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« A la fin de la fable d'Ysopet, le glapissement de la vieille servitude effarée se fait entendre, avec une résignation désespérée qui fait mal : l'auteur vous donne ses derniers conseils :

Chacun se doit garder
De mauvais encontrer,
Se dame Dieu me voye.
Qui ne peut l'estriver,
A lui ne doit jangler,
Mais aler en sa voie.

« Gardez-vous bien des mauvais; ne les rencontrez pas, si vous pouvez. Mais si vous ne pouvez les éviter, ne vous avisez pas de disputer contre eux; allez de votre côté et suivez votre chemin.

« Vous apercevez d'ici le « chétif » (caitif), le paysan, les épaules basses et le cou dans les épaules, s'enfonçant dans le sentier obscur de la forêt et s'y perdant pour éviter le fouet du seigneur. Il se résigne, le pauvre homme! Il n'a rien de mieux à faire. Il ne résiste pas. Il ne pense pas. Il ne se demande pas s'il y a une loi et un droit. La Fontaine sait bien qu'il n'y en a plus et rédige en un vers le terrible axiome:

La raison du plus fort est toujours la meilleure. »

Il y a du vrai, sans doute, dans l'interprétation de l'ingénieux critique. Gardons-nous cependant d'aller trop loin et de croire à la trop complète sujétion de nos ancêtres. Rappelons le trèsferme et très-hardi langage de Marie de France, tirant du même apologue cette autre conclusion, nullement résignée, mais, au contraire, tout agressive:

Ainsi font les riches voleurs, etc.,

que nous avons rapportée dans notre étude générale. Rappelons les nobles protestations en faveur de la liberté et contre la servitude, que l'on vient d'entendre à propos de la fable du Loup et du Chien. On pourrait relever encore un grand nombre de violentes invectives des trouvères contre les orgueilleux chevaliers

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et les nobles oppresseurs. Mais ce serait nous écarter de notre sujet que de prolonger cette discussion.

Les moralistes n'ont point laissé passer cette fable du Loup et de l'Agneau sans récriminations. L'empereur Napoléon Ir s'est rangé de leur sentiment, si l'on en croit le Mémorial de SainteHélène. Voici ce qu'on y lit à la date de juillet 1816 : « Dans la fable du Loup et de l'Agneau, rien n'était plus risible que de voir le petit bonhomme (le fils de M. de Montholon, âgé de sept ans) dire Sire et Votre Majesté, et en parlant du loup, et en parlant de l'Empereur, mêler à tort et à travers tout cela dans sa bouche, et bien plus encore probablement dans sa tête. L'Empereur trouvait qu'il y avait beaucoup trop d'ironie dans cette fable pour qu'elle fût à la portée des enfants. Elle péchait d'ailleurs, disait-il, dans son principe et dans sa morale, et c'était la première fois qu'il s'en sentait frappé. Il était faux que la raison du plus fort fût la meilleure; et si cela arrivait en effet, c'était là le mal, disait-il, l'abus qu'il s'agissait de condamner. Le loup donc eût dû s'étrangler en croquant l'agneau, etc., etc. »

Ce blâme nous semble porter à faux. Il n'est nullement besoin que le loup s'étrangle, pour que l'enfant, si sa conscience morale est éveillée, sache que le loup a tort, et apprenne à détester l'abus de la force.

FABLE XI. L'Homme et son image.

L'invention de cette fable a été vivement critiquée: « Si l'homme dont il est question passoit dans son esprit pour le plus beau du monde, dit Nodier, il devait se trouver beau, même dans les miroirs. C'est l'effet ordinaire de la vanité, et celui qu'on suppose ici est hors de toute vraisemblance. » Nodier fait encore observer que La Fontaine a bien tort de donner à son personnage le nom de Narcisse, puisque Narcisse, au lieu de voir avec peine son visage dans l'eau, périt pour n'en pouvoir pas détacher ses yeux.

1. Voyez notamment celle de l'auteur de Renard le contrefait :

Il vous semble à vos jugemens

Que soyez nés de diamens

Et de rubis et de topazes, etc.

Fables ine lites publiées par M. Robert, tome 1, p. CXLVI.

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FABLE XII. Le Dragon à plusieurs létes et le Dragon à plusieurs queues. « Les Orientaux, dit Chamfort, mettent ce récit dans la bouche du fameux Gengis-Kan, à l'occasion du Grand Mogol, qui dépendait en quelque sorte de ses grands vassaux. Cette fable, ajoute M. Robert, était représentée par une fontaine du labyrinthe de Versailles; le mot de l'ambassadeur oriental était donc bien connu. »

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FABLE XIII. L'Ane et les deux Voleurs. Esop., 39, 96.

Conf. les Avadanas, contes et apologues indiens, traduits par M. Stanislas Julien. 1

FABLE XIV. Simonide préservé par les Dieux. Phæd., IV, 24. M. Saint-Marc Girardin compare spirituellement à cette fable l'anecdote des Deux Aveugles extraite de Renard le contrefait. Ces aveugles, se tenant devant le palais de Philippe le Bel, disputaient sur la guerre de Flandre. L'un disait que le roi serait vainqueur; l'autre répondait que la victoire dépendait de Dieu seul. Philippe, à qui parvient le bruit de leur querelle, fait faire deux pâtés. Il fait remplir de pièces d'or le pâté destiné à son champion; il fait mettre dans l'autre un chapon. Le champion de Dieu se contente joyeusement de son partage; mais l'autre, qui ne sent aucune bonne odeur dans son pâté et se méfie même de son poids extraordinaire, propose à son camarade de changer. L'autre consent. Ainsi Dieu enrichit son champion aux dépens de celui du roi.

Il y a une variante dans un autre manuscrit du poëme. 3 C'est à Rome que la scène se passe, et des deux aveugles l'un se fie à Dieu et l'autre au pape. La suite est la même, et Dieu favorise également son champion. Peut-être la querelle des deux aveugles est-elle mieux justifiée et l'anecdote plus malicieuse dans cette seconde leçon que dans la première.

FABLE XV. La Mort et le Malheureux. Esop., 146, 20, 50. Voici les vers que Sénèque attribue à Mécène dans son épître 101:

1. Paris, B. Duprat, 1859. tome II, pages 8-13.

2. La Fontaine et les Fabulistes, tome Ier, page 194.

3. M. 69853, f. fr. de la Bibliothèque impériale, a. f. de Lancelot.

Debilem facito manu,

Debilem pede, coxa;
Tuber adstrue gibberum;
Lubricos quate dentes:

Vita dum superest, bene est.
Hanc mihi, vel acuta

Si sedeam cruce, sustine.

<< Rendez mes mains débiles, mes pieds faibles et boiteux; mettez une bosse sur mon dos; ébranlez toutes mes dents : tout sera bien si vous me laissez la vie. Conservez-la-moi, même en me mettant en croix. >>

Montaigne (liv. II, ch. xxxvII) fait sur ces vers le commentaire suivant:

<< Tant les hommes sont accoquinés à leur estre miserable, qu'il n'est si rude condition qu'ils n'acceptent pour s'y conserver! Oyez Maecenas,

Debilem facito manu, etc.

Et couvroit Tamburlan d'une sotte humanité la cruauté fantastique qu'il exerçoit contre les ladres, en faisant mettre à mort autant qu'il en venoit à sa cognoissance,« pour, disoit il, les << delivrer de la vie qu'ils vivoient si penible: » car il n'y avoit nul d'eulx qui n'eust mieulx aimé estre trois fois ladre, que de n'estre pas. Et Antisthenes le stoïcien, estant fort malade, et s'escriant : « Qui me délivrera de ces maulx? » Diogenes, qui l'estoit venu veoir, luy presentant un couteau : « Cettuy cy, si tu veulx, « bientost. Je ne dis pas de la vie, repliqua il, je dis des

<< maulx. »>

On trouve dans Bidpay une fable, plus énergique encore, qu'on peut rapprocher de celle-ci : « Une paysanne, déjà avancée en âge, avait une fille unique qu'elle aimait à l'excès. Cette fille chérie tomba dangereusement malade. Sa mère, désolée, fatiguait le ciel par ses vœux : « Grand Dieu! s'écriait-elle jour et nuit, frappez-moi et épargnez ma fille; je fais volontiers le sacrifice « de ma vie : ajoutez à ses jours ceux que vous retrancherez des << miens. >> Un soir que le mal de la fille était plus violent et que la mère redoublait ses prières, elle entend un bruit effrayant dans

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sa cour bientôt elle voit, à la lueur de la lampe sourde qui éclairait sa cabane, entrer un spectre noir. Tremblante, interdite, elle s'imagine que ses vœux téméraires ont été enfin exaucés et que ce spectre est l'ange de la Mort. « O Azraël, s'écrie« t-elle, prenez garde de vous tromper: ce n'est pas moi qui <<< suis malade! »>

FABLE XVI. La Mort et le Bûcheron. Esop., 20, 146, 50. Boileau et J.-B. Rousseau ont aussi traité ce sujet, mais sont restés loin de La Fontaine. Voici la fable de Boileau :

Le dos chargé de bois, et le corps tout en eau,
Un pauvre bûcheron, dans l'extrême vieillesse,
Marchoit en haletant de peine et de détresse.
Enfin las de souffrir, jetant là son fardeau,
Plutôt que de s'en voir accablé de nouveau,
Il souhaite la mort, et cent fois il l'appelle.

La Mort vient à la fin. Que veux-tu? cria-t-elle.
Qui? moi, dit-il alors prompt à se corriger,

Que tu m'aides à me charger.

FABLE XVII. L'Homme entre deur âges et ses deux Maîtresses. Phædr., II, 2; Esop., 165, 199.

FABLE XVIII. Le Renard et la Cicogne. Phædr., I, 26.

FABLE XIX. L'Enfant et le Maître d'école.

Conf. Rabelais, liv. Ir, ch. 42.

FABLE XX. Le Coq et la Perle. Phædr., III, 12; Sulmonensis, I.

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FABLE XXI. Les Frelons et les Mouches à miel. Phædr., III, 13.

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FABLE XXII. Le Chêne et le Roseau. Esop. 143, 59; Aviani fab. 16.

Dans les fabulistes du moyen âge, l'action de cette fable a lieu après la chute du chêne. Dans la tempête, le vent déracine un chêne qui était au bord de l'eau, et le courant entraîne l'arbre; l'arbre passe sur le jonc marin, qui s'enfonce sous l'eau, et puis se redresse aussi droit que devant. Le chêne, l'ayant avisé, dit : « Jong marin, je te demande comment tu as pu te tenir? Moi qui étais si fort, si garni de racines, si pro

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