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à sa toilette. Herbert troublé le peignait avec moins de soin : "Prenez, je vous prie, lui dit le roi, la même peine qu'à l'ordinaire; quoique ma tête ne doive pas rester longtemps sur mes épaules, je veux être paré aujourd'hui comme un marié." En s'habillant, il demanda une chemise de plus. "La saison est si froide, dit-il, que je pourrais trembler; quelques personnes l'attribueraient peut-être à la peur, je ne veux pas qu'une telle supposition soit possible." Le jour à peine levé, l'évêque arriva et commença les exercices religieux. Comme il lisait, dans le XXVIIe chapitre de l'évangile selon saint Mathieu, le récit de la passion de Jésus-Christ," Mylord, lui demanda le roi, avez-vous choisi ce chapitre comme le plus applicable à ma situation ?—Je prie Votre Majesté de remarquer, répondit l'évêque, que c'est l'évangile du jour, comme le prouve le calendrier." Le roi parut profondément touché, et continua ses prières avec un redoublement de ferveur. Vers dix heures, on frappa doucement à la porte de la chambre: Herbert demeurait immobile: un second coup se fit entendre un peu plus fort, quoique léger encore : "Allez voir qui est là," dit le roi c'était le colonel Hacker. "Faites-le entrer,” dit-il. "Sire, dit le colonel à voix basse et à demi tremblant, voici le moment d'aller à White-Hall; Votre Majesté aura encore plus d'une heure pour s'y reposer.—Je pars dans l'instant, répondit Charles, laissez-moi." Hacker sortit: le roi se recueillit encore quelques minutes, puis, prenant l'évêque par la main: "Venez, dit-il, partons: Herbert, ouvrez la porte; Hacker m'avertit pour la seconde fois." Et il descendit dans le parc qu'il devait traverser pour se rendre à White-Hall.

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Hacker frappa à la porte: Juxon et Herbert tombèrent à genoux. Relevez-vous, mon vieil ami," dit le roi à l'évêque en lui tendant la main. Hacker frappa de nouveau: Charles fit ouvrir la porte. "Marchez, dit-il au colonel, je vous suis." Il s'avança le long de la salle des banquets, toujours entre deux haies de troupes. Une foule d'hommes et de femmes s'y étaient précipités au péril de leur vie, immobiles derrière la garde, et priant pour le roi, à mesure

qu'il passait; les soldats, silencieux eux-mêmes, ne les rudoyaient point. A l'extrémité de la salle, une ouverture, pratiquée la veille dans le mur, conduisait de plain-pied à l'échafaud tendu de noir; deux hommes debout auprès de la hache, tous deux en habits de matelots et masqués. Le roi arriva, la tête haute, promenant de tous côtés ses regards, et cherchant le peuple pour lui parler: mais les troupes couvraient seules la place; nul ne pouvait approcher. Il se tourna vers Juxon et Tomlinson. "Je ne puis guère être entendu que de vous, leur dit-il, ce sera donc à vous que j'adresserai quelques paroles;" et il leur adressa en effet un petit discours qu'il avait préparé, grave et calme jusqu'à la froideur, uniquement appliqué à soutenir qu'il avait eu raison; que le mépris des droits du souverain était la vraie cause des malheurs du peuple; que le peuple ne devait avoir aucune part dans le gouvernement; qu'à cette seule condition le royaume retrouverait la paix et ses libertés. Pendant qu'il parlait, quelqu'un toucha à la hache; il se retourna précipitamment, disant: "Ne gâtez pas la hache: elle me ferait plus de mal;" et, son discours terminé, quelqu'un s'en approchant encore: "Prenez garde à la hache ! prenez garde à la hache!" répéta-t-il d'un ton d'effroi... Le plus profond silence régnait; il mit sur sa tête un bonnet de soie, et, s'adressant à l'exécuteur : "Mes cheveux vous gênent-ils ?-Je prie Votre Majesté de les ranger sous son bonnet," répondit l'homme en s'inclinant. Le roi les rangea avec l'aide de l'évêque... "J'ai pour moi, lui dit-il en prenant ce soin, une bonne cause et un Dieu clément." Juxon: "Oui, sire, il n'y a plus qu'un pas à franchir, il est plein de trouble et d'angoisse, mais de peu de durée, et songez qu'il vous fait faire un grand trajet: il vous transporte de la terre au ciel." Le Roi: "Je passe d'une couronne corruptible à une couronne incorruptible, où je n'aurai à craindre aucun trouble, aucune espèce de trouble." Et se tournant vers l'exécuteur: "Mes cheveux sont-ils bien ?" Il ôta son manteau et son Saint-George, donna le Saint-George à l'évêque en lui disant: "Souvenez-vous," ôta son habit, remit son manteau, et regardant le billot: "Placez-le de manière à

ce qu'il soit bien ferme," dit-il à l'exécuteur. "Il est ferme, sire." Le Roi: "Je ferai une courte prière, et, quand j'étendrai les mains, alors..." Il se recueillit, se dit à luimême quelques mots à voix basse, leva les yeux au ciel, s'agenouilla, posa sa tête sur le billot; l'exécuteur toucha ses cheveux pour les ranger encore sous son bonnet; le roi crut qu'il allait frapper: "Attendez le signe," lui dit-il. “Je l'attendrai, sire, avec le bon plaisir de Votre Majesté.” Au bout d'un instant le roi tendit les mains; l'exécuteur frappa, la tête tomba au premier coup: "Voilà la tête d'un traître," dit-il en la montrant au peuple: un long et sourd gémissement s'éleva autour de White-Hall. Beaucoup de gens se précipitaient au pied de l'échafaud pour tremper leur mouchoir dans le sang du roi. Deux corps de cavalerie, s'avançant dans deux directions différentes, dispersèrent lentement la foule. L'échafaud demeuré solitaire, on enleva le corps: il était déjà enfermé dans le cercueil; Cromwell voulut le voir, le considéra attentivement, et, soulevant de ses mains la tête comme pour s'assurer qu'elle était bien séparée du tronc: "C'était là un corps bien constitué, dit-il, et qui promettait une longue vie."

(Histoire de la révolution d'Angleterre.)

L'INSTITUTEUR.

Il n'y a point de fortune à faire, il n'y a guère de renommée à acquérir dans les obligations pénibles que l'instituteur accomplit. Destiné à voir sa vie s'écouler dans un travail monotone, quelquefois même à rencontrer autour de lui l'injustice ou l'ingratitude de l'ignorance, il s'attristerait souvent et succomberait peut-être s'il ne puisait sa force et son courage ailleurs que dans les perspectives d'un intéret immédiat et purement personnel. Il faut qu'un sentiment profond de l'importance morale de ses travaux le soutienne et l'anime; que l'austère plaisir d'avoir servi les hommes et secrètement contribué au bien public devienne le digne salaire que lui donne sa conscience seule. C'est sa gloire de ne prétendre rien au-delà de son obscure et laborieuse

condition, de s'épuiser en sacrifices à peine comptés de ceux qui en profitent, de travailler enfin pour les hommes et de n'attendre sa récompense que de Dieu.

(Circulaire ministérielle aux instituteurs communaux de

France.)

*CORMENIN.

* CORMENIN (LOUIS MARIE DE LAHAYE DE) est né à Paris le 6 Janvier 1788. Après des études brillantes, il fit son droit, puis en 1810 entra au conseil d'Etat. Il ne tarda point à se distinguer par une aptitude toute spéciale aux affaires administratives, et son grand et savant ouvrage sur le Droit administratif, paru en 1823, le plaça au premier rang de nos légistes. Elu député en 1828, M. de Cormenin, depuis cette époque, n'a cessé de siéger sur les bancs de la chambre, dont il est devenu un des radicaux les plus populaires. Ce qui lui a valu cette popularité ce sont ses Pamphlets, écrits à la manière de Paul Louis Courier. Mais les véritables titres de M. de Cormenin à la gloire littéraire sont ses Orateurs parlementaires, chef-d'œuvre de style, admirable mélange de gravité et d'ironie. Ce bel ouvrage, augmenté de préceptes généraux sur l'art oratoire, est aujourd'hui publié sous le titre de Livre des Orateurs.

M. THIERS ORATEUR.

M. Thiers rencontre à chaque pas sur son chemin, fleurs rubis, perles, diamants. Il n'a qu'à se baisser, il les ramasse, il les assemble, et ils prennent à l'instant même, entre ses mains, la forme d'une guirlande, d'une agrafe, d'une bague, d'une ceinture, d'un diadême, tant cet esprit a de richesse, de fécondité et d'éclat !

Il médite sans effort, il produit sans épuisement. Il marche sans fatigue et c'est le voyageur d'idées le plus rapide que je connaisse. Les temps passent devant sa mémoire, dans leur ordre et selon leurs figures, et la nature que les autres cherchent vient à lui sans qu'il l'appelle, avec toutes les pompes de sa majesté et toutes les grâces de son sourire. Avez-vous vu sur les bateaux à vapeur qui sillon

nent nos fleuves, cette glace suspendue où se mire le rivage? elle reflète et voit fuir rapidement les beaux villages, les églises aux flèches légères, les prairies verdoyantes, les montagnes chevelues, les voiles frémissantes des navires, les blonds épis de guérets immobiles, les troupeaux de la vallée, les nuages du ciel, les animaux et les hommes. C'est là M. Thiers: espèce de miroir parlementaire, il reflète les passions des autres, et il est sans passions; il pleure et il n'a pas de larmes dans les yeux; il se perce d'un poignard qui ne lui tire pas une goutte de sang. Pure comédie que tout cela, mais quelle comédie et quel comédien! quel naturel! quelle souplesse ! quelle verve d'imitation! quelles inflexions de ton inattendues! quelle transparence, quelle lumière dans ce style! quelle grâce de négligé dans cette parole! vous me trompez, comédien, et vous voulez me tromper. Vous jouez admirablement votre rôle, mais ce n'est qu'un rôle ; je sais tout cela et cependant je me laisse ravir à votre séduction; je cède, tant que vous parlez, je suis sous le charme, et je préfère presque mieux entendre l'erreur dans votre bouche, que la vérité dans la bouche d'un autre.

(Orateurs parlementaires.)

ELOQUENCE MILITAIRE DES ANGLAIS ET DES ESPAGNOLS.

Les généraux anglais sont sobres de mots. Leurs bulletins de guerre sont presque tous simples, brefs et dignes. Ils ne sont ni louangeurs, ni colères. Ils disent la vérité et vont au fait. Leurs soldats sont froids, intelligents, disciplinés, intrépides, moins sensibles à la gloire qu'au devoir, et aux compliments spirituellement tournés qu'au bien-être matériel. On ne ravirait pas leur imagination par des figures de rhétorique; on ne ranimerait pas leur courage par les échauffements de la parole; on ne remuerait pas leur cœur par des accents de sensibilité. Mais on ne leur dirait pas non plus, sans les faire murmurer : Vous n'avez ni souliers, ni capotes, ni vin, ni bière, ni pain, ni viande; en attendant, mes amis, vous pouvez voler à la victoire !

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