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* ADIEUX DE FONTAINEBLEAU.

Soldats! je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans que nous sommes ensemble, je suis content de vous. Je vous ai toujours trouvés au chemin de la gloire. Toutes les puissances de l'Europe se sont armées contre moi. Quelques uns de mes généraux ont trahi leur devoir et la France. Elle-même a voulu d'autres destinées avec vous et les braves qui me sont restés fidèles, j'aurais pu entretenir la guerre civile; mais la France eût été malheureuse. Soyez fidèles à votre nouveau roi ; soyez soumis à vos nouveaux chefs et n'abandonnez pas notre chère patrie. Ne plaignez pas mon sort; je serai heureux lorsque je saurai que vous l'êtes vous-mêmes. J'aurais pu mourir; si j'ai consenti à survivre, c'est pour servir encore à votre gloire. J'écrirai les grandes choses que nous avons faites..... Je ne puis vous embrasser tous, mais j'embrasse votre général. Venez, général Petit, que je vous presse sur mon cœur! Qu'on m'apporte l'aigle! que je l'embrasse aussi ! Ah! chère aigle, puisse ce baiser que je te donne retentir dans la postérité! Adieu, mes enfants; mes vœux vous accompagneront toujours; gardez mon souvenir !

LETTRE AU PRINCE RÉGENT.

Altesse Royale,

En butte aux factions qui divisent mon pays, et à l'inimitié des plus grandes puissances de l'Europe, j'ai consommé ma carrière politique. Je viens, nouveau Thémistocle, m'asseoir au foyer du peuple britannique; je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de votre Altesse Royale, comme du plus puissant, du plus constant et du plus généreux de mes ennemis.

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CHATEAUBRIAND.

CHATEAUBRIAND (FRANÇOIS-AUGUSTE, Vicomte de) naquit près de Saint-Malo le 7 Septembre 1769. C'est un des écrivains les plus illustres du xixe siècle. Le Génie du Christianisme, les Martyrs et l'Itinéraire de Paris à Jérusalem sont des productions dont la France sera éternellement fière. M. de Chateaubriand, qui a participé d'une manière remarquable sous la Restauration aux Discussions politiques de la chambre des pairs et à la polémique quotidienne du Journal des Débats, a conquis par sa noble opposition une popularité qui a encore ajouté à sa gloire. Les Etudes Historiques, une des dernières productions de l'auteur, sont un projet d'ouvrage qui probablement restera inachevé: sous le rapport du style, c'est une œuvre digne de ses aînées.

M. de Chateaubriand a été nommé membre de l'Institut en 1811, après la mort de Marie-Joseph Chénier. Aujourd'hui il attend tranquillement la mort, ayant mis la dernière main à ses Mémoires qui, au dire des confidents du grand écrivain, sont un ouvrage sans précédent, et qui fera dans l'avenir le désespoir de tous les mémorialistes.

DESTRUCTION DE JÉRUSALEM.

La religion accrut sa force sous les règnes de Vespasien et de Titus, par la consommation d'un des oracles écrits aux livres saints: Jérusalem périt........

Des prodiges annoncèrent la destruction du temple; une voix avait été entendue qui disait; Sortons d'ici.. Jésus, fils d'Ananus, courant autour des murailles de la ville assiégée, s'était écrié: Malheur! malheur sur la ville! malheur sur le temple! malheur sur le peuple! malheur sur moi! Famine, peste et guerre civile au-dedans de la cité; audehors, les soldats romains crucifiaient tout ce qui voulait s'échapper les croix manquèrent et la place pour dresser les croix. On éventrait les fugitifs pour fouiller dans leurs entrailles l'or qu'ils avaient avalé. Six cent mille cadavres de pauvres furent jetés dans les fossés, par-dessus les murailles. On changeait les maisons en sépulcres, et quand elles étaient pleines on en fermait les portes. Titus, après avoir pris la forteresse Antonia, attaqua le temple, le 17

juillet 70 de J.-C., jour où le sacrifice perpétuel avait cessè faute de mains consacrées pour l'offrir...

Le temple fut brûlé le 8 août de cette année 70, ensuite la ville basse incendiée, et la ville haute emportée d'assaut. Titus fit abattre ce qui restait du temple et de la ville, excepté trois tours; on promena la charrue sur les ruines. Telle fut la grandeur du butin, que le prix de l'or baissa de moitié en Syrie. Onze cent mille Juifs moururent pendant le siège, quatre-vingt-dix-sept mille furent vendus; à peine trouvait-on des acheteurs pour ce vil troupeau.

(Etudes Historiques.)

LA CATARACTE DE NIAGARA.

Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissements. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Érié, et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarantequatre pieds; depuis le lac Erié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide; et, au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrents se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer-à-cheval. Entre les deux chutes s'avance une île, creusée en dessous, qui pend avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi, s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs : celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante; on dirait une colonne d'eau du déluge.

Mille arcs-en-ciel se
L'onde, frappant le

courbent et se croisent sur l'abîme. roc ébranlé, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes, décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, descendent en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendent par leurs longues

queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans et des ours.

(Génie du christianisme.)

LES NATIONS MODERNES.

Que de traits caractéristiques n'offrent point les nations nouvelles ! Ici ce sont les Germains, peuples où la profonde corruption des grands n'a jamais influé sur les petits, où l'indifférence des premiers pour la patrie n'empêche point les seconds de l'aimer; peuple où l'esprit de révolte et de fidélité, d'esclavage et d'indépendance ne s'est jamais démenti depuis les jours de Tacite. Là, ce sont ces industrieux Bataves qui ont de l'esprit par bon sens, du génie par industrie, des vertus par froideur, et des passions par raison. L'Italie aux cent princes et aux magnifiques souvenirs contraste avec la Suisse obscure et républicaine. L'Espagne, séparée des autres nations, présente encore à l'historien un caractère plus original: l'espèce de stagnation de mœurs dans laquelle elle repose lui sera peut-être utile un jour; et, lorsque tous les peuples de l'Europe seront usés par la corruption, elle seule pourra reparaître avec éclat sur la scène du monde, parce que le fond des mœurs subsistera chez elle.

Mélange du sang allemand et du sang français, le peuple anglais décèle de toutes parts sa double origine. Son gouvernement formé de royauté et d'aristocratie, sa religion moins pompeuse que la catholique et plus brillante que la luthérienne, son militaire à la fois lourd et actif, sa littérature et ses arts, chez lui, enfin, le langage, les traits, et jusqu'aux formes du corps, tout participe des deux sources dont il découle. Il réunit à la simplicité, au calme, au bon sens, à la lenteur germanique, l'éclat, l'emportement, la déraison, la vivacité et l'élégance de l'esprit français.

Les Anglais ont l'esprit public, et nous l'honneur national; nos belles qualités sont plutôt des dons de la faveur divine, que les fruits d'une éducation politique; comme les demidieux, nous tenons moins de la terre que du ciel.

Fils aînés de l'antiquité, les Français, Romains par le génie, sont Grecs par le caractère. Inquiets et volages dans le bonheur; constants et invincibles dans l'adversité; formés pour tous les arts; civilisés jusqu'à l'excès durant le calme de l'État; grossiers et sauvages dans les troubles politiques; flottants, comme des vaisseaux sans lest, au gré de toutes les passions; à présent dans les cieux, l'instant d'après dans l'abîme; enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnaissance, et le second sans en sentir de remords; ne se souvenant ni de leurs crimes ni de leurs vertus; amants pusillanimes de la vie pendant la paix, prodigues de leurs jours dans les batailles ; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n'est pas eux; individuellement, les plus aimables des hommes; en corps, les plus désagréables de tous; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l'étranger; tour à tour plus doux, plus innocents que l'agneau qu'on égorge, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre qui déchire: tels furent les Athéniens d'autrefois, et tels sont les Français d'aujourd'hui.

(Etudes Historiques.)

*

ASPECT DE CONSTANTINOPLE.

Constantinople, et surtout la côte d'Asie, étaient noyées dans le brouillard; les cyprès et les minarets que j'apercevais à travers cette vapeur présentaient l'aspect d'une forêt dépouillée. Comme nous approchions de la pointe du sérail, le vent du nord se leva, et balaya, en moins de quelques minutes, la brume répandue sur ce tableau; je me trouvai tout-à-coup au milieu des palais du commandeur des croyants. Devant moi le canal de la mer Noire serpentait entre des collines riantes, ainsi qu'un fleuve superbe ; j'avais à droite la terre d'Asie et la ville de Scutari; la terre d'Europe était à ma gauche: elle formait, en se creusant, une large baie pleine de grands navires à l'ancre, et traversée par d'innombrables petits bateaux. Cette baie, refermée entre deux coteaux, présentait en regard

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