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Quoi donc un écrivain veut que son nom partage
Le tribut de louange offert à son ouvrage,

Et m'impute à forfait, s'il blesse la raison,

De la venger d'un vers égayé de son nom!
Comptable de l'ennui dont sa muse m'assomme,
Pourquoi s'est-il nommé, s'il ne veut qu'on le nomme?
Je prétends soulever les lecteurs détrompés
Contre un auteur bouffi de succès usurpés ;
Sous une périphrase étouffant ma franchise,
Au lieu de d'Alembert, faut-il donc que je dise:
C'est ce joli pédant, géomètre orateur,
De l'Encyclopédie ange conservateur,

Dans l'histoire chargé d'inhumer ses confrères,
Grand homme, car il fait leurs extraits mortuaires.
Si j'évoque jamais du fond de son journal,
Des sophistes du temps l'adulateur banal,
Lorsque son nom suffit pour exciter le rire,
Dois-je, au lieu de La Harpe, obscurément écrire :
C'est ce petit rimeur, de tant de prix enflé,
Qui sifflé pour ses vers, pour sa prose sifflé,
Tout meurtri des faux pas de sa muse tragique,
Tomba de chute en chute au trône académique?
Ces détours sont d'un lâche et malin détracteur;
Je ne veux point offrir d'énigmes au lecteur.

(Mon Apologie.)

PARNY.

PARNY (EVARISTE-DÉSIRÉ DESFORGES, chevalier de) naquit à l'Ile-Bourbon, le 6 février 1753. Ce poète sut, à une époque où le mauvais goût dominait, rester constamment pur, élégant et naturel. Jamais dans ses vers la recherche et l'affectation n'altérèrent la naïveté ou la grâce du sentiment. Parny s'est placé presque au niveau des écrivains classiques du dix-septième siècle. Ses Poésies élégiaques sont

des chefs-d'œuvre de style, et ses petits poèmes des Tableaux et des Fleurs brillent particulièrement de ces couleurs douces et suaves dont il a embelli toutes ses compositions.

Parny mourut à Paris, le 5 décembre 1814. Il était membre de l'Académie depuis 1803.

LE RÉVEIL D'UNE MÈRE.

Un sommeil calme et pur comme sa vie,
Un long sommeil a rafraîchi ses sens.
Elle sourit et nomme ses enfants.
Adèle accourt, de son frère suivie ;
Tous deux du lit assiégent le chevet;
Leurs petits bras étendus vers leur mère,
Leurs yeux naïfs, leur touchante prière,
D'un seul baiser implorent le bienfait.
Céline alors, d'une main caressante,
Contre son sein les presse tour à tour,
Et de son cœur la voix reconnaissante
Bénit le ciel et rend grâce à l'amour :
Non cet amour que le caprice allume,
Ce fol amour qui, par un doux poison
Enivre l'âme et trouble la raison,
Et dont le miel est suivi d'amertume;
Mais ce penchant, par l'estime épuré,
Qui ne connaît ni transport, ni délire,
Qui sur le cœur exerce un juste empire,
Et donne seul un bonheur assuré.
Bientôt Adèle a repris sa poupée ;
A la parer, gravement occupée,
Sur ses devoirs lui fait un long discours,
L'écoute ensuite, et répondant toujours
A son silence, elle gronde et pardonne,
La gronde encore, et sagement lui donne
Tous les avis qu'elle-même a reçus,
En ajoutant: Surtout, ne mentez plus.
Un bruit soudain la trouble et l'intimide;
Son jeune frère, écuyer intrépide,

Caracolant sur un léger bâton,
Avec fracas traverse le salon,
Qui retentit de sa course rapide.

A cet aspect, dans les yeux de sa sœur,
L'etonnement se mêle à la tendresse ;
Du cavalier elle admire l'adresse,

Et sa raison condamne avec douceur
Ce jeu nouveau qui peut être funeste.
Vaine leçon! il rit de sa frayeur;

Des pieds, des mains, de la voix et du geste,
De son coursier il hâte la lenteur.

Mais le tambour au loin s'est fait entendre ; D'un cri de joie il ne peut se défendre. Il voit passer les poudreux escadrons; De la trompette et des aigres clairons, Le son guerrier l'anime; il veut descendre, Il veut combattre ; il s'arme, il est armé. Un chapeau rond, surmonté d'un panache, Couvre à demi son front plus enflammé ; A son côté fièrement il attache Le bois paisible en sabre transformé : Il va partir; mais Adèle tremblante, Courant à lui, le retient dans ses bras, Verse des pleurs, et ne lui permet pas De se ranger sous l'enseigne flottante. De l'amitié le langage touchant Fléchit enfin ce courage rebelle; Il se désarme, il s'assied auprès d'elle, Et, pour lui plaire, il redevient enfant. A tous ces jeux Céline est attentive, Et lit déjà dans leur âme naïve Les passions, les goûts et le destin Que leur réserve un avenir lointain.

*

VERS SUR LA MORT D'UNE JEUNE FILLE.

Son âge échappait à l'enfance.

Riante, comme l'innocence,

Elle avait les traits de l'Amour.

Quelques mois, quelques jours encore,
Dans ce cœur pur et sans détour
Le sentiment allait éclore.
Mais le ciel avait au trépas
Condamné ses jeunes appas.
Au ciel elle a rendu sa vie,
Et doucement s'est endormie,
Sans murmurer contre ses lois.
Ainsi le sourire s'efface;

Ainsi meurt sans laisser de trace

Le chant d'un oiseau dans les bois.

(Mélanges.)

FLORIAN.

FLORIAN (JEAN-PIERRE CLARIS DE) naquit, le 6 mars 1755, au château de Florian (Basses-Cévennes). Il puisa dans sa première éducation, à laquelle présida Gilette de Salgues, sa mère, Castillane d'origine, un goût très vif pour la littérature espagnole, et il sentit l'amour de la poésie s'éveiller en lui pendant le séjour qu'il fit à Ferney auprès de Voltaire. Le nom de Florianet, sous lequel le désignait l'auteur de la Henriade, peint assez bien l'esprit et le talent de Florian. Ses Fables sont aujourd'hui son véritable titre de gloire; ses ouvrages dramatiques, ses Poèmes et ses Nouvelles sont des compositions fades dont la lecture est peu attrayante; mais une douce philosophie, une piquante naïveté, une imagination gracieuse brillent dans ses fables; et il s'est fait une réputation durable dans un genre où La Fontaine semblait avoir rendu le succès impossible.

Florian entra à l'Académie française en 1788, et mourut à Sceaux, en 1794.

L'AVARE ET SON FILS.

Par je ne sais quelle aventure,

Un avare, un beau jour, voulant se bien traiter,
Au marché courut acheter

Des pommes pour sa nourriture.

Dans son armoire il les porta,

Les compta, rangea, recompta,

Ferma les doubles tours de sa double serrure,
Et chaque jour les visita.

Ce malheureux, dans sa folie,
Les bonnes pommes ménageait ;

Mais lorsqu'il en trouvait quelqu'une de pourrie,
En soupirant il la mangeait.

Son fils, jeune écolier, faisant fort maigre chère,
Découvrit à la fin, les pommes de son père.
Il attrape les clés, et va dans ce réduit,
Suivi de deux amis d'excellent appétit
Or vous pouvez juger le dégât qu'ils y firent,
Et combien de pommes périrent!

L'avare arrive en ce moment,

De douleur, d'effroi palpitant:

"Mes pommes, criait-il, coquins, il faut les rendre, Ou je vais tous vous faire pendre.

Mon père, dit le fils, calmez-vous, s'il vous plaît;
Nous sommes d'honnêtes personnes :
Et quel tort vous avons-nous fait ?
Nous n'avons mangé que les bonnes."

(Liv. Iv, fab. x.)

LE JEUNE HOMME ET LE VIEILLARD.

"De grâce, apprenez-moi comment on fait fortune,
Demandait à son père un jeune ambitieux.
- Il est, dit le vieillard, un chemin glorieux,
C'est de se rendre utile à la cause commune,
De prodiguer ses jours, ses veilles, ses talents,
Au service de la patrie.

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Oh! trop pénible est cette vie;

Je veux des moyens moins brillants.

Il en est de plus sûrs, l'intrigue...-Elle est trop vile. Sans vice et sans travail je voudrais m'enrichir.

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