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Soldats, pourquoi ces pleurs, ce deuil silencieux ?
Un jour vous oublierez ces funestes adieux;
L'homme qui, du désert, osa frayer les routes,
Vous le retrouverez dans ces sanglantes joutes
Où, de l'Europe entière acceptant les défis,
La France belliqueuse appellera ses fils.
Chargé d'autres lauriers, sur la terre natale,
Il chérira toujours sa gloire orientale;
Et tandis que ses vœux pressent votre retour,
Les pompes de l'Egypte embellissent sa cour;
Et dans le Carrousel, les Mameluks du Caire,
Ornent de leurs turbans sa garde consulaire.
Et vous qui, plus heureux, vainqueurs d'un long exil,
Aujourd'hui pour la France abandonnez le Nil,
Lieutenants du héros dès ses jeunes années,
A son noble avenir liez vos destinées;

Un jour, sous son manteau semé d'abeilles d'or,
Géants républicains, vous grandirez encor;
Sa main, en vous jetant des fiefs héréditaires,
Chargera de fleurons vos casques militaires.
Eckmuhl, Montebello, Berg, Frioul, Neufchâtel,
Vous donnerez au camp un blason immortel!
Le glaive impérial qui détruit et qui sonde,
Pour vous, en écussons, découpera le monde ;
Et devant l'ennemi, sous le feu des canons,
D'un baptême de sang anoblira vos noms!

Dans ce drame éclatant de quatorze ans de gloire,
Commencé sur le Nil, achevé sur la Loire,
Vous reverrez un jour vos généraux vieillis,
Soldats du mont Thabor ou d'Héliopolis!
Vos drapeaux, qu'agita l'aquilon d'Idumée,
Marcheront les premiers devant la Grande-Armée ;
Vos pas ébranleront tout le Nord chancelant
Aux plaines d'Austerlitz, d'Iena, de Friedland;
Jours de fête, où perçant un rideau de nuages,
Le soleil dardera ses lumineux présages.
Bientôt, des bords du Rhin, vers l'Asie élancés,

Emules rajeunis de vos travaux passés,
Epouvantant des czars la sainte métropole,
Vous irez dans Moscou chercher la clef du pôle ;
Et quand, pour échapper à vos puissantes mains,
Le pôle, sous vos pieds, glacera ses chemins ;
Quand les rois, secouant leur stupeur léthargique,
Convoqueront l'Europe aux champs de la Belgique,
Une dernière fois, parés des trois couleurs,

Soldats, vous combattrez dans ce vallon de pleurs,
Où la France, portant son dernier coup d'épée,
Tombera digne d'elle, au visage frappée !!!
Alors de ce grand siècle, étonné de finir,
Plus rien ne restera qu'un morne souvenir.
Sur une île de rocs, dans l'Océan jetée,
La gloire et le génie auront leur Prométhée,
Et les rois, l'enchaînant à cet écueil lointain,
Au vautour britannique, offriront un festin.
Des nations en deuil, sublimes mandataires,
Trois hommes le suivront sur les mers solitaires ;
Ils formeront la cour de son étroit palais,
Et, sur un sol impur, sous un soleil anglais,
Volontaires captifs, dans l'île sépulcrale,
Serviront sans témoins son ombre impériale.
Ainsi, quand sous la voûte aux funèbres parois,
Memphis vit enfermer le plus grand de ses rois,
Consacrant à la mort un culte légitime,
D'étranges courtisans suivirent la victime;
Et d'une gloire éteinte escortant les débris,
Vivants, dans son tombeau, gardèrent Sésostris !!!

(Napoléon en Egypte.)

FIN.

SUPPLÉMENT.

LA faveur rapide et marquée qu'ont obtenue les Leçons et modèles de littérature française nous imposait le devoir d'en publier une édition nouvelle et complètement revue. C'est ce que nous faisons aujourd'hui. Jaloux de mériter de plus en plus la bienveillance et l'appui d'un public impartial et éclairé, nous ne nous sommes pas borné à faire disparaître les quelques fautes typographiques qu'on peut reprocher aux premiers tirages de notre livre : nous avons voulu lui donner un nouvel et puissant attrait, en l'augmentant d'un Supplément uniquement consacré à la littérature du XIXe siècle. On remarquera peut-être que les noms nouveaux sont en assez petit nombre; mais, fidèle au plan que nous a tracé M. Chapsal, nous n'avons voulu admettre dans notre Supplément que des écrivains d'un mérite incontestable et qui nous paraissent appelés à survivre à leur époque. Quant aux morceaux choisis par nous, ils ne peuvent manquer d'intéresser vivement nos lecteurs, car la plupart sont de date toute récente, et pas un seul peut-être n'a encore été publié dans un recueil du genre de celui-ci. Aussi espérons-nous que cette seconde partie de notre travail ne sera pas moins favorablement reçue que la première.

New York, Mars 1846.

G. C.

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* SEGUR (LOUIS PHILIPPE, Comte de) est né à Paris le 11 décembre, 1753. Il fit la guerre d'Amérique avec Lafayette; puis, malgré sa jeufut envoyé comme ambassadeur auprès de Catherine II. Les Mémoires si intéressants de M. de Ségur retracent cette première partie de sa longue et honorable carrière, qu'il a lui-même esquissée en disant gaîment: "Le hasard a voulu que je fusse successivement, colonel, officier général, ambassadeur, poète, auteur dramatique, publiciste, historien, député, conseiller d'Etat, sénateur, académicien (1793) et pair de France."-On a de lui un grand nombre d'ouvrages parmi lesquels on remarque surtout: la Galerie morale et politique, des Pensées, des Contes, Fables et Chansons et une Histoire universelle, ouvrage remarquable bien que peu scientifique, mais d'une lecture intéressante et d'un style pur et animé. Ses Œuvres complètes ont été publiées par Eymery en 33 vol. in-8.

L. Ph. de Ségur est mort à Paris le 27 août, 1830. Son fils le comte Paul Philippe de Ségur, né à Paris en 1780 et membre de l'Académie depuis 1830, s'est rendu célèbre par une histoire de la Campagne de Russie, ouvrage qui a joui d'une vogue immense, mais que l'Histoire de l'Empire de M. Thiers doit bientôt faire oublier. Il n'y a que des biographes ignorants qui puissent attribuer l'Histoire universelle à l'auteur de la Campagne de Russie.

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La forteresse de West-Point, située sur un mont escarpé un pied duquel coule la rivière du Nord ou d'Hudson, était doublement fortifiée par la nature, par l'art, et regardée comme inexpugnable. Ce fut ce poste important, appelé à juste titre la clef des Etats-Unis, que le traître Arnold voulut livrer aux Anglais.

A West-Point plus qu'en tout autre endroit, on est saisi d'étonnement à l'aspect de cette rivière du Nord, dont la largeur est d'une lieue, que des bâtiments de guerre remontent jusqu'à Albany, et qui coule entre deux chaînes de montagnes alors inhabitées, couvertes de pins, d'antiques chênes et de noirs cyprès.-Cette vue âpre et sauvage m'inspirait

(1) Nous rappelons que cet astérisque (*) indique les écrivains ou les morceaux étrangers au livre de M. Chapsal.

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