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beaux calices plus blancs que l'ivoire, que j'admirerai le roi des vallées ? Sa blancheur incomparable n'est-elle pas encore plus éclatante quand elle est mouchetée, comme des gouttes de corail, par de petits scarabées, écarlates, hémisphériques, piquetés de noir, qui y cherchent presque toujours un asile? Qui est-ce qui peut reconnaître dans une rose sèche la reine des fleurs? Pour qu'elle soit à la fois un objet de l'amour et de la philosophie, il faut la voir, lorsque, sortant des fentes d'un rocher humide, elle brille sur sa propre verdure, que le zéphyr la balance sur sa tige hérissée d'épines, que l'aurore l'a couverte de pleurs, et qu'elle appelle par son éclat et par ses parfums la main des amants. Quelquefois une cantharide, nichée dans sa corolle, en relève le carmin par son vert d'émeraude: c'est alors que cette fleur semble nous dire que, symbole du plaisir par ses charmes et par sa rapidité, elle porte comme lui le danger autour d'elle, et le repentir dans son sein.

(Etudes de la nature.)

LES TOMBEAUX.

Un tombeau est un monument placé sur les limites des deux mondes. Il nous présente d'abord la fin des vaines inquiétudes de la vie, et l'image d'un éternel repos; ensuite il élève en nous le sentiment confus d'une immortalité heureuse, dont les probabilités augmentent à mesure que celui dont il nous rappelle la mémoire a été plus vertueux. C'est là que se fixe notre vénération; et cela est si vrai, que, quoiqu'il n'y ait aucune différence entre la cendre de Socrate et celle de Néron, personne ne voudrait avoir dans ses bosquets celle de l'empereur romain, quand même elle serait renfermée dans une urne d'argent, et qu'il n'y a personne qui ne mît celle du philosophe dans le lieu le plus honorable de son appartement, quand elle ne serait que dans un vase d'argile.

C'est donc par cet instinct intellectuel pour la vertu que les tombeaux des grands hommes nous inspirent une vénération si touchante. C'est par le même sentiment que ceux

qui renferment des objets qui ont été aimables nous donnent tant de regrets. Voilà pourquoi nous sommes émus à la vue du petit tertre qui couvre les cendres d'un enfant aimable, par le souvenir de son innocence; voilà encore pourquoi nous voyons avec tant d'attendrissement une tombe sous laquelle repose une jeune femme, l'amour et l'espérance de sa famille par ses vertus. Il ne faut pas, pour rendre recommandables ces monuments, des marbres, des bronzes, des dorures: plus ils sont simples, plus ils donnent d'énergie au sentiment de la mélancolie. Ils font plus d'effet pauvres que riches, antiques que modernes, avec des détails d'infortune qu'avec des titres d'honneur, avec les attributs de la vertu qu'avec ceux de la puissance.

C'est surtout à la campagne que leur impression se fait vivement sentir: une simple fosse fait souvent verser plus de larmes que les catafalques dans les cathédrales: c'est là que la douleur prend de la sublimité; elle s'élève avec les vieux ifs des cimetières, elle s'étend avec les plaines et les collines d'alentour; elle s'allie avec tous les effets de la ⚫ nature, le lever de l'aurore, le murmure des vents, le coucher du soleil et les ténèbres de la nuit. Les travaux les plus rudes et les destinées les plus humiliantes n'en peuvent éteindre l'impression dans les cœurs des plus misérables. (Etudes de la nature.)

LA HARPE.

LA HARPE (JEAN-FRANÇOIS DE) naquit Paris en 1739. Il se livra tour à tour à l'éloquence et à la poésie, et mérita comme poète et comme prosateur une place honorable dans notre littérature; c'est un écrivain correct et élégant auquel toutes les ressources du style étaient familières; mais ses ouvrages, poèmes ou éloges, sont en général dépourvus de force et de chaleur. Warwick, Coriolan, Philoctète, et Mélanie, productions dramatiques estimables, ont obtenu dans la nouveauté un succès qui ne s'est pas soutenu au théâtre. L'ouvrage qui a con

tribué le plus à sa réputation est son Cours de littérature: il lui a mérité, malgré ses défauts, le surnom de Quintilien français.

La Harpe, qui avait succédé, à l'Académie française, à Colardeau, en 1776, mourut à Paris le 11 février 1803.

CÉSAR ET HENRI IV.

Si nous avons, parmi les modernes, un homme qu'on puisse comparer à César, c'est peut-être Henri IV. On remarque entre eux beaucoup de traits de ressemblance et d'objets de comparaison.

Tous deux avaient reçu de la nature une âme élevée et sensible, un génie également souple et profond dans les affaires politiques, de grands talents pour la guerre : tous deux furent redevables de l'empire à leur courage et à leurs travaux : tous deux pardonnèrent à leurs ennemis, et finirent par en être les victimes: tous deux connaissaient le grand art de s'attacher les hommes et de les employer; art le plus nécessaire de tous à quiconque commande ou veut commander; tous deux étaient adorés de leurs soldats, et mêlaient les plaisirs aux fatigues militaires et aux intrigues de l'ambition. Farnèse, à qui notre Henri IV eut affaire, valait bien Pompée le rival de César; et la France fut pour tous deux un champ de victoire. César combattait des armées plus nombreuses: Henri eut à vaincre des obstacles de tous les genres avec moins de moyens.

Tous deux avaient une activité prodigieuse, et suivaient ce grand principe, qu'il ne faut laisser faire à d'autres que ce qu'on ne peut pas faire soi-même. Tous deux ont su régner, et ont régné trop peu. Si l'un eût vécu vingt ans de plus, le système de l'Europe était changé; si l'autre n'eût pas été enlevé par un assassinat, il eût accoutumé les Romains à sa domination aussi bien qu'Auguste, et aurait fait de plus grandes choses que lui. César prodigua l'argent dans une république qu'il voulait corrompre; Henri le ménagea dans une monarchie qu'il fallait rétablir,

'Tous deux furent arrachés par une mort prématurée aux grands projets qu'ils méditajent; et l'on peut croire que

Henri eût été aussi heureux contre les Espagnols que César pouvait l'être contre les Parthes. Arques, FontaineFrançaise, Coutras, Ivry, ne sont pas d'aussi grands noms dans la mémoire des hommes, et n'entraînaient pas d'aussi grandes destinées que la journée de Pharsale; mais il y avait autant de talents à déployer, avec moins de renommée à obtenir.

César joignit la gloire des lettres à celle des armes, et cet avantage manquait à Henri IV; mais c'était la faute de son éducation et du temps bien plus que son génie; il avait l'esprit juste, l'élocution facile et souvent noble; et la harangue de Rouen prouve qu'il eut l'éloquence des grandes âmes.

Sa cause était en tout légitime et glorieuse : celle de César, qu'il est impossible de justifier en bonne morale, peut s'excuser en politique, et si l'on considère qu'il avait nécessairement la conscience de ce qu'il pouvait faire et de ce qu'il devait craindre, et que, parmi plusieurs concurrents qui aspiraient à être aussi criminels qu'il devint, il fut ou assez heureux ou assez malheureux pour être dans le cas de se déclarer le premier.

(Cours de littérature.)

LA FONTAINE.

Il est donc aussi des honneurs publics pour l'homme simple et le talent aimable! Ainsi donc la postérité, plus promptement frappée en tout genre de ce qui se présente à ses yeux avec un éclat imposant, occupée d'abord de célébrer ceux qui ont produit des révolutions mémorables dans l'esprit humain, ou qui ont régné sur les peuples par les puissantes illusions du théâtre, la postérité a tourné ses regards sur un homme qui, sans avoir à lui offrir des titres magnifiques, ni d'aussi grands monuments, ne méritait pas moins ses attentions et ses hommages; sur un écrivain original et enchanteur, le premier de tous dans un genre d'ouvrage plus fait pour être goûté avec délices, que pour être admiré avec transport; à qui nul n'a ressemblé dans le talent de

raconter; que nul n'égala jamais dans l'art de donner des grâces à la raison, et de la gaieté au bon sens; sublime dans sa naïveté, et charmant dans sa négligence; sur un homme modeste qui a vécu sans éclat en produisant des chefs-d'œuvre, comme il vivait avec sagesse en se livrant dans ses écrits à toute la liberté de l'enjouement; qui n'a jamais rien prétendu, rien envié, rien affecté; qui devait être plus relu que célébré, et qui obtint plus de renommée que de récompenses; homme d'une simplicité rare, qui sans doute ne pouvait pas ignorer son génie, mais ne l'appréciait pas; et qui même, s'il pouvait être témoin des honneurs qu'on lui rend aujourd'hui, serait étonné de sa gloire, et aurait besoin qu'on lui révélât le secret de son mérite. (Eloge de La Fontaine.)

CHAMFORT.

CHAMFORT (SÉBASTIEN-ROCH-NICOLAS) naquit en 1741 dans un village près de Clermont. Entré au collége des Grassins par la protection d'un docteur en Sorbonne, il obtint en rhétorique les cinq premiers prix de l'Université. Une pièce de vers remarquable couronnée par l'Académie française en 1764, et la Jeune Indienne, comédie en vers représentée la même année, ont fondé sa réputation d'écrivain élégant et ingénieux. Les Éloges de Molière et de La Fontaine qui furent couronnés tous les deux, la comédie du Marchand de Smyrne et la tragédie de Mustapha et Zéangir, ouvrages dignes du succès qu'ils obtinrent, lui ouvrirent, en 1781, les portes de l'Académie française.

Chamfort, qui fut l'ami de Mirabeau, et qui, dit-on, participa activement aux travaux de ce grand orateur, mourut le 13 avril 1794.

MOLIÈRE ET LA FONTAINE.

Molière, dans chacune de ses pièces, ramenant la peinture des mœurs à un objet philosophique, donne à la comédie la moralité de l'apologue; La Fontaine, transportant dans ses fables la peinture des mœurs, donne à l'apologue une

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