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Les chambres aristocratiques de la Grande-Bretagne votent aux généraux et officiers, en guise d'actions de grâces et de sabres d'honneur, de magnifiques pensions. C'est un peuple où, jusqu'à la gloire même, tout finit par de l'argent.

Le bulletin anglais est un peu sec, j'en conviens, mais je le préfèrerais cent fois, c'est mon goût, au bulletin espagnol qui est encore plus enflé que nos bulletins d'Afrique, et qui nomme la moindre escarmouche une bataille, et le moindre escarmoucheur un héros. Il n'y a que ce royaume là où l'on voie des Marquis de la Fidélité, des Princes de la Paix, des Ducs de la Victoire, deux ducs à la fois de cette qualité-là dans les deux camps opposés, en sorte qu'il n'y aurait jamais de vaincus d'aucun côté, puisque tout le monde y serait vainqueur. C'est l'immortel Riégo, l'immortel Zumalacarregui, l'immortel Cabrera, l'immortel Espartero et l'immortel Don Quichotte! Héroïsme, fanfares, lauriers, décorations à tête de diamants, portraits enluminés et tabatières, voiturages du triomphateur à bras d'hommes et harangues ampoulées, tout cela heureusement n'y tire pas à conséquence, et l'on dit qu'il faut laisser l'armée, les municipalités et les Cortès donner carrière aux fougues de leur imagination et passer quelque chose aux gens de ce pays-là, parce qu'il y fait chaud.

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On est surpris, on s'arrête, on recule effrayé devant les ouvres de géant accomplies par Mirabeau pendant les deux années de sa vie parlementaire. Grands discours, apostrophes, répliques, motions, adresses, lettres à ses commettants, polémique de la presse, rapports, séances du matin, séances du soir, conférences de comités, il fait de tout, il est à tout. Rien pour lui de trop grand et rien de trop petit. Rien de trop complexe et rien de trop simple. Il porte sur ses épaules un monde de travaux, et il semble, dans cette carrière d'Hercule, n'éprouver ni lassitude, ni dégoût.

Il dénouait, en se jouant, les difficultés les plus compliquées, et son activité dévorante épuisait tous les sujets sans pouvoir se rassasier. Il occupait à la fois ses nombreux amis, ses électeurs, ses commis, ses secrétaires. Il conversait, il pérorait, il écoutait, il dictait, il lisait, il compilait, il écrivait, il déclamait, il correspondait avec toute la France. Il digérait les travaux des autres et il se les assimilait comme sa propre substance. Il recevait des notes au bas de la tribune, à la tribune même, et il les passait, sans s'interompre, au fil de son discours. Il retouchait les harangues et les rapports dont il avait donné le cadre, le plan, l'idée. Il les châtiait de sa verge, il les colorait de son expression, il les fortifiait de sa pensée. Ce plagiaire sublime, ce grand maître employait ses aides et ses élèves à tirer le marbre de la carrière et à dégrossir son œuvre, comme le statuaire qui, lorsque le bloc est à moitié taillé, s'approche, prend son ciseau, lui donne la respiration et la vie, et en fait un héros ou un dieu.

* NAPOLÉON.

(Livre des Orateurs.)

Napoléon, à son tour, s'empara habilement des forces vives de la Révolution qui, lasses de bouillonner au fond de leur cratère et de retomber sur elles-mêmes, cherchaient à se répandre au-dehors et débordaient vers la conquête. Il fut maître parce qu'il voulut l'être, parce qu'il put l'être, parce qu'il sut l'être. Il absorba, dans l'unité de son empire, les consciences, les intelligences et les libertés. Il eut de l'audace parce qu'il eut du génie, et peut-être il eut du génie parce qu'il eut de l'audace. Il méprisa les hommes, parce qu'il les jugea. Il aima la gloire, parce que tout le reste ne pouvait remplir le vide immense de son âme. Il dévora le temps, il dévora l'espace, parce qu'il lui fallait vivre plus vite, marcher plus vite que les autres hommes; il pesa le monde dans sa main, et il le trouva léger. Il rêva l'éternité de sa dynastie et la monarchie universelle.

Mais après avoir élevé si haut les conquérants, la Provi

dence éteint d'un souffle l'éclat de leur diadème, et elle les donne en spectacle à l'univers, pour lui montrer que, malgré leur gloire et la sublimité de leur empire, ils sont hommes, et que, comme tous les hommes, ils sont sujets à des chutes et bornés par le néant.

(Livre des Orateurs.)

VILLEMAIN.

VILLEMAIN (ABEL-FRANÇOIS), né à Paris le 10 juin 1791, se distingua comme professeur long-temps avant l'âge où d'ordinaire on termine ses études; le cours de littérature qu'il fit à la Sorbonne jusqu'en 1830 a laissé un souvenir impérissable dans la mémoire de ses nombreux auditeurs. Des palmes obtenues dans les concours académiques, et un volume d'Eloges, écrit avec une rare élégance et une finesse d'appréciation merveilleuse, lui ont mérité, en 1821, les suffrages unanimes de l'Académie française, qui ne crut pas pouvoir donner un plus digne successeur à M. de Fontanes.

On doit encore à M. Villemain une Histoire de Cromwell, un livre intitulé Lascaris, et la préface du nouveau dictionnaire de l'Académie.

Aujourd'hui secrétaire perpétuel de l'Académie française, pair de France et ministre de l'instruction publique, M. Villemain s'occupe, diton, dans ses rares moments de loisir, d'une histoire de Grégoire VII, qui sera sans doute pour lui un nouveau titre de gloire.

Le Tableau de la littérature au moyen-âge et au XVIIIe. Siècle a été publié en 6 vol. in-8.

MILTON COMPOSANT LE PARADIS PERDU.

Milton, libre et cublié, poursuivit avec ardeur la composition de son sublime ouvrage. Il avait alors cinquante-six ans; il était aveugle, et tourmenté de la goutte. Une vie étroite et pauvre, de nombreux ennemis, le sentiment amer de ses illusions démenties, le poids humiliant de la disgrâce publique, la tristesse de l'âme et les souffrances du corps, tout accablait Milton; mais un génie sublime habitait en lui. Dans ses journées rarement interrompues, dans les longues veilles de ses nuits, il méditait des vers sur un sujer depuis si longtemps déposé dans son âme, et qu'avaient

mûri, pour ainsi dire, tous les événements et toutes les passions de sa vie. Séparé de la terre par la perte du jour et par la haine des hommes, il n'appartenait plus qu'à ce monde mystérieux dont il racontait les merveilles. "Donne des yeux à mon âme," disait-il à sa muse. Il voyait en lui-même, dans le vaste champ de ses souvenirs et de ses pensées. Les fureurs du fanatisme, l'enthousiasme de la révolte, les tristes joies des partis vainqueurs, les haines profondes de la guerre civile, avaient de toutes parts assailli et exercé son génie. Les chaires des églises d'Angleterre, les salles de Westminster, toutes pleines de séditions et de bruyantes menaces, lui avaient fait entendre ce cri de guerre contre la puissance, qu'il aimait à répéter dans ses chants, et dont il armait l'enfer contre la monarchie du Ciel. La religion indépendante des Puritains, leurs extases mystiques, leur ardente piété sans foi positive, leurs interprétations arbitraires de l'Ecriture, avaient achevé d'ôter tout frein à son imagination, et lui donnaient quelque chose d'impétueux et d'illimité, comme les rêves du fanatisme.

A tant de sources d'originalité il faut joindre cette féconde imitation de la poésie antique, qui nourrissait la verve de Milton. Homère, après la Bible, avait toujours été sa première lecture; il le savait presque par cœur, et l'étudiait sans cesse. Aveugle et solitaire, ses heures étaient partagées entre la composition poétique et le ressouvenir toujours entretenu des grandes beautés d'Isaïe, d'Homère, de Platon, d'Euripide. Il avait fait apprendre à ses filles à lire le grec et l'hébreu, et l'on sait que l'une d'elles, longtemps après, récitait de mémoire des vers d'Homère qu'elle avait ainsi retenus sans les comprendre. Chaque jour, Milton, en se levant, se faisait lire un chapitre de la Bible hébraïque; puis il travaillait à son poëme, dont il dictait les vers à sa femme, ou quelquefois à un ami, à un étranger qui le visitait. La musique était une de ses distractions; il touchait de l'orgue, et chantait avec goût. Au milieu de cette vie simple et occupée, le Paradis perdu, si longtemps médité, s'acheva promptement.

(Histoire de Cromwell.)

NAPOLÉON.

Des bords du Nil un homme avait reparu, déjà célèbre par de grands succès dans les combats, illustré par les revers d'une expédition lointaine et merveilleuse; habile à tromper comme à vaincre, et jetant sur son retour fugitif tout l'éclat d'une heureuse témérité. Sa jeunesse et son audace semblaient lui donner de l'avenir. Ce luxe militaire de l'Orient, qu'il ramenait avec lui comme un trophée, ces drapeaux déchirés et vainqueurs, ces soldats qui avaient subjugué l'Italie et triomphé sur le Thabor et au pied des pyramides; toute cette gloire de la France, qu'il appelait sa gloire, répandait autour de son nom un prestige trop dangereux chez un peuple si confiant et si brave. Il avait rencontré, il avait saisi le plus heureux prétexte pour le pouvoir absolu, de longs désordres à réparer. Son ardente activité embrassait tout pour tout envahir. Génie corrupteur, il avait cependant rétabli les autels; funeste génie, élevé par la guerre et devant tomber par la guerre, il avait pénétré d'un coup d'œil l'importance du rôle de législateur; il s'en était rapidement emparé dans l'intervalle de deux victoires; et dès lors, au bruit des armes il allait exhausser son despotisme sur les bases de la société qu'il avait raffermies. On n'apercevait encore que le retour de l'ordre et l'espérance de la paix. Les maux de l'ambition, l'onéreuse tyrannie d'une guerre éternelle, le mépris calculé du sang français, la suppression de tous les droits publics se développèrent plus lentement, comme de fatales conséquences qu'enfermait l'usurpation, mais qu'elle n'avait pas d'abord annoncées. (Cours d'éloquence.)

*SCRIBE.

*SCRIBE (AUGUSTIN-EUGÈNE) naquit à Paris le 25 décembre 1791. Dès le collége, où il fit les études les plus brillantes, il rêvait la chanson et le vaudeville. Aussi ne se reconnut-il aucune vocation pour le bar

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