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LE FRANC DE POMPIGNAN.

LE FRANC (JEAN-JACQUES, marquis de POMPIGNAN) naquit à Montauban le 10 août 1709. Il fit représenter à l'âge de vingt-cinq ans sa tragédie de Didon, qui fit concevoir des espérances qu'il n'a pas réalisées. Reçu à l'Académie française, en 1759, il attaqua maladroitement, dans son discours de réception, les philosophes aux suffrages desquels il devait son élection: une conspiration générale s'ourdit contre lui; on attaqua non pas seulement l'écrivain, mais l'homme et le chrétien. Le Franc n'osant plus se présenter nulle part abandonna Paris, et tomba dans une noire mélancolie, puis dans un état complet de folie. Dans quelques unes de ses odes et de ses poésies sacrées, on trouve de l'élévation, une hardiesse souvent poétique, et cette chaleur qui manque dans toutes ses autres compositions.

Il mourut à Montauban le 1er novembre 1784.

LA MORT DE J.-B. ROUSSEAU.

Quand le premier chantre du monde
Expira sur les bords glacés

Où l'Ebre, effrayé dans son onde,
Reçut ses membres dispersés,
Le Thrace errant sur les montagnes
Remplit les bois et les campagnes
Du cri perçant de ses douleurs ;
Les champs de l'air en retentirent,
Et dans les antres qui gémirent
Le lion répandit des pleurs.

La France a perdu son Orphée;
Muses, dans ces moments de deuil,

Elevez le pompeux trophée

Que vous demande son cercueil;
Laissez, par de nouveaux prodiges,
D'éclatants et dignes vestiges

D'un jour marqué par vos regrets.

Ainsi, le tombeau de Virgile

Est couvert du laurier fertile

Qui par vos soins ne meurt jamais.

D'une brillante et triste vie,
Rousseau quitte aujourd'hui les fers,
Et, loin du ciel de sa patrie,

La mort termine ses revers.

D'où ses maux ont-ils pris leur source?
Quelles épines, dans sa course
Etouffaient les fleurs sous ses pas?
Quels ennuis, quelle vie errante!
Et quelle foule renaissante
D'adversaires et de combats!

Le Nil a vu sur ses rivages
Les noirs habitants des déserts

Insulter par leurs cris sauvages
L'astre éclatant de l'univers.
Cris impuissants, fureurs bizarres !
Tandis que ces monstres barbares
Poussaient d'insolentes clameurs,
Le dieu, poursuivant sa carrière,
Versait des torrents de lumière
Sur ces obscurs blasphémateurs.

Favoris, élèves dociles

De ce ministre d'Apollon,

Vous à qui ses conseils utiles
Ont ouvert le sacré vallon:
Accourez, troupe désolée,
Déposez sur mon mausolée
Votre lyre qu'il inspirait!
La mort a frappé votre maître,
Et d'un souffle a fait disparaître
Le flambeau qui vous éclairait.

(Odes.)

SAINT-LAMBERT.

SAINT-LAMBERT (CHARLES-FRANÇOIS, marquis de) naquit à Vézelise (Lorraine,) en 1717. Il dut à l'amitié et au patronage de Voltaire une grande partie de la réputation qu'il eut de son vivant; mais la postérité, toujours équitable, n'a pas confirmé les jugements, ou plutôt les éloges de Voltaire. Le poème des Saisons, composition médiocre dans son ensemble, renferme quelques épisodes écrits avec correction et élégance; mais on ne trouve nulle part la trace du poète; rien n'y est écrit d'inspiration; c'est une œuvre froide, morne, inanimée, qu'on a trop louée autrefois, qu'on loue encore trop aujourd'hui, et qu'on finira par ne plus louer du tout.

Des poésies légères qui ne manquent ni de charme ni d'harmonie, et des Fables orientales imitées de Saadi, tels sont les titres littéraires de ce poète.

Saint-Lambert entra à l'Académie en 1770, et mourut à Paris le 11 février 1803.

DÉSILLUSION.

J'espérais autrefois: espérer c'est jouir.
Mais le temps fait évanouir
Ces chimériques jouissances;
Il m'en fait voir la vanité,
Sans me rendre en réalité

Ce qu'il m'enlève en espérances.

Je perds tous les objets qu'il ôte à mes désirs;
De l'avenir trompeur j'ai perdu les plaisirs.
Sous ses voiles obscurs, au printemps de mon âge,
Je voyais tous les biens qu'il allait m'apporter ;
Quand d'un œil plus certain j'en perce le nuage,
Je vois trop aujourd'hui tout ce qu'il va m'ôter;
J'aimais à le prévoir, je perds à le connaître :
J'espérais l'instant où je suis,

Je crains l'instant où je dois être.

(Poésies diverses.)

DESMAHIS.

DESMAHIS (JOSEPH-FRANÇOIS-EDOUARD DE CORSEMBLEU) naquit à Sully-sur-Loire le 3 février 1722. Il débuta sous les auspices de Voltaire par des poésies légères remarquables par la facilité, la grâce et l'élégance Il donna ensuite au théâtre l'Impertinent, petite comédie remplie de détails agréables et dialoguée avec autant d'esprit que de naturel. Le brillant succès qu'elle obtint engagea l'auteur à travailler pour la scène; mais une mort prématurée l'enleva à ses travaux avant qu'il eût achevé une comédie intitulée l'Honnête homme, dont on a publié les principaux fragments. On doit à Desmahis le Triomphe du sentiment, et la Veuve coquette, comédies qui n'ont point été représentées. Il a fourni à l'Encyclopédie plusieurs articles fort spirituellement écrits.

Desmahis mourut à Paris le 25 février 1761.

LA SEMAINE D'UN MARQUIS.

J'eus dimanche un billet pour souper chez Mouthier
Avec le petit duc et la grosse comtesse.

Lundi, jour malheureux, un maudit créancier,
Automate indocile, homme sans politesse,

Sous prétexte qu'il doit lui-même et qu'on le presse,
Me voulut, sans délai, contraindre à le payer:
J'allai le jour suivant flatter un financier.
Mercredi, je courus à la pièce nouvelle :

Tout le monde était pour, et moi je fus contre elle.
La satire embellit les plus simples propos,
Et l'admiration est le style des sots.

Jeudi, j'eus de l'humeur, je me boudai moi-même.
Le lendemain je fus d'une folie extrême,
Florise s'empara de moi pour tout le jour.
Hier, à tout Paris j'ai fait voir une veste
D'un goût divin, l'habit le plus gai, le plus leste,
Où La Boutrai, Passau, ravissent tour à tour,
Et j'arrive aujourd'hui tout plein de mon amour.

(L'Impertinent, sc. 3.)

LEBRUN.

LEBRUN (PONCE-DENIS ECOUCHARD) naquit à Paris en 1729. Ses dispositions poétiques se révélèrent de très bonne heure, et ses premières odes furent accueillies du public avec une faveur marquée. Le prince de Conti se l'attacha en qualité de secrétaire de ses commandements ; mais ce qui fut plus heureux pour Lebrun, c'est l'intérêt qu'il inspira à Louis Racine, qui ne lui épargna ni les avis ni les encouragements. A vingt-six ans il s'était déjà placé au premier rang parmi nos poètes lyriques. Des malheurs domestiques le forcèrent d'abandonner le poème de la Nature et celui des Veilles du Parnasse auxquels il travaillait depuis long-temps. Les fragments remarquables qu'on en a conservés font regretter vivement qu'il ait laissé ces ouvrages inachevés. Les injustes attaques de Fréron ont obligé ce poète de recourir à l'épigramme, et, comme J.-B. Rousseau, il excella dans ce genre difficile. Lebrun, qui était entré un des premiers à l'Institut, lors de sa formation, mourut à Paris le 2 septembre 1807.

A BUFFON, CONTRE SES DÉTRACTEURS.
Buffon, laisse gronder l'envie ;

C'est l'hommage de sa terreur:
Que peut sur l'éclat de ta vie
Son obscure et lâche fureur?
Olympe, qu'assiège un orage,
Se rit de l'impuissante rage
Des aquilons tumultueux :
Tandis que la noire tempête
Gronde à ses pieds, sa noble tête
Garde un calme majestueux.

Pensais-tu donc que le génie
Qui te place au trône des arts,
Long-temps d'une gloire impunie
Blesserait de jaloux regards?
Non, non, tu dois payer ta gloire ;
Tu dois expier ta mémoire
Par les orages de tes jours:

Mais ce torrent qui dans ton onde!

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