Page images
PDF
EPUB

temps que le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire y paraissait pour la première fois.

La Fontaine publia, en 1694, un nouveau volume in-12 qui avait été achevé d'imprimer le 1er septembre 1693. Ce volume comprenait les fables parues depuis 1679, soit dans les Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, soit dans le Mercure galant, excepté la Ligue des Rats, laissée de côté; plus le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire, extraite du recueil du P. Bouhours auquel il n'empruntait pourtant pas le Soleil et les Grenouilles; enfin quelques fables nouvelles complétant ce qui forme aujourd'hui le douzième livre. En outre, Daphnis et Alcimadure, Philémon et Baucis, la Matrone d'Éphèse, Belphegor, les Filles de Minée, déjà mis au jour, étaient insérés entre la fable du Renard anglais et celle du Juge arbitre, de l'Hospitalier et du Solitaire, qui terminait le volume, de sorte que la table des matières les présente ainsi :

Fable 23. Le Renard anglais.

24. Daphnis et Alcimadure.

25. Philémon et Baucis.

26. La Matrone d'Éphèse.

27. Belphégor.

28. Les Filles de Minée.

29. Le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire.

Quatre fables figurent dans les OEuvres posthumes de La Fontaine, publiées en 1696 par Mme Ulrich, mais elles avaient déjà été imprimées; ce sont:

1. Le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire.

2. Les deux Chèvres.

L'une et l'autre étaient dans le volume de 1694.

3. Le Soleil et les Grenouilles.

4. La Ligue des Rats, qui parut alors pour la première fois sous le nom de La Fontaine, et qui par conséquent n'a pas été avouée par lui de son vivant.

Ces deux dernières fables ont ensuite été jointes au douzième livre par les éditeurs.

Ainsi s'est constitué le corps des fables de La Fontaine tel que nous le possédons.

[merged small][ocr errors]

JUGEMENTS ET TÉMOIGNAGES SUR LES FABLES
DE LA FONTAINE.

Il n'y a qu'une opinion, qu'un sentiment sur les fables de La Fontaine. C'est à peine, en effet, s'il est nécessaire de tenir compte des rares détracteurs qu'elles ont eus. Ceux de ces détracteurs qui méritent d'être signalés le seront cependant dans la revue que nous allons passer. On peut dire que ces quelques voix discordantes ne troublent pas le concert d'admiration unanime dont l'œuvre du fabuliste a été l'objet. Les jugements de la critique ne présentent entre eux que les différences de ton et d'accent résultant des modes divers d'apprécier les productions de la littérature et de l'art qui se sont succédé depuis La Fontaine jusqu'à nos jours. C'est un même thème repris avec des variations nouvelles, selon le goût et les préoccupations de chaque époque.

LES CONTEMPORAINS.

Constatons d'abord que de son vivant La Fontaine fut estimé à toute sa valeur par ses contemporains. Ce ne fut pas un poëte méconnu, non plus que Molière, Racine ni Boileau. Le goût ne faisait pas facilement fausse route dans la société française du temps de Louis XIV. Les témoignages abondent.

Avant tout, il convient de rappeler le mot de Molière à Descoteaux, un jour que Racine et Boileau avaient taquiné trop vivement le fabuliste: « Nos beaux esprits, dit-il, ont beau se trémousser, ils n'effaceront pas le bonhomme. »>

Il y a ensuite le témoignage, souvent cité, de Mme de Sévigné, dès 1671: « Mais n'avez-vous point trouvé jolies,

écrivait-elle à sa fille le 13 mars de cette année, les cinq ou six fables de La Fontaine qui sont dans un des tomes que je vous ai envoyés ? Nous en étions ravis l'autre jour chez M. de la Rochefoucauld: nous apprîmes par cœur celle du Singe et du Chat; » puis elle en écrit quelques vers, et ajoute « Et le reste. Cela est peint; et la Citrouille, et le Rossignol, cela est digne du premier tome. >>

Et plus tard, à propos de la querelle de Furetière et de La Fontaine, elle qualifie d'esprits durs et farouches ceux qui n'admirent pas ce dernier; elle déclare que nulle puissance humaine n'est capable de les éclairer, et qu'elle leur ferme sa porte à jamais. « Ce que vous écrivez, dit-elle à son cousin. Bussy-Rabutin, pour défendre Benserade et La Fontaine contre ce vilain factum, m'a donné une véritable joie. Je l'avois déjà fait en basse note à tous ceux qui vouloient louer cette noire satire. Je trouve que l'auteur fait voir clairement qu'il n'est ni du monde ni de la cour, et que son goût est d'une pédanterie qu'on ne peut pas même espérer de corriger. Il y a de certaines choses qu'on n'entend jamais quand on ne les entend pas d'abord: on ne fait point entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des ballets de Benserade et des fables de La Fontaine; cette porte leur est fermée, et la mienne aussi; ils sont indignes de jamais comprendre ces sortes de beautés, et sont condamnés au malheur de les improuver et d'être improuvés aussi des gens d'esprit. Nous avons beaucoup de ces pédants. Mon premier mouvement est toujours de me mettre en colère, et puis de tâcher de les instruire; mais j'ai trouvé la chose absolument impossible. C'est un bâtiment qu'il faudroit reprendre par le pied; il y auroit trop d'affaires à le réparer; et enfin nous trouvions qu'il n'y avoit qu'à prier Dieu pour eux, car nulle puissance humaine n'est capable de les éclairer. C'est le sentiment que j'aurai toujours pour un homme qui condamne le beau feu et les vers de Benserade, dont le roi et toute la cour a fait ses délices, et qui ne connoît les charmes des fables de

La Fontaine. Je ne m'en dédis point; il n'y a qu'à prier Dieu pour un tel homme, et qu'à souhaiter de n'avoir point de commerce avec lui. 1 »

Enfin, sur l'ensemble de l'œuvre du fabuliste, elle s'exprime ainsi : « Les fables de La Fontaine sont divines; on croit d'abord en distinguer quelques-unes, et, à force de les relire, on les trouve toutes bonnes. C'est une manière de narrer et un style à quoi l'on ne s'accoutume pas. >>

Furetière, cet ennemi de La Fontaine, dans la préface d'un volume de fables publié en 1671, avait porté sur les fables de La Fontaine le même jugement que tous les gens de goût contemporains. Après avoir parlé des fables d'Ésope et de Phèdre, il ajoutait : « Mais il n'y a personne qui leur ait fait tant d'honneur que M. de La Fontaine, par la nouvelle et excellente traduction qu'il en a faite, dont le style naïf et marotique est tout à fait inimitable et ajoute de grandes beautés aux originaux. >>

Le rédacteur du Mercure galant, de Visé, publiant les Compagnons d'Ulysse dans sa livraison de décembre 1690, fait précéder cette publication de ces mots : « Il n'y a rien de plus estimé que les fables de M. de La Fontaine, et c'est avec beaucoup de justice, puisque tout ce qui a paru de lui en ce genre peut être appelé inimitable. Vous verrez par la lecture de celle que je vous envoie que, malgré l'excuse qu'il prend de son âge, les années n'ont rien diminué en lui de ce feu d'esprit qui lui a fait faire de si agréables ouvrages. »

François de Maucroix, apprenant la mort de son ami, écrivait « Ses fables, au dire des plus habiles, ne mourront jamais et lui feront honneur dans toute la postérité. »

Daniel Huet, dans ses Mémoires latins De rebus ad eum pertinentibus, parle en ces termes de La Fontaine : « J'eus le bonheur, cette même année (1687), de voir s'accroître encore le nombre de mes amis. Jean La Fontaine, le spirituel, le déli

1. Lettre du 14 mai 1686.

cieux, le malin fabuliste, avait su que je voulais voir une traduction italienne de Quintilien, faite par Horace Toscanella; non-seulement il me l'apporta et m'en fit présent, mais il y joignit une charmante pièce de vers à mon adresse, où il se moquait des gens qui opposent et préfèrent même notre siècle à l'antiquité. En quoi il donnait une preuve de sa candeur; car, encore qu'il fût au premier rang de nos meilleurs écrivains, il aimait mieux plaider en quelque sorte contre soi-même que de frustrer les anciens de l'honneur qui leur appartient. 1»

L'abbé de La Chambre, directeur de l'Académie française, dans sa réponse au discours de réception de La Fontaine (le 2 mai 1684), malgré les admonitions blessantes qu'il se permit, ne fut pas moins explicite relativement au génie du poëte: « L'Académie reconnoît en vous, monsieur, un de ces excellents ouvriers, un de ces fameux artisans de la belle Gloire, qui la va soulager dans les travaux qu'elle a entrepris pour l'ornement de la France et pour perpétuer la mémoire d'un règne si fécond en merveilles. Elle reconnoît en vous un génie aisé, facile, plein de délicatesse et de naïveté, quelque chose d'original, et qui, dans sa simplicité apparente et sous un air négligé, renferme de grands trésors et de grandes beautés. »

La Bruyère, dans son discours de réception à l'Académie française prononcé le 15 juin 1693, signale La Fontaine parmi ses nouveaux et illustres confrères; il le caractérise ainsi : « Un autre, plus égal que Marot et plus poëte que Voiture, a le jeu, le tour et la naïveté de tous les deux; il instruit en badinant, persuade aux hommes la vertu par l'organe des bêtes, élève les petits sujets jusqu'au sublime: homme unique dans son genre d'écrire; toujours original, soit qu'il invente, soit qu'il traduise; qui a été au delà de ses modèles, modèle lui-même difficile à imiter. >>

Charles Perrault, dans ses Éloges des hommes illustres qui ont paru pendant ce siècle, publiés en 1696, c'est-à-dire l'année

1. Traduction de M. Charles Nisard.

« PreviousContinue »