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Le sage que deux mondes réclament, l'homme que se disputent l'histoire des sciences et l'histoire des empires, tenait sans doute un rang élevé dans l'espèce humaine.

Assez long-temps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre. Assez long-temps l'étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites. Les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs. Les représentants des nations ne doivent recommander à leur hommage que les héros de l'humanité.

Le Congrès a ordonné dans les quatorze Etats de la confédération un deuil de deux mois pour la mort de Franklin, et l'Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération pour l'un des pères de sa constitution.

Ne serait-il pas digne de nous, Messieurs, de nous unir à cet acte religieux, de participer à cet hommage rendu, à la face de l'univers, et aux droits de l'homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager la conquête sur toute la terre. L'antiquité eut élevé des autels à ce vaste et puissant génie qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. La France, éclairée et libre, doit du moins un témoignage de souvenir et de regret à l'un des plus grands hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté.

Je propose qu'il soit décrété que l'assemblée nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Franklin.

*J. DE MAISTRE.

* DE MAISTRE (JOSEPH, comte de) né à Chambéri le 1er avril 1753 entra dans la carrière de la magistrature et devint successivement sénateur, régent de la grande chancellerie de Sardaigne, ministre plénipotentiaire auprès de la cour de Russie et enfin ministre d'Etat En dehors de sa vie politique, il sut trouver de studieux loisirs pour cultiver la littérature, dans laquelle il se fit un nom célèbre par ses Considérations sur la France, son livre intitulé Du Pape et ses

Soirées de Saint-Pétersbourg. Doué de beaucoup d'esprit et d'une imagination brillante, M. de Maistre se distingue par une éloquence enthousiaste et prophétique; quant à la philosophie systématique de ses écrits elle na pu prévaloir et ne rencontrera même jamais de nombreux partisans.

Cet écrivain mourut le 15 février 1821. Il ne faut pas le confondre avec son frère Xavier, auteur du Voyage autour de ma Chambre, et du Lépreux de la cité d'Aoste.

UNE NUIT D'ÉTÉ À SAINT-PÉTERSBOURG.

Rien n'est plus rare, mais rien n'est plus enchanteur, qu'une belle nuit d'été à Saint-Pétersbourg, soit que la longueur de l'hiver et la rareté de ces nuits leur donnent, en les rendant plus désirables, un charme particulier, soit que réellement, comme je le crois, elles soient plus douces et plus calmes que dans les plus beaux climats.

Le soleil, qui, dans les zones tempérées, se précipite à l'occident, et ne laisse après lui qu'un crépuscule fugitif, rase ici lentement une terre dont il semble se détacher à regret. Son disque, environné de vapeurs rougeâtres, roule, comme un char enflammé, sur les sombres forêts qui couronnent l'horizon, et ses rayons, réfléchis par le vitrage des palais, donnent au spectateur l'idée d'un vaste incendie.

Les grands fleuves ont ordinairement un lit profond et des bords escarpés qui leur donnent un aspect sauvage. La Néva coule à pleins bords au sein d'une cité magnifique : ses eaux limpides touchent le gazon des îles qu'elle embrasse, et, dans toute l'étendue de la ville, elle est contenue par deux quais de granit, alignés à perte de vue, espèce de magnificence répétée dans les trois grands canaux qui parcourent la capitale, et dont il n'est pas possible de trouver ailleurs le modèle ni l'imitation.

Mille chaloupes se croisent et sillonnent l'eau en tous sens on voit de loin les vaisseaux étrangers qui plient leurs voiles et jettent l'ancre. Ils apportent sous le pôle les fruits des zones brûlantes et toutes les productions de l'univers. Les brillants oiseaux d'Amérique voguent sur la Néva avec des bosquets d'orangers: ils retrouvent en arrivant la noix du cocotier, l'ananas, le citron et tous les fruits

de leur terre natale. Bientôt le Russe opulent s'empare des richesses qu'on lui présente, et jette l'or, sans compter, à l'avide marchand.

Nous rencontrions de temps en temps d'élégantes chaloupes dont on avait retiré les rames, et qui se laissaient aller doucement au paisible courant de ces belles eaux. Les rameurs chantaient un air national, tandis que leurs maîtres jouissaient en silence de la beauté du spectacle et du calme de la nuit. Près de nous, une longue barque emportait rapidement une noce de riches négociants. Un baldaquin cramoisi, garni de franges d'or couvrait le jeune couple et les parents. Une musique russe, resserrée entre deux files de rameurs, envoyait au loin le son de ses bruyants cornets. Cette musique n'appartient qu'à la Russie, et c'est peut-être la seule chose particulière à un peuple, qui ne soit pas ancienne.

La statue équestre de Pierre 1er s'élève sur le bord de la Néva, à l'une des extrémités de l'immense place d'Isaac. Son visage sévère regarde le fleuve et semble encore animer cette navigation créée par le génie du fondateur. Tout ce que l'oreille entend, tout ce que l'œil contemple sur ce superbe théâtre, n'existe que par une pensée de la tête puissante qui fit sortir d'un marais tant de monuments pompeux. Sur ces rives désolées, d'où la nature semblait avoir exilé la vie, Pierre assit sa capitale et se créa des sujets. Son bras terrible est encore étendu sur leur postérité qui se presse autour de l'auguste effigie. On regarde, et l'on ne sait si cette main de bronze protége ou menace.

A mesure que notre chaloupe s'éloignait, le chant des bateliers et le bruit confus de la ville s'éteignaient insensiblement. Le soleil était descendu sous l'horizon; des nuages brillants répandaient une clarté douce, un demi-jour doré qu'on ne saurait peindre, et que je n'ai jamais vu ailleurs. La lumière et les ténèbres semblent se mêler et comme s'entendre pour former le voile transparent qui couvre alors ces campagnes. Soirées de Saint-Pétersbourg.

LACÉPÈDE.

LACÉPÈDE (Bernard-Germain-ETIENNE DE LA

VILLE-SUR

ILLON, comte de) naquit à Agen en 1756. Il s'appliqua fort jeune à l'étude de l'histoire naturelle et à celle de la musique, et établit une correspondance active avec Gluck et Buffon, qui le choisit pour continuateur de son Histoire naturelle. Lacépède a publié l'Histoire des quadrupèdes ovipares, celle des reptiles, des poissons et des cétacés. Son style qu'on ne peut comparer à celui de Buffon sous le rapport de l'élégance et de l'harmonie, est cependant remarquable par une clarté et une précision qui donnent à toutes ses descriptions beaucoup de charme et d'intérêt.

Lacépède qui traversa paisiblement la Révolution fut comblé d'honneurs pendant sa vie.-Il fut nommé membre de l'Institut en 1796 et mourut à Epinay le 19 Septembre 1825.

* LE LÉZARD GRIS.

Le lézard gris paraît être le plus doux, le plus innocent, et l'un des plus utiles des lézards. Ce joli petit animal, si commun dans le pays où nous écrivons, et avec lequel tant de personnes ont joué dans leur enfance, n'a pas reçu de la nature un vêtement aussi éclatant que plusieurs autres quadrupèdes ovipares; mais elle lui a donné une parure élégante; sa petite taille est svelte, son mouvement agile, sa course si prompte, qu'il échappe à l'œil aussi rapidement que l'oiseau qui vole. Il aime à recevoir la chaleur du soleil; ayant besoin d'une température douce, il cherche les abris; et lorsque, dans un beau jour de printemps, une lumière pure éclaire vivement un gazon en pente, ou une muraille qui augmente la chaleur en la réfléchissant, on le voit s'étendre sur ce mur, ou sur l'herbe nouvelle, avec une espèce de volupté. Il se pénètre avec délices de cette chaleur bienfaisante, il marque son plaisir par de molles ondulations de sa queue déliée; il fait briller ses yeux vifs et animés; il se précipite comme un trait pour saisir une petite proie, ou pour trouver un abri plus commode. Bien

loin de s'enfuir à l'approche de l'homme, il paraît le regarder avec complaisance; mais au moindre bruit qui l'effraye, à la chute seule d'une feuille, il se roule, tombe, et demeure pendant quelques instants comme étourdi par sa chute; ou bien il s'élance, disparaît, se trouble, revient, se cache de nouveau, reparaît encore, et décrit en un instant plusieurs circuits tortueux que l'œil a de la peine à suivre, se replie plusieurs fois sur lui-même, et se retire enfin dans quelque asile, jusqu'à ce que sa crainte soit dissipée.

(Ovipares.)

LE REQUIN.

Ce formidable squale parvient jusqu'à une longueur de plus de dix mètres (trente pieds, ou environ); il pèse quelquefois près de cinquante myriagrammes (mille livres), et il s'en faut de beaucoup que l'on ait prouvé que l'on doit regarder comme exagérée l'assertion de ceux qui ont prétendu qu'on avait pêché un requin du poids de plus de cent quatrevingt-dix myriagrammes (quatre mille livres).

Mais la grandeur n'est pas son seul attribut; il a reçu aussi la force et des armes meurtrières; et, féroce autant que vorace, impétueux dans ses mouvements, avide de sang, insatiable de proie, il est véritablement le tigre de la mer. Recherchant sans crainte tout ennemi, poursuivant avec plus d'obstination, attaquant avec plus de rage, combattant avec plus d'acharnement que les autres habitants des eaux; plus dangereux que plusieurs cétacés, qui presque toujours, sont moins puissants que lui; inspirant même plus d'effroi que les baleines qui, moins bien armées, et douées d'appétits bien différents, ne provoquent presque jamais ni l'homme, ni les grands animaux; rapide dans sa course, répandu sur tous les climats, ayant envahi, pour ainsi dire, toutes les mers; paraissant souvent au milieu des tempêtes; aperçu facilement par l'éclat phosphorique dont il brille, au milieu des ombres des nuits les plus orageuses; menaçant de sa gueule énorme et dévorante les infortunés navigateurs exposés aux horreurs du naufrage, leur fermant toute voie de

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