salut, leur montrant, en quelque sorte, leur tombe ouverte, et plaçant sous leurs yeux le signal de la destruction; il n'est pas surprenant qu'il ait reçu le nom sinistre qu'il porte, et qui, réveillant tant d'idées lugubres, rappelle surtout la mort dont il est le ministre. Requin est, en effet, une corruption de requiem, qui désigne depuis longtems, en Europe, la mort et le repos éternel, et qui a dû être souvent, pour des passagers effrayés, l'expression de leur consternation, à la vue d'un squale de plus de trente pieds de longueur, et des victimes déchirées ou ensanglantées par ce tyran des ondes. Terrible encore lorsqu'on a pu parvenir à l'accabler de chaînes, se débattant avec violence au milieu de ses liens; conservant une grande puissance, lors même qu'il est déjà tout baigné dans son sang, et pouvant, d'un seul coup de sa queue, répandre le ravage autour de lui à l'instant même où il est près d'expirer, n'est-il pas le plus formidable de tous les animaux auxquels la nature n'a pas départi des armes empoisonnées? Le tigre le plus furieux, au milieu des sables brûlants; le crocodile le plus fort, sur les rivages équatoriaux; le serpent le plus démesuré, dans les solitudes africaines, doivent-ils inspirer autant d'effroi qu'un énorme requin au milieu des vagues agitées ? (Histoire naturelle des poissons.) VOLNEY. VOLNEY (CONSTANTIN-FRANÇOIS CHASSEBOEUF, comte de) naquit à Craon le 3 février 1757. Deux ouvrages lui assurent un rang distingué parmi les écrivains français, le Voyage en Egypte et en Syrie et les Ruines. Le style de Volney est remarquable par la fermeté et la précision; il est toujours clair, élégant et pittoresque. La forme séduisante sous laquelle il présente ses idées a donné quelque temps du crédit aux paradoxes qui abondent dans les Ruines, mais aujourd'hui cet ouvrage est plus apprécié pour la forme que pour le fond; c'est un livre digne d'estime comme œuvre littéraire, mais dont la valeur, comme œuvre philosophique, est à peu près nulle. Volney mourut à soixante-trois ans le 20 avril 1820, à Paris. Il était membre de l'Académie française depuis 1797. L'ASPECT DES PYRAMIDES D'EGYPTE. La main du temps, et plus encore celle des hommes qui ont ravagé tous les monuments de l'antiquité, n'ont rien pu jusqu'ici contre les pyramides. La solidité de leur construction, et l'énormité de leur masse, les ont garanties de toute atteinte, et semblent leur assurer une durée éternelle. Les voyageurs en parlent tous avec enthousiasme, et cet enthousiasme n'est point exagéré; l'on commence à voir ces montagnes factices dix-huit lieues avant d'y arriver. Elles semblent s'éloigner à mesure qu'on s'en approche; on en est encore à une lieue, et déjà elles dominent tellement sur la tête, qu'on croit être à leur pied; enfin, l'on y touche, et rien ne peut exprimer la variété des sensations qu'on y éprouve; la hauteur de leur sommet, la rapidité de leur pente, l'ampleur de leur surface, le poids de leur assiette, la mémoire des temps qu'elles rappellent, le calcul du travail qu'elles ont coûté, l'idée que ces immenses rochers sont l'ouvrage de l'homme, si petit et si faible, qui rampe à leur pied, tout saisit à la fois le cœur et l'esprit d'étonnement, de terreur, d'humiliation, d'admiration, de respect. Mais, il faut l'avouer, un autre sentiment succède à ce premier transport; après avoir pris une si grande opinion de la puissance de l'homme, quand on vient à méditer l'objet de son emploi, on ne jette plus qu'un œil de regret sur son ouvrage; on s'afflige de penser que, pour construire un vain tombeau, il a fallu tourmenter vingt ans une nation entière; on gémit sur la foule d'injustices et de vexations qu'ont dû coûter les corvées onéreuses et du transport, et de la coupe, et de l'entassement de tant de matériaux. On s'indigne contre l'extravagance des despotes qui ont commandé ces barbares ouvrages; ce sentiment revient plus d'une fois en parcourant les monuments de l'Egypte : ces labyrinthes, ces temples, ces pyramides, dans leur massive structure, attestent bien moins le génie d'un peuple opulent et ami des arts, que la servitude d'une nation tourmentée par le caprice de ses maîtres. Alors on pardonne à l'avarice qui, violant leurs tombeaux, a frustré leur espoir : on accorde moins de pitié à ces ruines; et, tandis que l'amateur des arts s'indigne, dans Alexandrie, de voir scier les colonnes des palais pour en faire des meules de moulin, le philosophe, après cette première émotion que cause la perte de toute belle chose, ne peut s'empêcher de sourire à la justice secrète du sort, qui rend au peuple ce qui lui coûta tant de peines, et qui soumet aux plus humbles de ses besoins l'orgueil d'un luxe inutile. (Voyage en Egypte.) MME DE STAËL. STAEL-HOLSTEIN (ANNE-LOUISE-GERMAINE, baronne de) naquit à Paris le 22 avril 1766. Fille du célèbre Necker, elle partagea les espérances que ce ministre attendait d'une réforme dont les effets, selon lui, devaient sauver la France du gouffre où cent années d'abus et de dilapidations l'avaient plongée. Les excès révolutionnaires excitèrent dans l'âme de madame de Stael une noble indignation; elle publia une énergique mais inutile défense de Marie-Antoinette. Quand le consulat eut succédé au directoire, elle prit un moment parti pour le jeune héros dans lequel résidait la force du nouveau gouvernement; mais elle ne tarda pas à se montrer hostile à Bonaparte, qui l'exila en 1801. Elle visita successivement l'Allemagne, l'Italie, la Suisse, la Russie, la Suède et l'Angleterre, et ne rentra en France qu'à l'époque de la Restauration. Elle mourut le 14 juillet 1817. Delphine, Corinne, l'Allemagne, les trois ouvrages les plus remarquables de cette femme célèbre, sont écrits d'un style ferme, énergique et brillant. ERUPTION DU VÉSUVE. Le feu du torrent est d'une couleur funèbre; néanmoins quand il brûle les vignes ou les arbres, on en voit sortir une flamme claire et brillante; mais la lave même est sombre, telle qu'on se représente un fleuve de l'enfer; elle roule lentement comme un sable noir le jour, et rouge la nuit. On entend, quand elle approche, un petit bruit d'étincelles, qui fait d'autant plus de peur qu'il est léger, et que la ruse semble se joindre à la force: le tigre royal arrive ainsi secrètement à pas comptés. Cette lave avance, avance sans jamais se hâter, et sans perdre un instant; si elle rencontre un mur élevé, un édifice quelconque qui s'oppose à son passage, elle s'arrête, elle amoncelle devant l'obstacle ses torrents noirs et bitumineux, et l'ensevelit enfin sous ses vagues brûlantes. Sa marche n'est point assez rapide pour que les hommes ne puissent pas fuir devant elle; mais elle atteint, comme le temps, les imprudents et les vieillards qui, la voyant venir lourdement et silencieusement, s'imaginent qu'il est aisé de lui échapper. Son éclat est si ardent que pour la première fois la terre se réfléchit dans le ciel, et lui donne l'apparence d'un éclair continuel: ce ciel, à son tour, se répète dans la mer, et la nature est embrasée par cette triple image du feu. Le vent se fait entendre et se fait voir par des tourbillons de flammes dans les gouffres d'où sort la lave. On a peur de ce qui ce passe au sein de la terre, et l'on sent que d'étranges fureurs la font trembler sous nos pas. Les rochers qui entourent la source de la lave sont couverts de soufre, de bitume dont les couleurs ont quelque chose d'infernal. Un vert liquide, un jaune brun, un rouge sombre, forment comme une dissonance pour les yeux et tourmentent la vue, comme l'ouïe serait déchirée par ces sons aigus que faisaient entendre les sorcières quand elles appelaient, de nuit, la lune sur la terre. Tout ce qui entoure le volcan rappelle l'enfer, et les descriptions des poètes sont sans doute empruntées de ces lieux. C'est là que l'on conçoit comment les hommes ont cru à l'existence d'un génie malfaisant qui contrariait les desseins de la Providence. On a dû se demander, en contemplant un tel séjour, si la bonté seule présidait aux phénomènes de la création, ou bien si quelque principe caché forçait la nature, comme l'homme, à la férocité. (Corinne.) ΡΟΜΡΕΙΑ. A Rome, on ne trouve guère que les débris des monument publics, et ces monuments ne retracent que l'histoire politique des siècles écoulés ; mais à Pompéia c'est la vie privée des anciens qui s'offre à vous telle qu'elle était. Le volcan qui a couvert cette ville de cendres, l'a préservée des outrages du temps. Jamais des édifices exposés à l'air ne se seraient ainsi maintenus, et ce souvenir enfoui s'est retrouvé tout entier. Les peintures, les bronzes étaient encore dans leur beauté première, et tout ce qui peut servir aux usages domestiques est conservé d'une maniêre effrayante. Les amphores sont encore préparées pour le festin du jour suivant; la farine qui allait être pétrie est encore là. Les restes d'une femme sont encore ornés des parures qu'elle portait dans le jour de fête que le volcan a troublé, et ses bras desséchés ne remplissent plus le bracelet de pierreries qui les entoure encore. On ne peut voir nulle part une image aussi frappante de l'interruption subite de la vie. Le sillon des roues est visiblement marqué sur les pavés dans les rues, et les pierres qui bordent les puits portent la trace des cordes qui les ont creusées peu à peu. On voit encore sur les murs d'un corps-de-garde les caractères mal formés, les figures grossièrement esquissées que les soldats traçaient pour passer le temps, tandis que ce temps avançait pour les engloutir. Quand on se place au milieu du carrefour des rues, d'où l'on voit de tous côtés la ville qui subsiste encore presqu'en entier, il semble qu'on attende quelqu'un, que le maître soit prêt à venir; et l'apparence. même de la vie qu'offre ce séjour fait sentir plus tristement son éternel silence. C'est avec des morceaux de lave pétrifiée que sont bâties la plupart de ces maisons qui ont été ensevelies par d'autres laves Ainsi, ruines sur ruines, et tombeaux sur tombeaux. Cette histoire du monde où les époques se comptent de débris en débris, cette vie humaine dont la trace se suit à la lueur des volcans qui l'ont consumée, remplit le cœur d'une profonde |