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mélancolie. Qu'il y a long-temps que l'homme existe ! Qu'il y a long-temps qu'il vit, qu'il souffre et qu'il périt! Où peut-on retrouver ses sentiments et ses pensées? L'air qu'on respire dans ces ruines en est-il encore empreint, ou sont-elles pour jamais déposées dans le ciel où règne l'immortalité? Quelques feuilles brûlées des manuscrits qui ont été trouvés à Herculanum et à Pompéia, et que l'on essaie de dérouler à Portici, sont tout ce qui nous reste pour interpréter les malheureuses victimes que le volcan, la foudre de la terre, a dévorées. Mais, en passant près de ces cendres que l'art parvient à ranimer, on tremble de respirer, de peur qu'un souffle n'enlève cette poussière où de nobles idées sont peut-être encore empreintes.

(Corinne.)

DE L'ESPRIT DE CONVERSATION.

En Orient, quand on n'a rien à se dire, on fume du tabac de rose ensemble, et de temps en temps on se salue, les bras croisés sur la poitrine, pour se donner un témoignage d'amitié; mais, dans l'Occident, on a voulu se parler tout le jour, et le foyer de l'àme s'est souvent dissipé dans ces entretiens où l'amour-propre est sans cesse en mouvement pour faire effet tout de suite, et selon le goût du moment et du cercle où l'on se trouve.

Il me semble reconnu que Paris est la ville du monde où l'esprit et le goût de la conversation sont le plus généralement répandus; et ce qu'on appelle le mal du pays, ce regret indéfinissable de la patrie qui est indépendant des amis mêmes qu'on y a laissés, s'applique particulièrement à ce plaisir de causer, que les Français ne retrouvent nulle part au même degré que chez eux. Volney raconte que les Français émigrés voulaient, pendant la révolution, établir une colonie et défricher les terres en Amérique ; mais de temps en temps ils quittaient toutes leurs occupations pour aller, disaient-ils, causer à la ville; et cette ville, la Nouvelle-Orléans, était à six cents lieues de leur demeure. Dans toutes les classes, en France, on sent le besoin de

causer; la parole n'y est pas seulement, comme ailleurs, un moyen de se communiquer ses idées, ses sentiments et ses affaires; mais c'est un instrument dont on aime à jouer et qui ranime les esprits, comme la musique chez quelques peuples, et les liqueurs fortes chez quelques autres.

Le genre de bien-être que fait éprouver une conversation animée ne consiste pas précisément dans le sujet de cette conversation; les idées ni les connaissances qu'on y peut développer n'en sont pas le principal intérêt: c'est une certaine manière d'agir les uns sur les autres, de se faire plaisir réciproquement et avec rapidité, de parler aussitôt qu'on pense, de jouir à l'instant de soi-même, d'être applaudi sans travail, de manifester son esprit dans toutes les nuances par l'accent, le geste, le regard; enfin de produire à volonté comme une sorte d'électricité qui fait jaillir des étincelles, soulage les uns de l'excès même de leur vivacité, et réveille les autres d'une apathie pénible.

(L'Allemagne.)

* UN VILLAGE MORAVE.

J'ai été, il y a quelque temps, à Dintendorf, petit village près d'Erfurth, où une communauté de Moraves s'est établie. Ce village est à trois lieues de toute grande route; il est placé entre deux montagnes, sur le bord d'un ruisseau; des saules et des peupliers élevés l'entourent; il y a, dans l'aspect de la contrée, quelque chose de calme et de doux, qui prépare l'âme à sortir des agitations de la vie. Les maisons et les rues sont d'une propreté parfaite; les femmes, toutes habillées de même, cachent leurs cheveux, et ceignent leur tête avec un ruban dont les couleurs indiquent si elles sont mariées, filles ou veuves; les hommes sont vêtus de brun, à peu près comme les quakers. Une industrie mercantile les occupe presque tous; mais on n'entend pas le moindre bruit dans le village. Chacun travaille avec régularité et tranquillité; et l'action intérieure des sentiments religieux apaise tout autre mouvement.

Les filles et les veuves habitent ensemble dans un grand

dortoir; et, pendant la nuit, une d'elles veille tour à tour pour prier ou pour soigner celles qui pourraient devenir malades. Les hommes non mariés vivent de la même manière. Ainsi, il existe une grande famille pour celui qui n'a pas la sienne, et le nom de frère et de sœur est commun à tous les chrétiens.

A la place de cloches, des instruments à vent d'une trèsbelle harmonie invitent au service divin. En marchant pour aller à l'église, au son de cette musique imposante, on se sentait enlevé à la terre; on croyait entendre les trompettes du jugement dernier, non telles que le remords nous les fait craindre, mais telles qu'une pieuse confiance nous les fait espérer; il semblait que la miséricorde divine se manifestât dans cet appel et prononçât d'avance un pardon régénérateur.

L'église était décorée de roses blanches et de fleurs d'aubépine; les tableaux n'étaient point bannis du temple, et la musique y était cultivée, comme faisant partie du culte; on n'y chantait que des psaumes; il n'y avait ni sermon, ni messe, ni raisonnement, ni discussion théologique. C'était le culte de Dieu en esprit et en vérité. Les femmes, toutes en blanc, étaient rangées les unes à côté des autres, sans aucune distinction quelconque; elles semblaient des ombres innocentes, qui venaient comparaître devant le tribunal de la Divinité.

Le cimetière des Moraves est un jardin dont les allées sont marquées par des pierres funéraires, à côté desquelles on a planté un arbuste à fleurs. Toutes ces pierres sont égales; aucun de ces arbustes ne s'élève au-dessus de l'autre, et la même épitaphe sert pour tous les morts: Il est né tel jour, et tel autre il est retourné dans sa patrie. Admirable expression pour désigner le terme de notre vie! Les anciens disaient: Il a vécu, et jetaient ainsi un voile sur la tombe, pour en dérober l'idée. Les Chrétiens placent au-dessus d'elle l'étoile de l'espérance.

Le jour de Pâques, le service divin se célèbre dans le cimetière, qui est placé à côté de l'église, et la résurrection est annoncée au milieu des tombeaux. Tous ceux qui sont

présents à cet acte du culte savent quelle est la pierre qu'on doit placer sur leur cercueil, et respirent déjà le parfum du jeune arbre dont les feuilles et les fleurs se pencheront sur leurs tombes. C'est ainsi qu'on a vu, dans les temps modernes, une armée tout entière assistant à ses propres funérailles, dire pour elle-même le service des morts, décidée qu'elle était à conquérir l'immortalité.

La communion des Moraves ne peut point s'adapter à l'état social tel que les circonstances nous le commandent ; mais, comme on a beaucoup dit depuis quelque temps que le catholicisme seul parlait à l'imagination, il importe d'observer que ce qui remue vraiment l'âme, dans la religion, est commun à toutes les églises chrétiennes. Un sépulcre et une prière épuisent toute la puissance de l'attendrissement; et plus la croyance est simple, plus le culte cause d'émotion.

(L'Allemagne.)

* BONAPARTE.

NAPOLEON BONAPARTE né à Ajaccio, en Corse, le 15 Août 1769; mort à Sainte-Hélène, à six heures moins onze minutes, le samedi soir 5 Mai 1821.

Ses restes ont été transférés aux Invalides le 15 Décembre 1840.

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Soldats, vous avez, en quinze jours, remporté six victoires, pris vingt drapeaux, cinquante pièces de canon, plusieurs places fortes, conquis la partie la plus riche du Piémont ; vous avez fait quinze mille prisonniers, tué ou blessé plus de dix mille hommes.

Vous vous étiez jusqu'ici battus pour des rochers stériles, illustrés par votre courage, mais inutiles à la patrie: vous égalez aujourd'hui par vos services l'armée conquérante de Hollande et du Rhin; dénués de tout, vous avez suppléé à

tout; vous avez gagné des batailles sans canons, passé des rivières sans ponts, fait des marches forcées sans souliers, bivouaqué sans eau-de-vie et quelquefois sans pain. Les phalanges républicaines, les soldats de la liberté étaient seuls capables de souffrir ce que vous avez souffert. Grâces vous en soient rendues, soldats! la patrie reconnaissante vous devra sa prospérité; et si, vainqueurs de Toulon, vous présageâtes l'immortelle campagne de l'an III, vos victoires actuelles en présagent une plus belle encore.

Les deux armées qui naguère vous attaquaient avec audace, fuient épouvantées devant vous. Les hommes pervers qui riaient des privations auxquelles vous étiez condamnés, et se réjouissaient, dans leur pensée, du triomphe de vos ennemis, sont confondus et tremblants.

Mais, soldats, il ne faut pas le dissimuler, vous n'avez rien fait, puisqu'il vous reste encore à faire: ni Turin ni Milan ne sont à vous; les cendres des vainqueurs des Tarquins sont encore foulées par vos ennemis.

Vous étiez dénués de tout au commencement de la campagne: vous êtes aujourd'hui abondamment pourvus; les magasins pris à nos ennemis sont nombreux; l'artillerie est arrivée; la patrie a droit d'attendre de vous de grandes choses justifierez-vous son attente? Les plus grands obstacles sont franchis, sans doute; mais vous avez encore des combats à livrer, des villes à prendre, des rivières à passer. En est-il d'entre vous dont le courage s'amollisse? en est-il qui préféreraient de retourner sur les sommets de l'Apennin et des Alpes, essuyer patiemment les injures d'une soldatesque esclave? Non, il n'en est point parmi les vainqueurs de Montenotte, de Millesimo, de Diego et de Mondovi !

Tous brûlent de porter au loin la gloire du peuple français, tous veulent humilier ces rois orgueilleux qui osaient méditer de nous donner des fers, tous veulent dicter une paix glorieuse, qui indemnise la patrie des sacrifices immenses qu'elle a faits; tous veulent, en rentrant dans leurs villages, pouvoir dire avec fierté: J'étais de l'armée conquérante de l'Italie!

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