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*A. DUMAS.

* DUMAS (ALEXANDRE) naquit à Villers-Cotterets, le 24 Juin 1803. Grâce à un début brillant au Théâtre français, il lui fut facile de prendre rang parmi les premiers dramaturges de notre époque. Christine, Térésa, Angèle et Mlle de Belle Isle sont les meilleures pièces de M. Dumas*: elles sont écrites d'un style animé et se distinguent par une entente merveilleuse des effets scéniques; mais la morale et le bon goût y trouvent singulièrement à redire.—Isabeau de Bavière, plusieurs volumes d'Impressions de voyage et des Nouvelles spirituelles et intéressantes ont placé M. Dumas au nombre de nos romanciers les plus populaires. On doit cependant reprocher à cet écrivain d'avoir attaché son nom, depuis quelques années, à une certaine quantité d'ouvrages, auxquels il n'a même point prêté le concours de sa collaboration.

ASSASSINAT DU DUC DE BOURGOGNE.

Le 10 septembre, 1419, Jean-sans-Peur, duc de Bourgogne, et Charles, dauphin de France, oubliant leurs longs discords, et se rendant à la voix du peuple fatigué, devaient enfin se jurer, à tout jamais, paix et alliance. Le milieu du pont de Montereau, sur l'Yonne et la Seine, fut choisi pour lieu de l'entrevue; une loge en charpente y fut élevée. Le Dauphin accompagné de son secrétaire, s'y rendit, suivi de dix hommes d'armes de distinction, parmi lesquels son fidèle confident, Tanneguy Duchâtel. Jean, duc de Bourgogne, vint bientôt le joindre; il avait à sa suite même nombre de guerriers choisis, et, à leur tête, messire Pierre de Gyac, son jeune favori. Les barrières du pont se fermèrent alors aux extrémités; Français, sur la rive droite de l'Yonne, Bourguignons, sur la gauche de la Seine, en gardaient les avenues.

* Si quelques personnes s'étonnaient de ne point trouver la Tour de Nesle au nombre des meilleures œuvres de M. Dumas, nous leur rappellerions qu'il n'en a guères composé que le 5e tableau, et que la gloire de ce drame remarquable doit revenir à son légitime auteur, M. Frédéric Gaillardet, aujourd'hui rédacteur en chef du Courrier des Etats-Unis.

Arrivé devant son rival et maître, le Duc ôte son chaperon et met genou en terre; mais lui, croisant fièrement les bras: Vous avez mal tenu votre parole envers nous, Monsieur le duc; sujet lâche et déloyal, vous avez... Assez, dit le Duc, et, se relevant, il allait répondre ; mais Tanneguy se baissa, ramassa derrière la tapisserie la hache qui, la veille, était pendue à sa ceinture, puis se redressant de toute sa hauteur : Il est temps, dit-il, en levant son arme sur la tête du Duc.

Le Duc vit le coup qui le menaçait; il voulut le parer de la main gauche, tandis qu'il portait la droite à la garde de son épée; mais il n'eut pas même le temps de la tirer; la hache de Tanneguy tomba, abattant la main gauche du Duc, et du même coup lui fendant la tête depuis la pommette de la joue jusqu'au bas du menton.

Le Duc resta encore un instant debout, comme un chêne qui ne peut tomber; alors Robert de Loire lui plongea son poignard dans la gorge, et l'y laissa.

Le Duc jeta un cri, étendit les bras, et alla tomber aux pieds de Gyac.

Il y eut alors une grande clameur et une affreuse mêlée; car, dans cette tente, où deux hommes auraient eu à peine de la place pour se battre, vingt hommes se ruèrent les uns sur les autres. Un moment, on ne put plus distinguer audessus de toutes ces têtes que des mains, des haches, et des épées. Les Français criaient: Tue! Tue! A mort! Les Bourguignons criaient: Trahison! Trahison! Alarme! Les étincelles jaillissaient des armes qui se rencontraient, le sang s'élançait des blessures. Le Dauphin épouvanté s'était jeté le haut du corps en dehors de la barrière. A ses cris, le président Louvet arriva, le prit par dessous les épaules, le tira dehors, et l'entraîna presque évanoui vers la ville; sa robe de velours bleu était toute ruisselante du sang du duc de Bourgogne, qui avait rejailli jusque sur lui.

Cependant le combat et les cris continuaient dans la tente; on marchait sur le Duc mourant, que nul ne songeait à secourir. Mais les Dauphinois mieux armés avaient le dessus; les Bourguignons, voyant que toute résistance était inutile, prirent la fuite. Les Dauphinois les poursui

virent, et trois personnes seulement restèrent sous la tente vide et ensanglantée.

C'était le duc de Bourgogne, étendu et mourant; c'était Pierre de Gyac, debout, les bras croisés, et le regardant mourir; c'était enfin Olivier Layet qui, touché des souffrances de ce malheureux prince, soulevait son haubergeon pour l'achever par dessous avec son épée. Mais de Gyac ne voulait pas voir abréger cette agonie dont chaque convulsion semblait lui appartenir; et, lorsqu'il reconnut l'intention d'Olivier d'un violent coup de pied, il lui fit voler son épée des mains. Olivier étonné leva la tête. Eh! sang dieu ! lui dit en riant de Gyac, laissez donc ce pauvre prince mourir tranquille.

Puis, lorsque le duc eut rendu le dernier soupir, il lui mit la main sur le cœur pour s'assurer qu'il était bien mort; et, comme le reste l'inquiétait peu, il disparut sans que personne fît attention à lui.

Le curé de Montereau vint prier au milieu de ce sang, à côté de ce corps inanimé, jusqu'à minuit; puis à cette heure, aidé de deux hommes, il le porta dans un moulin près du pont, le déposa sur une table, et continua de prier près de lui jusqu'au matin ; et, à huit heures, sans cérémonie, sans bruit, le Duc fut mis en terre, en l'église Notre-Dame, devant l'autel Saint-Louis. (Isabeau de Bavière.)

BONNIVARD, PRISONNIER À CHILLON.

Bonnivard ayant voulu affranchir Genève, échoua dans son entreprise; transporté à Chillon, il y trouva une captivité affreuse. Lié par le milieu du corps à une chaîne dont l'autre bout allait rejoindre un anneau de fer scellé dans un pilier, il y resta ainsi six ans, n'ayant de liberté que la longueur de cette chaîne, ne pouvant se coucher que là où elle permettait de s'étendre, tournant toujours comme une bête fauve à l'entour de son pilier, creusant le pavé avec sa marche forcément régulière, rongé par cette pensée que sa captivité ne servait peut-être en rien à l'affranchissement de son pays, et que Genève et lui étaient voués à des fers

éternels. Comment, dans cette longue nuit, que nul jour ne venait interrompre, dont le silence n'était troublé que par le bruit des flots du lac, battant les murs du cachot, comment, ô mon Dieu! la pensée n'a-t-elle pas tué la matière? Comment, un matin, le geôlier ne trouva-t-il pas son prisonnier mort ou fou, quand une seule idée, une idée éternelle, devait lui briser le cœur et lui dessécher le cerveau? Et, pendant ce temps, pendant six ans, pendant cette éternité, pas un cri, pas une plainte, dirent ses geôliers, excepté sans doute quand le ciel déchaînait l'orage, quand la tempête soulevait les flots, quand la pluie et le vent fouettaient les murs; car alors, sa voix se perdait dans la grande voix de la nature; car alors, vous seul, ô mon Dieu! vous pouviez distinguer ses cris et ses sanglots; et ses geôliers, qui n'avaient pas joui de son désespoir, le retrouvaient le lendemain calme et résigné, car la tempête alors s'était calmée dans son cœur, comme dans la nature. Oh! sans cela, sans cela ne se serait-il pas brisé la tête à son pilier? ne se serait-il pas étranglé avec sa chaîne ? aurait-il attendu le jour où l'on entra en tumulte dans sa prison, et où cent voix lui dirent à la fois :

—Bonnivard, tu es libre !
-Et Genève ?

-Libre aussi !

(Impressions de voyage.)

*SAINTE-BEUVE.

* SAINTE-BEUVE (CHARLES-AUGUSTIN) est né à Boulogne-surmer, le 24 Décembre 1804. Après avoir étudié la médecine, il renonça à cette profession, pour se consacrer tout entier au culte des lettres. Disciple de V. Hugo, il se fit d'abord connaître par un volume de vers, publié sous le pseudonyme de Joseph Delorme. Plus tard, les Consolations et les Pensées d'Août vinrent ajouter à sa réputation de poète; cependant il nous semble que M. Sainte-Beuve a mieux réussi en prose qu'en vers, et que sa gloire comme écrivain repose surtout sur ses Critiques et Portraits littéraires et sur son Tableau de la Poésie française au XVIe siècle.

On doit encore à ce critique judicieux le roman psychologique de Volupté, livre un peu trop vanté à notre sens, et une histoire érudite et curieuse de Port-Royal.

M. Sainte-Beuve a été nommé membre de l'Académie, en 1844, à la place de C. Delavigne. V. Hugo a fit une éloquente réponse à son discours de réception.

ESPRIT DE LA LITTÉRATURE FRANÇAISE AU XVIIE SIÈCLE

Les critiques, et particulièrement les étrangers, qui, dans ces derniers temps, ont jugé avec le plus de sévérité nos deux siècles littéraires, se sont accordés à reconnaître que ce qui y dominait, ce qui s'y réfléchissait en mille façons, ce qui leur donnait le plus d'éclat et d'ornement, c'était l'esprit de conversation et de société, l'entente du monde et des hommes, l'intelligence vive et déliée des convenances et des ridicules, l'ingénieuse délicatesse des sentiments, la grâce, le piquant, la politesse achevée du langage. Et en effet c'est bien là, avec les réserves que chacun fait, et deux ou trois noms comme ceux de Bossuet et de Montesquieu qu'on sous-entend, c'est là, jusqu'en 1789 environ, le caractère distinctif, le trait marquant de la littérature française entre les autres littératures d'Europe. Cette gloire, dont on a presque fait un reproche à notre nation, est assez féconde et assez belle pour qui sait l'entendre et l'interpréter.

Au commencement du XVIIe siècle, notre civilisation, et partant notre langue et notre littérature, n'avaient rien de mûr ni d'assuré. L'Europe, au sortir des troubles religieux et à travers les phases de la guerre de trente ans, enfantait laborieusement un ordre politique nouveau; la France à l'intérieur épuisait son reste de discordes civiles. A la cour, quelques salons, quelques ruelles de beaux-esprits étaient déjà de mode; mais rien n'y germait encore de grand et d'original, et l'on y vivait à satiété sur les romans espagnols, sur les sonnets et les pastorales d'Italie. Ce ne fut qu'après Richelieu, après la Fronde, sous la Reine-Mère et Mazarin, que, tout d'un coup, du milieu des fêtes de Saint-Mandé et de Vaux, des salons de l'hôtel de Rambouillet et des antichambres du jeune roi, sortirent, comme

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