Page images
PDF
EPUB

AVERTISSEMENT.

Commençons, selon l'usage, par donner quelques explications sur le plan et l'économie de cette nouvelle édition des OEuvres complètes de La Fontaine.

Ces œuvres sont ici distribuées selon la division consacrée et nécessaire: Fables, Contes, Théâtre, Poëmes, OEuvres diverses et Correspondance. Chacune de ces parties est précédée d'une étude spéciale en guise d'introduction. La Vie de La Fontaine se trouve en tête de la dernière partie : les morceaux que celle-ci renferme, les épîtres, les vers de circonstance, les lettres, et les documents qui y sont joints, servent en effet de pièces justificatives à la biographie du poëte, et, comme tels, doivent la suivre immédiatement et dans le même volume.

Les fables forment la matière des deux premiers volumes. Elles sont précédées d'un résumé de l'histoire de la fable jusqu'à La Fontaine, histoire rajeunie à l'aide des travaux les plus récents qu'ait produits l'érudition tant en France qu'en Allemagne, et à laquelle mes recherches personnelles m'ont permis d'apporter plus d'un élément nouveau, notamment en ce qui concerne les curieuses destinées de l'apologue au moyen âge. Cette étude est suivie des jugements portés sur les fables de La Fontaine par les plus hautes autorités de la critique littéraire.

Le texte des fables, comme celui de toutes les autres œuvres, est établi d'après les éditions originales. C'est aujourd'hui une loi à laquelle il n'est pas permis de se soustraire. Nous suivons

pour les fables le texte de l'édition de 1678-1679-1694. Nous donnons les variantes relevées dans les diverses éditions qui ont paru du vivant de l'auteur. Ces variantes sont d'ailleurs peu considérables. Quelques suppressions judicieusement faites par La Fontaine sont ce qu'elles offrent de plus intéressant. Si le poëte travaillait beaucoup ses fables avant de les livrer à l'impression,- et l'on trouve en effet dans quelques copies manuscrites qui nous sont parvenues la preuve de ce travail, il n'y fit plus que de très-légères modifications après qu'elles furent imprimées. L'œuvre parut tout d'abord dans la perfection où nous la voyons aujourd'hui.

Ce n'est pas qu'il n'ait eu tout le loisir, toute la facilité de les retoucher et de les remanier. On sait que le temps a manqué à Molière pour « revoir et corriger tous ses ouvrages,» selon l'intention qu'il en avait exprimée dans le privilége du 18 mai 1671; il n'en fut pas de même de La Fontaine, au moins pour ses fables. S'il ne fit que peu de changements aux fables imprimées, c'est qu'il jugea n'avoir rien à y changer; et l'on n'en aperçoit pas moins, à la minutie de certaines corrections, qu'il les a trèssoigneusement revues.

Aussi ceux qui réimpriment les fables de La Fontaine n'ont-ils point deux partis à prendre : ils n'ont qu'à suivre fidèlement le texte de l'édition de 1678-1679, en ayant égard aux errata et en tenant compte des réimpressions faites sous les mêmes dates, et le texte du volume de 1694. C'est ce que Walkenaer a d'abord fait très-scrupuleusement et sans guère laisser à ceux qui l'ont suivi que le soin de le contrôler. C'est ce qu'ont fait après lui MM. Crapelet et Aimé Martin; c'est ce qu'ont fait tout récemment encore MM. Pauly et Jannet. La tâche étant si nettement définie et ayant été si souvent remplie avec zèle, nous ne saurions nous vanter d'apporter dans le texte des fables des restitutions ni des rectifications considérables. Sous ce rapport, nous avons eu très-peu à faire, nous l'avouons, et tout notre effort a consisté à être plus exact encore, s'il était possible, que nos devanciers.

Nous avons employé, comme dans tous les ouvrages de cette collection, l'orthographe, l'accentuation et la ponctuation modernes. Dès que la langue est bien arrêtée, régulièrement fixée, ce qui a lieu dans la première moitié du XVIIe siècle, il n'y a plus

d'intérêt à conserver des formes orthographiques sans importance. L'usage généralement établi pour la publication des textes anciens, c'est qu'avant cette époque de formation définitive, on reproduit l'orthographe du temps, et qu'à partir de cette époque on se conforme à celle qui a prévalu par la suite. On imprime les chefsd'œuvre classiques, depuis le Discours sur la Méthode et les Provinciales, comme on imprime les livres qui paraissent de nos jours. On conserve seulement les o aux imparfaits des verbes, parce que, en adoptant les a, on détruirait dans les vers beaucoup de rimes. Lorsqu'un mot a été orthographié par La Fontaine d'une manière exceptionnelle, nous avons eu soin de reproduire cette orthographe ou de la signaler.

Mais la ponctuation, objecte-t-on, peut influer sur le sens du texte, révéler des nuances que la ponctuation moderne altérera. Ce doit être précisément le soin de l'éditeur de faire que la ponctuation moderne traduise bien la ponctuation ancienne. Il arriverait, au contraire, qu'en conservant celle-ci, elle n'indiquerait plus au lecteur actuel, accoutumé à d'autres règles, ce qu'elle signifiait à l'origine. Elle le pourrait induire en erreur. La valeur des signes de la ponctuation n'étant plus à présent la même qu'autrefois, l'éditeur est obligé de faire une sorte de transposition, dont la première loi est, bien entendu, d'être fidèle et exacte; c'est à lui de tenir compte de cette ponctuation des éditions originales, et de la suivre au moyen des signes qu'il emploie.

Les livres des fables sont ici numérotés de un à douze, comme ils l'ont été pour la première fois dans l'édition de 1709. Du vivant de La Fontaine, le recueil des fables était demeuré fort arbitrairement divisé. «Dans la dernière édition donnée par l'auteur, dit Walkenaer, les deux premiers volumes contiennent les six premiers livres, et forment la première et la seconde partie; et les trois derniers livres, que renferme la deuxième partie, sont intitulés livres IV, V et VI; de sorte que, pour cette partie du recueil, les numéros des livres se suivent. Dans les deux volumes suivants, qui forment la troisième et la quatrième partie, la série des nombres recommence; dans le troisième volume ou la troisième partie sont les livres I et II, et dans le quatrième volume ou la quatrième partie sont les livres III, IV et V ;

de sorte que la série des chiffres ne correspond ni à l'ensemble du recueil ni à chacune des parties; car pour cela on aurait dû recommencer à compter livre I au commencement de chaque partie. Le fait est que La Fontaine avait publié deux recueils de fables à un assez long intervalle de temps, et le numérotage des livres se rapportait à cette division en deux recueils; mais quand il les fit réimprimer ensemble, il ne fit mention de cette division en deux recueils que dans la préface du second; il ne l'indiqua ni sur les titres ni dans la table, et tout fut brouillé. Ce fut encore bien pis lorsque le cinquième ou le dernier volume parut, longtemps après. La Fontaine intitula ce nouveau livre livre septième, et cette indication de Livre VII se retrouve à chaque page dans le titre courant. » On a eu raison de faire disparaître ces irrégularités, et, malgré le goût de notre temps pour l'exactitude à outrance, aucun éditeur ne s'est avisé de les rétablir.

Le commentaire est double. Les notes qui courent au bas des pages s'attachent aux expressions et aux détails du récit. La plupart de ces notes ont été empruntées aux nombreux commentateurs de La Fontaine Champfort, Guillon, Nodier, Walkenaer, Solvet, Aimé Martin, Gérusez, Félix Lemaistre, etc. Elles, sont signées de leurs noms, ou des initiales de leurs noms quand ils sont cités fréquemment. Nous nous sommes abstenu des réflexions laudatives et admiratives que nos prédécesseurs ont généralement prodiguées. Nous avons pu nous convaincre que le goût actuel est opposé à cette intervention de l'annotateur, et qu'elle semble importune et même blessante. Le lecteur veut trouver, sentir, apprécier lui-même les beautés qu'on se croyait naguère obligé de lui signaler. Nous estimons que, surtout quand il s'agit des fables de La Fontaine, le lecteur peut, sans nul inconvénient et même avec avantage, être laissé à lui-même, à ses impressions et à son discernement. Nous nous sommes donc attaché principalement aux éclaircissements historiques et aux observations grammaticales.

Un autre commentaire vient à la suite de chaque livre des fables. Il indique les sources de chaque apologue, les transformations qu'il a subies, ce qui s'y est ajouté successivement de propre à caractériser les différentes époques et les différentes nations

qu'il a traversées, les rapprochements auxquels il peut donner lieu, des citations variées, l'examen des objections critiques, particulièrement de celles qu'on a faites au point de vue moral, tout ce qui peut enfin fournir à l'esprit matière à comparaison et lui suggérer des considérations philosophiques et littéraires.

J'ai cherché à rendre ce commentaire facile et attrayant à lire ou du moins à parcourir. Je me suis vite aperçu que, pour atteindre ce but, il fallait se limiter sévèrement. C'était au choix et non à l'abondance des renseignements que je devais viser. J'avais commencé par tracer pour chaque fable une liste aussi complète que possible des auteurs qui avaient traité le même sujet avant La Fontaine et de ceux qui l'avaient traité après lui. Des érudits distingués, que l'aimable génie de La Fontaine passionne, m'avaient proposé de m'aider dans ce vaste travail et m'avaient même fourni déjà des notes précieuses.

Ces tableaux n'auraient certainement pas été sans intérêt pour les savants. On aurait pu, grâce à l'état des recherches actuelles, les rendre bien plus complets que ceux qu'ont entrepris quelquesuns de nos prédécesseurs : l'abbé Guillon, M. Robert, MM. Prel et Guillaume, M. P. Soullié, etc. Mais ces kyrielles de renvois à des ouvrages en toutes langues, ces nomenclatures nécessairement hérissées d'abréviations et de chiffres, avaient un aspect rebutant et effrayant. Elles auraient produit à peu près le même effet que le célèbre commentaire de Benoît Court, de SaintSymphorien, sur les Aresta amorum de Martial d'Auvergne, commentaire dans lequel le docte légiste a accumulé, sous les amusantes fantaisies de l'auteur, toutes les citations des Institutes, du Code et du Digeste, tous les textes du droit civil et du droit canon qu'il a crus propres à motiver chaque arrêt. Ceux de nos lecteurs qui ont eu sous les yeux les Aresta amorum savent quelle physionomie rébarbative présente ce vieux livre, que Rabelais a peutêtre voulu railler lorsqu'il a entremêlé de tant de bizarres hiéroglyphes les paroles du juge Bridoye aux chapitres XXXIX et suivants de son troisième livre. Cet exemple nous a fait peur.

Il nous a semblé que ce serait faire preuve de peu de goût que d'attacher à des œuvres délicates et charmantes un commentaire d'un pareil poids; que d'enfermer les plus aimables productions de notre littérature dans ce cercle de notes arides. Nous avons donc

« PreviousContinue »