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en sentir le poids; on se fait à soi-même sa destinée; on use noblement sa vie. Voilà ce que j'ai fait et ce que je ferais encore; si j'avais à recommencer ma route, je prendrais celle qui m'a conduit où je suis. Aveugle 'et souffrant sans espoir et presque sans relâche, je puis rendre ce témoignage, qui de ma part ne sera pas suspect : il y a au monde quelque chose qui vaut mieux que les jouissances matérielles, mieux que la fortune, mieux que la santé ellemême, c'est le dévouement à la science.

(Dix ans d'études historiques.)

MEURTRE DE THOMAS BECKET.

Thomas Becket venait d'achever son repas du matin, et ses serviteurs étaient encore à table; il salua les Normands à leur entrée, et demanda le sujet de leur visite. Ceux-ci ne lui firent aucune réponse intelligible, s'assirent, et le regardèrent fixement pendant quelques minutes. Regnault, fils d'Ours, prit ensuite la parole :-" Nous venons, dit-il, de la part du roi, pour que les excommuniés soient absous, que les évêques suspendus soient rétablis, et que vous-même donniez raison de vos desseins contre le roi.— Ce n'est pas moi, répondit Thomas, c'est le souverain pontife lui-même qui a excommunié l'archevêque d'York, et qui seul par conséquent a droit de l'absoudre. Quant aux autres, je les rétablirai, s'ils veulent me faire leur soumission.-Mais de qui donc, demanda Regnault, tenez-vous votre archevêché? Est-ce du roi, ou du pape ?—J'en tiens les droits spirituels de Dieu et du pape, et les droits temporels du roi.-Quoi! ce n'est pas le roi qui vous a tout donné !—Aucunement," répondit Becket. Les Normands murmurèrent à cette réponse, traitèrent la distinction d'argutie, et firent des mouvements d'impatience, s'agitant sur leur siége et tordant leurs gants qu'ils tenaient à la main. "Vous me menacez, à ce que je crois, dit le primat, mais c'est inutilement: quand toutes les épées de l'Angleterre seraient tirées contre ma tête, vous ne gagneriez rien sur moi. -Aussi ferons-nous mieux que menacer,-répliqua le fils

d'Ours, se levant tout-à-coup; et les autres le suivirent vers la porte, en criant: "Aux armes !"

La porte de l'appartement fut fermée aussitôt derrière eux; Regnault s'arma dans l'avant-cour; et, prenant une hache des mains du charpentier qui travaillait, il frappa contre la porte pour l'ouvrir ou la briser. Les gens de la maison, entendant les coups de hache, supplièrent le primat de se réfugier dans l'église, qui communiquait à son appartement par un cloître ou une galerie; il ne le voulut point; et on allait l'entraîner de force, quand un des assistants fit remarquer que l'heure des vêpres avait sonné. "Puisque c'est l'heure de mon devoir, j'irai à l'église,” dit l'archevêque et, faisant porter sa croix devant lui, il traversa le cloître à pas lents, puis marcha vers le grand autel, séparé de la nef par une grille de fer entr'ouverte. A peine il avait les pieds sur les marches de l'autel, que Regnault, fils d'Ours, parut à l'autre bout de l'église, revêtu de sa cotte de mailles, tenant à la main sa large épée à deux tranchants, et criant: "A moi! à moi! loyaux servants du roi." Les autres conjurés le suivirent de près, armés comme lui de la tête aux pieds, et brandissant leurs épées. Les gens qui étaient avec le primat voulurent alors fermer la grille du chœur ; lui-même le leur défendit, et quitta l'autel pour les en empêcher; ils le conjurèrent, avec de grandes instances, de se mettre en sûreté dans l'église souterraine, ou de monter l'escalier par lequel, à travers beaucoup de détours, on parvenait au faîte de l'édifice. Ces deux conseils furent repoussés aussi positivement que les premiers. Pendant ce temps, les hommes armés s'avançaient; une voix cria:— Où est le traître ?-Becket ne répondit rien.-Où est l'archevêque ?-Le voici, répondit Becket; mais il n'y a pas de traître ici. Que venez-vous faire dans la maison de Dieu avec un pareil vêtement? quel est votre dessein?Que tu meures.-Je m'y résigne ; vous ne me verrez point fuir devant vos épées; mais, au nom de Dieu tout-puissant, je vous défends de toucher à aucun de mes compagnons, clerc ou laïc, grand ou petit. . ." Dans ce moment il reçut par derrière un coup de plat d'épée entre les épaules; et

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celui qui le lui porta lui dit: "Fuis, ou tu es mort." Il ne fit pas un mouvement; les hommes d'armes entreprirent de le tirer hors de l'église, se faisant scrupule de l'y tuer. Il se débattit contre eux, et déclara fermement qu'il ne sortirait point, et les contraindrait à exécuter sur la place même leurs intentions ou leurs ordres. Guillaume de Tracy leva son épée, et, d'un même coup de revers trancha la main d'un moine saxon appelé Edward Gryn, et blessa Becket à la tête. Un second coup, porté par un autre Normand, le renversa la face contre terre, un troisième lui fendit le crâne, et fut asséné avec une telle violence, que l'épée se brisa sur le pavé. Un homme d'armes, appelé Guillaume Mautrait, poussa du pied le cadavre immobile, en disant : “Qu'ainsi meure le traître qui a troublé le royaume et fait insurger les Anglais."

SALVANDY.

SALVANDY (NARCISSE-ACHILLE DE), naquit à Condom (Gers) le 11 Juin 1796. Il suivit d'abord la carrière des armes; mais après 1814, il rentra dans la vie civile et s'occupa exclusivement de travaux littéraires. Sa première publication importante fut un ouvrage intitulé la Coalition et la Fronde. Il donna ensuite Don Alonzo ou l'Espagne, et Islaor, ou le Barde chrétien. Ces deux ouvrages, remarquables par l'élévation et le mouvement et dont le style a tout le charme du langage poétique, fixèrent l'attention de l'Académie, qui, en 1835, appela M. de Salvandy dans son sein. Cet écrivain occupe aujourd'hui un rang distingué dans la presse contemporaine: le Journal des Débats, le Dictionnaire de la Conversation et les Revues lui doivent de nombreux et remarquables travaux. M. de Salvandy est en ce moment (1845) ministre de l'instruction publique.

NAPOLÉON.

Napoléon Bonaparte, le héros des temps modernes, héros dans le sens antique du mot, héros à la façon de ces personnages épiques, demi-dieux de la terre, qui la remplissent

de leurs exploits, laissent un souvenir ineffaçable dans la mémoire des hommes, prennent place dans les traditions des peuples, grandissent de siècle en siècle, grâce aux actions surhumaines dont la fable grossit leur histoire, et finissent par laisser l'érudit incertain si ces Hercule, ces Sésostris, ces Romulus, dont le nom et les monuments sont partout, ont jamais vécu; qu'un jour la civilisation disparût de notre vieux continent, qu'il restât des poésies, des chroniques, des médailles, des ruines; qu'à travers les ravages du temps, l'historien lût le même nom inscrit sur la pierre de l'Escurial, sur le marbre du Capitole, sur le granit des Pyramides; qu'il le retrouvât dans les débris de Schoenbrünn, de Postdam, du Kremlin, comme sous les sables des déserts, ajouterait-il foi aux témoignages qui feraient de ce nom celui d'un seul conquérant, d'un même potentat, d'un monarque grand entre les législateurs aussi bien qu'entre les guerriers? Comment croire à cet empire du monde avec un point de départ si lointain, à ce complet changement de la face de l'univers sous la main d'un seul homme, à ces nations, à ces dynasties, faites ou défaites en dix ans? Comment croire surtout à ces victoires sans nombre, à ces conquêtes sans terme, avec toutes les créations des arts, les routes ouvertes, les temples restaurés, les ponts construits, les musées fondés, avec Anvers fondé et les Alpes aplanies? Que dire de ces autres créations plus grandes, les institutions, les codes, une législation entière, qui embrasse à la fois la vie civile et politique des peuples, au lendemain d'une révolution dévorante, à travers les invasions et les guerres plus dévorantes peut-être. Conciliez avec tant de puissance ces catastrophes soudaines; avec tant de génie, sa chute immense; avec tant de gloire, l'abandon du genre humain, et avec cet abandon, les terreurs des rois; l'Europe liguée pour se défendre d'un homme; l'Océan même préposé à sa garde, parce qu'un de ses pas pouvait encore ébranler le monde ! Cet exil sur un écueil solitaire en face du géant Adamastor, cette agonie de Prométhée, tiennent de la mythologie plutôt que de l'histoire. L'histoire, com ment fera-t-elle pour expliquer la mort de Napoléon, impuis

sante et ignorée comme sa naissance, lorsque, long-temps après, il reste à son nom assez d'empire pour prêter de la force à qui l'honore, et afferinir le roi qui va à la tête de tout le peuple rendre gloire à sa statue relevée ! Les partis mêmes qui l'ont combattu, se disputant l'héritage de sa mémoire comme un trophée, comme une arme, comme un bouclier, sembleront une imitation des chefs de la Grèce se disputant les armes d'Achille. Tout est homérique, tout est fatal, tout est prodigieux dans cette grande vie pour qui contemple son cours depuis l'île où fut son berceau, jusqu'à celle où gît son sépulcre; astre éclatant et terrible qui, pour remplir l'Orient et l'Occident, se lève du sein des mers et retourne s'y abîmer!!!

THIERS.

THIERS (LOUIS-ADOLPHE) naquit à Marseille le 15 avril 1798. Il débuta dans la carrière littéraire par un éloge de Vauvenargues, qui fut couronné par l'Académie d'Aix. Chargé de rendre compte, dans un journal, du Salon de 1821, il rédigea une série d'articles piquants que plus tard il réunit en un volume. Après avoir publié les Pyrénées et le midi de la France, il fit enfin paraître l'ouvrage qui a fondé sa réputation et préparé sa fortune politique : l'Histoire de la révolution française. M Thiers, tour à tour ministre et chef de l'opposition, a peu de temps à consacrer aux travaux littéraires; cependant, grâce à sa facilité prodigieuse, il a déjà publié (décembre 1845) 7 volumes de sa magnifique Histoire du Consulat et de l'Empire. Cet ouvrage formera 12 vol. avec atlas, et peut être considéré, dès aujourd'hui, comme un des beaux monuments historiques de notre littérature.

M. Thiers a été reçu membre de l'Académie française en 1833, après la mort d'Andrieux.

MORT DE MIRABEAU.

Des presentiments de mort se mêlaient à ses vastes projets, et quelquefois en arrêtaient l'essor. Cependant sa

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