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été consulter la santé du comte de C * pour * mon frère cadet. Ses jours seraient-ils en danger? m'écriai-je. Non, monsieur, grâce au ciel, me répondit le duc; mais dans sa jeunesse des idées d'ambition et de gloire avaient exalté son imagination, et une maladie fort grave qu'il a faite dernièrement, et où il a pensé périr, lui a laissé au cerveau une espèce de délire et d'aliénation qui lui persuade toujours qu'il n'a plus qu'un jour à vivre. C'est là sa folie." Tout me fut expliqué.

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Maintenant, poursuivit le duc, venons à vous, jeune homme, et voyons ce que nous pouvons faire pour votre avancement. Nous partirons à la fin du mois pour Versailles; je vous présenterai.-Je connais vos bontés pour moi, monsieur le duc, et je viens vous en remercier.—Quoi ! auriez-vous renoncé à la cour et aux avantages que vous pouvez y attendre ?—Oui, monsieur.—Mais songez donc que grâce à moi, vous y ferez un chemin rapide, et qu'avec un peu d'assiduité et de patience vous pouvez d'ici à une dizaine d'années. . .-Dix années de perdues, m'écriai-je ?— Eh bien! reprit-il avec étonnement, est-ce payer trop cher la gloire, la fortune, les honneurs ? . . . Allons, jeune homme, nous partirons pour Versailles.-Non, monsieur le duc, je repars pour la Bretagne et vous prie de recevoir tous mes remercîments et ceux de ma famille."

"-C'est de la folie!" s'écria le duc.

Et moi, pensant à ce que je venais d'entendre, je me dis: C'est de la raison.

Le lendemain j'étais en route, et avec quelles délices je revis mon beau château de la Roche-Bernard, les vieux arbres de mon parc, le soleil de la Bretagne! J'avais retrouvé mes vassaux, mes sœurs, ma mère, et le bonheur ! . . qui depuis ne m'a plus quitté, car huit jours après j'épousai Henriette.

(Nouvelles.)

COUSIN.

COUSIN (VICTOR) naquit à Paris en 1791. Il fut un des élèves les plus remarquables du lycée Charlemagne, et commença par des succès de college une renommée que comme professeur et philosophe il a rendue européenne. Il a publié différents ouvrages philosophiques et une traduction de Platon, à laquelle il a joint des arguments qui décèlent partout le grand écrivain et le penseur profond.

M. Cousin, qui est entré à l'Académie française après la mort de Fourier, en 1830, est aujourd'hui pair de France et directeur de l'Ecole normale.

PHILOSOPHIE DE L'HISTOIRE.

Le premier devoir de l'historien philosophe est de demander aux faits ce qu'ils signifient, l'idée qu'ils expriment, le rapport qu'ils soutiennent avec l'esprit de l'époque du monde au sein de laquelle ils font leur apparition. Rappeler tout fait, même le plus particulier, à sa loi générale, à la loi qui seule le fait être, examiner son rapport avec les autres faits élevés aussi à leur loi, et de rapports en rapports arriver jusqu'à saisir celui de la particularité la plus fugitive, à l'idée la plus générale d'une époque, c'est là la règle éminente de l'histoire. Cette règle se devise en autant de règles particulières que l'esprit général d'une époque peut avoir de grandes manifestations. Or, à quelles conditions se manifeste l'esprit d'une époque? à trois conditions. D'abord, il faut que l'esprit d'une époque, pour être visible, prenne possession de l'espace, s'y établisse, et occupe une portion quelconque plus ou moins considérable de ce monde ; il faut qu'il ait son lieu, son théâtre : c'est là la condition même du drame de l'histoire. Mais sur ce théâtre, il faut que quelqu'un paraisse pour jouer la pièce; ce quelqu'un, c'est l'humanité, c'est-à-dire les masses. Les masses sont le fond de l'humanité; c'est avec elles, en elles, et pour elles que tout se fait; elles remplissent la scène de l'histoire, mais elles y figurent seulement; elles n'y ont qu'un

rôle muet, et laissent pour ainsi dire le soin des gestes et des paroles à quelques individus éminents qui les représentent. En effet, les peuples ne paraissent pas dans l'histoire, leurs chefs seuls y paraissent. Et par chefs, je n'entends pas ceux qui commandent en apparence, j'entends ceux qui commandent en réalité, ceux que les peuples suivent en tout genre, parce qu'ils ont foi en eux, et qu'ils les considèrent comme leurs interprètes et leurs organes, et parce qu'ils le sont en effet. Les lieux, les peuples, les grands hommes, voilà les trois choses par lesquelles l'esprit d'une époque se manifeste nécessairement, et sans lesquelles il ne pourrait pas se manifester, ce sont donc là les trois points importants auxquels l'histoire doit s'attacher. Si tout exprime quelque idée, comme nous l'avons démontré, lieux, peuples, individus, tout cela n'est qu'une manifestation quelconque d'idées cachées que la philosophie de l'histoire doit dégager et mettre en lumière. (Cours de philosophie.)

LA GLOIRE ET LA RÉPUTATION.

Qu'est-ce que la gloire? Le jugement de l'humanité sur un de ses membres; or l'humanité a toujours raison. En fait, citez-moi une gloire imméritée; de plus à priori c'est impossible, car on n'a de gloire qu'à la condition d'avoir beaucoup fait, d'avoir laissé de grands résultats. Les grands résultats, messieurs, les grands résultats, tout le reste n'est rien. Distinguez bien la gloire de la réputation. Pour la réputation, qui en veut en a. Voulez-vous de la réputation? priez tel ou tel de vos amis de vous en faire; associez-vous à tel ou tel parti; donnez-vous à une coterie ; servez-la, elle vous louera. Enfin, il y a cent manières d'acquérir de la réputation: c'est une entreprise tout comme une autre; elle ne suppose pas même une grande ambition. Ce qui distingue la réputation de la gloire, c'est que la réputation est le jugement de quelques uns, et que la gloire est le jugement du plus grand nombre, de la majorité dans l'espèce humaine. Or, pour plaire au petit nombre, il suffit de petites choses; pour plaire aux masses, il en faut de

grandes. Auprès des masses, les faits sont tout, le reste n'est rien. Les intentions, la bonne volonté, la moralité, les plus beaux desseins, qu'on n'aurait certainement pas manqué de conduire à bien, n'eût été ceci ou cela, tout ce qui ne se résout pas en fait est compté pour rien par l'humanité; elle veut de grands résultats; car il n'y a que les grands résultats qui viennent jusqu'à elle; or, en fait de grands résultats, il n'y a pas de tricherie possible. Les mensonges des partis et des coteries, les illusions de l'amitié n'y peuvent rien; il n'y a pas même lieu à discussion. Les grands résultats ne se contestent pas : la gloire, qui en est l'expression, ne se conteste pas non plus. Fille de faits grands et évidents, elle est elle-même un fait manifeste aussi clair que le jour. La gloire est le jugement de l'humanité, et un jugement en dernier ressort; on peut en appeler des coteries et des partis à l'humanité; mais de l'humanité, à qui en appeler en ce monde ? Elle est infaillible. Pas une gloire n'a été infirmée et ne peut l'être. De plus, sur quels faits l'humanité estime-t-elle et décerne-t-elle la gloire ? Sur les faits utiles, c'est-à-dire utiles à elle. Sa mesure est sa propre utilité; et elle ne peut en avoir d'autre, à moins de s'abdiquer elle-même, et de cesser d'emprunter à sa nature les principes de ses jugements. La gloire est le cri de la sympathie et de la reconnaissance; c'est la dette de l'humanité envers le génie; c'est le prix des services qu'elle reconnaît en avoir reçus, et qu'elle lui paie avec ce qu'elle a de plus précieux, son estime.

Il faut donc aimer la gloire, parce que c'est aimer les grandes choses, les longs travaux, les services effectifs rendus à la patrie et à l'humanité en tout genre; et il faut dédaigner la réputation, les succès d'un jour et les petits moyens qui y conduisent; il faut songer à faire, à beaucoup faire, à bien faire, messieurs, et non à paraître; car, règle infaillible, tout ce qui paraît sans être, bientôt disparaît; mais tout ce qui est, par la vertu de sa nature, paraît tôt ou tard. La gloire est presque toujours contemporaine; mais il n'y a jamais un grand intervalle entre le tombeau d'un grand homme et la gloire. (Cours de philosophie.)

LAMARTINE.

(Voir, pour la Notice, la Partie poétique.)

DAMAS.

Je marchais à la tête de la caravane, à quelques pas derrière les Arabes de Zebdani; tout à coup ils s'arrêtent et poussent des cris de joie en me montrant une ouverture dans le rebord de la route; je m'approche, et mon regard plonge, à travers l'échancrure de la roche, sur le plus magnifique et le plus étrange horizon qui ait jamais étonné un regard d'homme; c'était Damas et son désert sans bornes, à quelques centaines de pieds sous mes pas. Le regard tombait d'abord sur la ville qui, entourée de ses remparts de marbre jaune et noir, flanquée de ses innombrables tours carrées, de distance en distance, couronnée de ses créneaux sculptés, dominée par sa forêt de minarets de toutes formes, sillonnée par les sept branches de son fleuve et ses ruisseaux sans nombre, s'étendait à perte de vue dans un labyrinthe de jardins en fleurs, jetait ses bras immenses, çà et là dans la vaste plaine partout ombragée, partout pressée par la forêt de dix lieues de tour de ses abricotiers, de ses sycomores, de ses arbres de toutes formes et de toute verdure, semblait se perdre de temps en temps sous la voûte de ces arbres, puis reparaissait plus loin en larges lacs de maisons, de faubourgs, de villages; labyrinthe de jardins, de vergers, de palais, de ruisseaux, où l'œil se perdait et ne quittait un enchantement que pour en retrouver un autre.

Nous ne marchions plus: tous, pressés à l'étroite ouverture du rocher percé comme une fenêtre, nous contemplions, tantôt avec des exclamations, tantôt en silence, le magique spectacle qui se déroulait ainsi subitement et tout entier sous nos yeux, au terme d'une route, à travers tant de rochers et de solitudes arides, au commencement d'un autre désert qui n'a pour bornes que Bagdad et Bassora, et qu'il faut quarante jours pour traverser. Enfin nous nous remîmes en marche; le parapet de rochers qui nous cachait

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