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Comme les mille ruisseaux épars dans une contrée se réunissent par une disposition favorable des terrains et forment une large rivière, ainsi toute l'histoire de la Fable vint s'absorber dans l'œuvre de La Fontaine.

On s'est demandé fréquemment dans quelle mesure le fabuliste du XVIIe siècle avait connu le vaste travail de ses prédécesseurs. Il en connut certainement une très-grande partie ; il connut la fable indienne par le Livre des lumières de David Sahid d'Ispahan et par le Specimen sapientiæ Indorum veterum de P. Poussines, sans parler de ce qui s'en était antérieurement répandu dans les littératures européennes ; il connut la fable grecque et latine, Ésope, Phèdre, Babrius dans les quatrains d'Ignatius Magister, Avianus; de plus, grâce aux copieux recueils du xvIe siècle, grâce surtout à la collection de Nevelet (1610 et 1660), il connut les barbares, Romulus, Ugobardus (anonyme), aussi bien que les humanistes, Abstemius, Faerno, etc.

Il avait lu les modernes, les Italiens, Gelli, Verdizotti, Doni; les Français, Corrozet, Guillaume Haudent, Hégemon; le latiniste Jacques Régnier. Il est évident que, malgré l'indolence qu'on se plaît à lui attribuer, il prit à cœur d'étudier ce genre de l'apologue dans toutes les productions qu'il put se

procurer. On s'aperçoit même, en cherchant les origines de ses fables, qu'il eut sous les yeux des livres qu'on ne se serait guère attendu à trouver entre ses mains, comme le Narrationum sylva de Gilbertus Cognatus, et d'autres lourdes compilations de l'école.

Mais ce qui est intéressant, c'est de savoir jusqu'à quel point il a été renseigné sur notre ancienne fable française, avec laquelle la fable telle qu'il l'a conçue offre un air de famille si frappant. De tous les écrivains du règne de Louis XIV, La Fontaine est celui peut-être dont les lectures remontèrent le plus haut dans notre vieille littérature. Il avait un goût prononcé pour les poëtes et les conteurs du XVIe siècle; Rabelais et Marot sont ses auteurs favoris, il les sait par cœur ; Baïf, Louise Labbé, Bonaventure des Perriers, Noël du Fail, Guillaume Bouchet, etc., lui sont familiers. Il a même parcouru (les deux premiers vers de la fable onzième du livre IV en sont la preuve) le roman de Merlin, dans les éditions gothiques de Pierre Vérard ou de Jehan Petit.

Il va au delà du xvIe siècle et s'éloigne jusque dans le xve; il a imité, comme on le voit dans le dernier tome de cette édition, les Arrests d'amour de Martial d'Auvergne et le Blason des faulses amours de Guillaume Alexis, contemporains de Charles VII et de Louis XI.

Mais a-t-il franchi cette limite? a-t-il abordé la littérature du moyen âge antérieure à Villon? a-t-il connu les fabliaux et les Ysopets?

Quelques-uns l'ont voulu soutenir. On a signalé de curieuses rencontres, par exemple le vers:

Tenoit en son bec un fromage,

qui se retrouve littéralement dans l'Ysopet de 1333. A dire vrai, ces rencontres peuvent fort bien avoir été fortuites. Un trait plus significatif :

Otons-nous, car il sent,

dans la fable de l'Ours et les deux Compagnons, existe déjà dans la même fable de l'Ysopet-Avionnet publié par M. Robert :

Il se doute qu'il ne pue.

Mais les deux auteurs n'ont fait que traduire d'une manière expressive l'olidum credens d'Avianus. En dernier jugement, on s'accorde à reconnaître que La Fontaine n'a pas pénétré si avant dans nos origines littéraires. Notre littérature du XIIe siècle était alors tout entière inédite, et il est par trop invraisemblable de supposer que le poëte ait été remuer dans la poussière des bibliothèques les manuscrits que personne (sauf quelques rares érudits) ne songeait à consulter.

Il est évident d'ailleurs que, s'il avait pris cette peine, il en eût profité plus abondamment et que nous apercevrions des traces plus nombreuses de ses recherches. Il ne saurait y avoir de doute sur ce point. Il n'eût pu lire queiques-uns de nos fabliaux, quelques-unes des branches du Roman de Renard, sans en être vivement frappé, et sans nous communiquer les impressions qu'il eût ressenties de sa découverte. Il a reproduit les qualités originales des anciens trouvères sans les avoir connus, comme revivent en nous les traits d'ancêtres dont le souvenir est effacé. La Fontaine est de la vieille souche française, il en a conservé tous les dons naturels, en y joignant l'art exquis dont la Grèce est l'immortelle maîtresse.

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Les fables de La Fontaine n'ont point paru toutes ensemble et en une seule fois. Elles ont été publiées successivement. Il est intéressant de pouvoir déterminer avec précision à quel moment le public a été en possession de telle fable ou de telle série de fables, quelle est la date authentique de la mise aut jour de chacune d'elles. Quand on aura fixé cette date, il y aurait encore à se demander s'il n'est pas possible de remon

ter parfois au delà de la publication en librairie, et de rechercher quelle a pu être l'époque de la composition de certaines fables, ou de cette première divulgation qui avait lieu au XVIIe siècle par les copies manuscrites. Mais cette recherche ne saurait avoir lieu que pour telle ou telle œuvre en particulier. C'est l'impression qui doit établir comment et à quels intervalles a été construit l'impérissable monument du fabuliste.

Voici l'ordre dans lequel les fables de La Fontaine virent le jour.

Les six premiers livres parurent d'abord dans les deux éditions de 1668, l'une in-4o, l'autre in-12, en deux volumes.

Huit fables parurent ensuite dans le recueil intitulé Fables nouvelles et autres poésies de M. de La Fontaine, 1671, un vol. in-12.

Ces huit fables sont :

1. Le Lion, le Loup et le Renard.

2. Le Coche et la Mouche.

3. Le Trésor et les deux Hommes.

4. Le Rat et l'Huître.

5. Le Singe et le Chat.

6. Du Gland et de la Citrouille.

7. Le Milan et le Rossignol.

8. L'Huître et les Plaideurs.

Le Soleil et les Grenouilles, imitée de la fable latine du P. Commire, fut, selon une indication de M. P. Lacroix, publiée pour la première fois en 1672, chez F. Muguet, imprimeur du roi et de monseigneur l'archevêque, 3 pages in-8o, signées des initiales D. L. F.

Les deux premières parties (six premiers livres) furent réimprimées en 1678 et 1679, en même temps que deux nouvelles parties, comprenant cinq nouveaux livres (les livres VII, VIII, IX, X et XI des éditions modernes).

Les huit fables publiées en 1671 figuraient dans ces cinq nouveaux livres.

Le tout forme quatre volumes in-12 dont les deux premiers furent achevés d'imprimer le 3 mai 1678, et les deux derniers le 15 mai 1679.

Dans la séance publique de l'Académie française qui fut tenue pour la réception de Boileau, le 1er juillet 1684, La Fontaine lut la fable du Renard, du Loup et du Cheval (fable XVII, livre XII).

Dix nouvelles fables (y compris celle-là) furent publiées dans le recueil des Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, deux volumes in-12, en 1685. Ces dix fables sont :

1. La Folie et l'Amour.

2. Le Renard, le Loup et le Cheval.

3. Le Rat, le Corbeau, la Gazelle et la Tortue.

4. La Forêt et le Bûcheron.

5. Le Renard et les Poulets d'Inde.

6. Le Singe.

7. Le Philosophe scythe.

8. L'Éléphant et le Singe de Jupiter.

9. Un Fou et un Sage.

10. Le Renard anglais.

Plus Daphnis et Alcimadure, qui n'y est pas présentée comme une fable, mais donnée simplement comme une imitation de Théocrite.

Parurent ensuite dans le Mercure galant :

Les Compagnons d'Ulysse, décembre 1690.
Les deux Chèvres, février 1691.

Le Thésauriseur et le Singe, mars 1691.

La Ligue des Rats, décembre 1692.

En 1693, la fable du Soleil et des Grenouilles était réimprimée dans le Recueil de vers choisis, du P. Bouhours, en même

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