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LA PAUVRE FILLE.

J'ai fui ce pénible sommeil

Qu'aucun songe heureux n'accompagne ;
J'ai devancé sur la montagne

Les premiers rayons du soleil.

S'éveillant avec la nature,

Le jeune oiseau chantait sur l'aubépine en fleurs,
Sa mère lui portait la douce nourriture;
Mes yeux se sont mouillés de pleurs.

Oh! pourquoi n'ai-je pas de mère ? Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau, Dont le nid se balance aux branches de l'ormeau ? Rien ne m'appartient sur la terre,

Je n'eus pas même de berceau,

Et je suis un enfant trouvé sur une pierre,
Devant l'église du hameau.

Loin de mes parents exilée,
De leurs embrassements j'ignore la douceur,
Et les enfants de la vallée

Ne m'appellent jamais leur sœur!
Je ne partage pas les jeux de la veillée
Jamais sous son toit de feuillée

Le joyeux laboureur ne m'invite à m'asseoir,
Et de loin je vois sa famille,

Autour du sarment qui pétille,
Chercher sur ses genoux les caresses du soir.

Vers la chapelle hospitalière

En pleurant j'adresse mes pas,
La seule demeure ici-bas

Où je ne sois point étrangère,

La seule devant moi qui ne se ferme pas!

Souvent je contemple la pierre
Où commencèrent mes douleurs ;
J'y cherche la trace des pleurs

Qu'en m'y laissant, peut-être, y répandit ma mère.

Souvent aussi mes pas errants
Parcourent des tombeaux l'asile solitaire
Mais pour moi les tombeaux sont tous indifférents.
La pauvre fille est sans parents
Au milieu des cercueils ainsi que sur la terre!

J'ai pleuré quatorze printemps
Loin des bras qui m'ont repoussée;
Reviens, ma mère, je t'attends
Sur la pierre où tu m'as laissée !

LAMARTINE.

LAMARTINE (ALPHONSE DE) est né à Mâcon, le 21 octobre 1790. Son nom de famille est de Prat; il prit plus tard celui d'un oncle maternel. Il s'est placé par ses Méditations poétiques, qui parurent en 1820, au premier rang de nos poètes lyriques; les Nouvelles Méditations poétiques, quoique étincelantes de beautés, eurent moins de succès que les premières. Après la Mort de Socrate, le Pèlerinage de Childe-Harold, et le Chant du sacre, productions faibles, parurent les Harmonies poétiques, œuvre digne de figurer à côté des premières Méditations. M. de Lamartine a publié sous le titre de Jocelyn et sous celui de la Chute d'un ange deux épisodes d'un poème conçu dans de vastes proportions. Ces ouvrages, où l'on retrouve une partie du talent et de l'imagination brillante de l'auteur, sont, comme forme, une tentative nouvelle, un essai auquel, nous l'espérons, le poète soigneux de sa gloire ne donnera pas de suite. Entre les Premières Méditations et la Chute d'un ange ou les Recueillements poétiques, il y a tout un abîme. On doit encore à M. de Lamartine un ouvrage en prose intitulé Voyage en Orient: c'est un livre plein de charme et d'intérêt.

M. de Lamartine, membre de l'Académie française, depuis 1830, a été nommé député en 1834 Aujourd'hui l'homme politique a absorbé le poète, fait fâcheux que les amants de la suave poésie ne sauraient assez déplorer.

LE PAPILLON.

Naître avec le printemps, mourir comme les roses,
Sur l'aile du Zéphyr nager dans un ciel pur,
Balancer sur le sein des fleurs à peine écloses,
S'enivrer de parfums, de lumière et d'azur,
Secouant, jeune encor, la poudre de ses ailes,
S'envoler comme un souffle aux voûtes éternelles,
Voilà du papillon le destin enchanté :

Il ressemble au désir, qui jamais ne se pose,
Et, sans se satisfaire, effleurant toute chose,
Retourne enfin au ciel chercher la volupté.

* L'AUTOMNE.

Salut, bois couronnés d'un reste de verdure!
Feuillages jaunissans sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours! le deuil de la nature
Convient à ma douleur et plait à mes regards.

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire ;
J'aime à revoir encor pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois.

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
A ses regards voilés je trouve plus d'attraits;
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais.

Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui.

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau !

L'air est si parfumé! la lumière est si pure!
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau!

Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel:

Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel !

Peut-être l'avenir me gardait-il encore

Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu!
Peut-être dans la foule une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme et m'aurait répondu !...

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphyre;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux;

Moi je meurs et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.

(Méditations.)

VERS ÉCRITS SUR UN ALBUM.

Le livre de la vie est un livre suprême
Qu'on ne peut ni fermer, ni rouvrir à son choix;
Le passage adoré ne s'y lit qu'une fois,

Et le feuillet fatal se tourne de lui-même.

On voudrait revenir à la page où l'on aime....
Et la page où l'on meurt est déjà sous nos doigts.

C. DELAVIGNE.

DELAVIGNE (JEAN-FRANÇOIS-CASIMIR) naquit au Havre au mois d'avril 1793. Un fort beau dithyrambe commença, dès le collége, la réputation de celui qui devait rendre au théâtre la langue pure et mélodieuse de Racine. Les Messéniennes, dont les trois premières parurent en 1815, eurent un succès qu'aucune œuvre lyrique n'avait obtenu auparavant. La France tout entière applaudit avec enthousiasme au jeune poète qui s'était fait le noble interprète de ses douleurs et de

ses espérances. Les Vêpres siciliennes, représentées en 1821, furent pour C. Delavigne, l'occasion d'un nouveau triomphe. Aucune pièce, à l'exception du Cid, n'avait été accueillie avec une faveur aussi éclatante. Depuis cette époque, chaque œuvre du poète a ajouté à sa réputation. Le Paria, Marino, Louis XI, les Enfants d'Edouard, la Fille du Cid, les Comédiens, l'Ecole des vieillards, la Popularité, etc., sont des ouvrages qui restent dans toutes les mémoires, et dont la place est déjà marquée parmi les chefs-d'œuvre de notre théâtre.

C. Delavigne, élu à l'unanimité par l'Académie française en 1825, a rencontré, dans ses dernières années, une critique un peu trop sévère à son égard.-Ce poète élégant et chaste est mort à Lyon le 14 décembre 1843. Quelques heures avant sa mort, il récitait des vers de Mélusine, tragédie qu'il n'a pas eu le temps d'achever.

LA MORT DE JEANNE D'ARC.

A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers ?
Pour qui ces torches qu'on excite ?
L'airain sacré tremble et s'agite...

D'où vient ce bruit lugubre? où courent ces guerriers,
Dont la foule à longs flots roule et se précipite?

La joie éclate sur leurs traits,

Sans doute l'honneur les enflamme;

Ils vont pour un assaut former leurs rangs épais ?
Non, ces guerriers sont des Anglais

Qui vont voir mourir une femme.

Qu'ils sont nobles dans leur courroux!

Qu'il est beau d'insulter au bras chargé d'entraves!
La voyant sans défense, ils s'écriaient, ces braves :
Qu'elle meure! elle a contre nous

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Des esprits infernaux suscité la magie...”

Lâches, que lui reprochez-vous ?
D'un courage inspiré la brûlante énergie,
L'amour du nom français, le mépris du danger,
Voilà sa magie et ses charmes ;

En faut-il d'autres que des armes

Pour combattre, pour vaincre et punir l'étranger?

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