Page images
PDF
EPUB

ment s'exposer au plus grand péril, pour vous en garantir? Cela n'est pas naturel. Français tant qu'il vous plaira, l'amour de la patrie ne fait point faire de ces démarches périlleuses, et surtout en faveur d'un inconnu. Cet homme n'est pas votre ami ?-Non.-Il était mal vêtu ?—Oui, fort mal.-Vous a-t-il demandé de l'argent, un petit écu pour prix de son avis?—Oh! pas une obole.-Cela est encore plus extraordinaire; mais d'où sait-il tout ce qu'il vous a dit? -Ma foi, je n'en sais rien....Des Inquisiteurs, d'eux-mêmes. -Outre que ce Conseil est le plus secret qu'il y ait au monde, cet homme n'est pas fait pour en approcher.-Mais c'est peut-être un des espions qu'ils emploient.-A d'autres ! On prendra pour espion un étranger, et cet espion sera vêtu comme un gueux, en faisant une profession assez vile pour être bien payée, et cet espion trahira ses maîtres pour vous, au hasard d'être étranglé si l'on vous prend et que vous le dénonciez, si vous vous sauvez et que l'on soupçonne qu'il vous ait averti! Chanson que tout cela, mon ami.—Mais qu'est-ce donc que ce peut être ?-Je le cherche, mais inutilement."

66

Après avoir l'un et l'autre épuisé toutes les conjectures possibles, et le président persistant à déloger au plus vite, et cela pour le plus sûr,-lord Chesterfield, après s'être un peu promené, s'être frotté le front comme un homme à qui il vient une pensée profonde, s'arrêta tout court et dit : Président, attendez, mon ami; il me vient une idée mais.... si....par hasard....cet homme...-Eh bien! cet homme ?— Si cet homme....oui, cela pourrait bien être, cela est même, je n'en doute plus. Mais qu'est-ce que cet homme ? Si vous le savez, dépêchez-vous donc de me l'apprendre.—Si je le sais! oh! oui, je crois le savoir à présent....Si cet homme vous avait été envoyé par...-Epargnez, s'il vous plaît!-Par un homme qui est malin quelquefois, par un certain lord Chesterfield qui aurait voulu vous prouver par expérience qu'une once de sens commun vaut mieux que cent livres d'esprit, car avec du sens commun........—Ah! scélérat, s'écria le président, quel tour vous m'avez joué! Et mon manuscrit! mon manuscrit que j'ai brûlé !”

Le président ne put jamais pardonner au lord cette plaisanterie. Il avait ordonné qu'on tînt sa chaise prête, il monta dedans et partit la nuit même, sans dire adieu à son compagnon de voyage. Moi, je me serais jeté à son cou, je l'aurais embrassé cent fois, et je lui aurais dit: Ah! mon ami vous m'avez prouvé qu'il y a en Angleterre des gens d'esprit, et je trouverai peut-être l'occasion une autre fois de vous convaincre qu'il y a en France des gens de bon

sens.

(Mémoires.)

VAUVENARGUES.

VAUVENARGUES (LUC DE CLAPIERS, MARQUIS DE) naquit à Aix en Provence le 6 août 1715, l'année même de la mort de Louis XIV. Il embrassa la carrière des armes; mais la faiblesse de sa santé le força d'y renoncer presque aussitôt. Atteint d'une maladie qui l'affligea d'une infirmité incurable, Vauvenargues chercha des consolations contre ses souffrances, dans la méditation et l'étude. L'Introduction à la connaissance de l'esprit humain, suivie de réflexions et de maximes, parut en 1746. Cet ouvrage, un des beaux monuments de notre langue, a suffi pour immortaliser la mémoire de son auteur, qui fut enlevé aux lettres à la fleur de son âge.

Vauvenargues mourut en 1747.

RÉFLEXIONS ET MAXIMES.

Quand on sent qu'on n'a pas de quoi se faire estimer de quelqu'un, on est bien près de le haïr.

Les sots ne comprennent pas les gens d'esprit.

Il est faux qu'on ait fait fortune quand on ne sait pas en jouir.

La modération des faibles est médiocrité.

Le sentiment de nos forces les augmente.

Nos plus sûrs protecteurs sont nos talents.

Il faut tout attendre et tout craindre du temps et des hommes.

Quiconque est plus sévère que les lois est un tyran. L'ingratitude la plus odieuse, mais la plus commune et la plus ancienne, est celle des enfants envers leurs pères. Qui sait tout souffrir peut tout oser.

Il n'y a rien que la crainte et l'espérance ne persuadent aux hommes.

L'art de plaire est l'art de tromper.

L'indolence est le sommeil des esprits.

La raillerie est l'épreuve de l'amour-propre.

Un

peu de bon sens fait évanouir beaucoup d'esprit.

On tourne une pensée comme un habit pour s'en servir plusieurs fois.

Il n'y a point d'homme qui ait assez d'esprit pour n'être jamais ennuyeux.

On ne peut contrefaire le génie.

Personne ne peut se vanter de n'avoir jamais été méprisé. Celui qui a un grand sens sait beaucoup.

La solitude est à l'esprit ce que la diète est au corps. Ceux qui méprisent l'homme ne sont pas de grands hommes.

BARTHÉLEMY.

BARTHÉLEMY (JEAN-JACQUES), né à Cassis en 1716, eut la réputation d'un savant antiquaire avant d'être connu comme un de nos écrivains les plus élégants et les plus purs. Ce ne fut qu'en 1788 que parut le Voyage d'Anacharsis, auquel l'auteur travaillait depuis trente années. Cet ouvrage, où l'érudition se cache sous les formes et les ornements les plus gracieux, eut un succès éclatant et obtint immédiatement les honneurs de la traduction dans presque toutes les langues de l'Europe. Barthélemy, qui depuis 1747 était membre de l'Académie des inscriptions, fut élu par l'Académie française en 1789, c'est-à-dire presque aussitôt après la publication du Jeune Anacharsis; c'était, de la part des académiciens, faire bonne et prompte justice: aussi le public tout entier applaudit à leur choix. La révolution ravit à Barthélemy toute sa fortune. Après s'être vu privé de sa liberté, qu'il recouvra heureusement au bout de quelques heures de détention, il chercha une retraite où il trouvât le repos et l'oubli.

Il mourut le 30 avril 1795.

HIPPOCRATE, OU LE VRAI MÉDECIN.

Hippocrate naquit dans l'île de Cos, la première année de la quatre-vingtième olympiade. Il était de la famille des Asclépiades, qui, depuis plusieurs siècles, conserve la doctrine d'Esculape auquel elle rapporte son origine. Elle a formé trois écoles établies, l'une à Rhodes, la seconde à Gnide, et la troisième à Cos. Il reçut de son père, Héraclide, les éléments des sciences; et, convaincu bientôt que pour connaître l'essence de chaque corps en particulier, il faudrait remonter aux principes constitutifs de l'univers, il s'appliqua tellement à la physique générale, qu'il tient un rang honorable parmi ceux qui s'y sont le plus distingués.

Les intérêts de la médecine se trouvaient alors entre les mains de deux classes d'hommes qui travaillaient, à l'insu l'une de l'autre, à lui ménager un triomphe éclatant d'un côté, les philosophes ne pouvaient s'occuper du système général de la nature sans laisser tomber quelques regards sur le corps humain, sans assigner à certaines causes les vicissitudes qu'il éprouve souvent; d'un autre côté, les descendants d'Esculape traitaient les maladies suivant des règles confirmées par de nombreuses guérisons, et leurs trois écoles se félicitaient à l'envi de plusieurs excellentes découvertes. Les philosophes discouraient, les Asclepiades agissaient. Hippocrate, enrichi des connaissances des uns et des autres, conçut une de ces grandes et importantes idées qui servent d'époques à l'histoire du génie; ce fut d'éclairer l'expérience par le raisonnement, et de rectifier la théorie par la pratique. Dans cette théorie, néanmoins, il n'admit que les principes relatifs aux divers phénomènes que présente le corps humain, considéré dans les rapports de maladie et de santé.

A la faveur de cette méthode, l'art, élevé à la dignité de la science, marcha d'un pas plus ferme dans la route qui venait de s'ouvrir, et Hippocrate acheva paisiblement une révolution qui a changé la face de la médecine.

Ni l'amour du gain, ni le désir de la célébrité, n'animè

rent ses travaux. On ne vit jamais dans son âme qu'un sentiment, l'amour du bien; et dans le cours de sa longue vie qu'un seul fait, le soulagement des malades.

Il a laissé plusieurs ouvrages: les uns ne sont que les journaux des maladies qu'il avait suivies; les autres contiennent les résultats de son expérience et de celles des siècles antérieurs ; d'autres enfin traitent des devoirs du médecin, et de plusieurs parties de la médecine ou de la physique : tous doivent être médités avec attention, parce que l'auteur se contente souvent d'y jeter les semences de sa doctrine, et que son style est toujours concis; mais il dit beaucoup de choses en peu de mots, ne s'écarte jamais de son but; et, pendant qu'il y court, il laisse sur sa route des traces de lumière plus ou moins aperçues, suivant que le lecteur est plus ou moins éclairé. C'était la méthode des anciens philosophes, plus jaloux d'indiquer des idées neuves que de s'appesantir sur des idées communes.

Ce grand homme s'est peint dans ses écrits. Rien de si touchant que cette candeur avec laquelle il rend compte de ses malheurs et de ses fautes. Ici vous lisez les listes des malades qu'il avait traités pendant une épidémie, et dont la plupart étaient morts entre ses bras; là, vous le verrez auprès d'un Thessalien blessé d'un coup de pierre à la tête. Il ne s'aperçut pas d'abord qu'il fallait recourir à la voie du trépan. Des signes funestes l'avertirent enfin de sa méprise. L'opération fut faite le quinzième jour, et le malade mourut le lendemain. C'est de lui-même que l'on tient ces aveux; c'est lui qui, supérieur à toute espèce d'amourpropre, voulut que ses erreurs mêmes fussent des leçons.

Peu content d'avoir consacré ses jours au soulagement des malheureux, et déposé dans ses écrits les principes d'une science dont il fut le créateur, il laissa, pour l'instruction du médecin, des règles importantes et précieuses.

66

Voulez-vous, dit-il, former un élève, assurez-vous lentement de sa vocation. A-t-il reçu de la nature un discernement exquis, un jugement sain, un caractère mêlé de douceur et de fermeté, le goût du travail, et du penchant pour les choses honnêtes, concevez des espérances. Souffre-t-il

« PreviousContinue »