice, enchaînant la licence,
Au secours de mes lois j'appellerai les mœurs,
Je contiendrai les grands, et, malgré leurs clameurs,

Père de mes sujets, détruisant l'anarchie,
Je veux sur ces débris asseoir la monarchie.
Si Dieu, marquant ici le terme de mes jours,
Veut de tous mes travaux interrompre le cours,
Aux rois qui me suivront j'aurai frayé la route:
Vers ce but glorieux ils marcheront sans doute;
Et quelque jour, mon peuple, éclairé sur ses droits,
Chérira ma mémoire, et bénira mes lois.

(Louis IX, acte I, sc. 3.)

*A DE VIGNY.

FRAGMENT D'ELOA.

Tel retrouvant ses maux au fond de sa mémoire,
L'ange maudit pencha sa chevelure noire,

Et se dit, pénétré d'un chagrin infernal:

"— Triste amour du péché! Sombres désirs du mal!
De l'orgueil du savoir gigantesques pensées !
Comment ai-je connu vos ardeurs insensées ?
Maudit soit le moment où j'ai mesuré Dieu!
Simplicité du cœur à qui j'ai dit adieu,
Je tremble devant toi, mais pourtant je t'adore,
Je suis moins criminel, puisque je t'aime encore ;
Mais dans mon sein flétri tu ne reviendras pas !
Loin de ce que j'étais, quoi! j'ai fait tant de pas!
Et de moi-même à moi si grande est la distance
Que je ne comprends plus ce que dit l'innocence;
Je souffre, et mon esprit par le mal abattu
Ne peut plus remonter jusqu'à tant de vertu.

Qu'êtes-vous devenus, jours de paix, jours célestes ?
Quand j'allais, le premier de ces anges modestes,
Prier à deux genoux devant l'antique loi,

Et ne pensais jamais au-delà de la foi?
L'éternité pour moi s'ouvrait comme une fête;

Et des fleurs dans mes mains, des rayons sur ma tête,

Je souriais, j'étais.... j'aurais peut-être aimé !"
Le tentateur lui-même était presque charmé,
Il avait oublié son art et sa victime,

Et son cœur un moment se reposa du crime.
Il répétait tout bas et le front dans ses mains:
"Si je vous connaissais, ô larmes des humains!"

* SAINTE BEUVE.

* L'ÎLE SAINT-LOUIS.

Dans l'île Saint-Louis, le long d'un quai désert,
L'autre soir je passais; le ciel était couvert,
Et l'horizon brumeux eût paru noir d'orages,
Sans la fraîcheur du vent qui chassait les nuages:
Le soleil se couchait sous de sombres rideaux;
La rivière coulait verte entre les radeaux;
Aux balcons çà et là quelque figure blanche
Respirait l'air du soir;-et c'était un dimanche.
Le dimanche est pour nous le jour du souvenir;
Car, dans la tendre enfance, on aime à voir venir,
Après les soins comptés de l'exacte semaine
Et les devoirs remplis, le soleil qui ramène
Le loisir et la fête, et les habits parés,

Et l'église aux doux chants, et les jeux dans les prés;
Et plus tard, quand la vie, en proie à la tempête,
Ou stagnante d'ennui, n'a plus loisir ni fête,
Si pourtant nous sentons, aux choses d'alentour,
A la gaîté d'autrui, qu'est revenu ce jour;
Par degrés attendris jusqu'au fond de notre âme,
De nos beaux ans brisés nous renouons la trame,
Et nous nous rappelons nos dimanches d'alors,
Et notre blonde enfance, et ses rians trésors.
Je rêvais donc ainsi, sur ce quai solitaire,
A mon jeune matin si voilé de mystère,
A tant de pleurs obscurs en secret dévorés,
A tant de biens trompeurs ardemment espérés,

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