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a données avec la naissance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins; quand vous le considérez qui regarde, sans s'étonner, l'agitation de l'Europe et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénètre, dès sa première démarche, jusque dans le cœur d'une province où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu'il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des éléments; et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste, avouez le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maîtresse. Vous ne l'attendez pas, Monseigneur, vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces mar

1. Allusion à la triple alliance que l'Angleterre, l'Espagne et la Hollande formèrent à cette époque contre la France.

2. Cette province est la Flandre, où le roi fit la guerre en 1667, et prit Douai, Tournai, Courtrai, Oudenarde, Ath, Alost, et Lille.

3. Strada, Histoire de Flandre, dit que le dieu Mars a voyagé partout, et qu'il n'y a qu'en Flandre où il se soit arrêté pour se bâtir des places imprenables, qui sont comme autant de barrières à ceux qui veulent faire la conquête de ce pays. In alias terras peregrinari Mars ac circumferre bellum, hic sedem fixisse videtur. F. Strada, De bello Belgico, decas 1, lib. I. (RICHELET.)

4. C'est la Franche-Comté, que Louis XIV conquit du 1er au 15 février

ques d'esprit, de courage, et de grandeur d'âme, que vous faites paroître à tous les moments. Certainement c'est une joie bien sensible à notre monarque; mais c'est un spectacle bien agréable pour l'univers, que de voir ainsi croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de nations.

Je devrois m'étendre sur ce sujet; mais, comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci : c'est, Monseigneur, que je suis, avec un zèle respectueux,

Votre très-humble, très-obéissant, et très-fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE.

PRÉFACE.

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L'indulgence que l'on a eue pour quelques-unes de mes fables me donne lieu d'espérer la même grâce pour ce recueil. Ce n'est pas qu'un des maîtres de notre éloquence n'ait désapprouvé le dessein de les mettre en vers; il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun; que d'ailleurs la contrainte de la poésie, jointe à la sévérité de notre langue, m'embarrasseroient en beaucoup d'endroits, et banniroient de la plupart de ces récits la brèveté, qu'on peut fort bien appeler l'âme du conte,

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1. Ces mots prouvent qu'antérieurement à l'année 1668, époque de la publication de ce premier recueil, La Fontaine avait déjà fait paraître quelques-unes de ses fables, ou qu'elles avaient circulé en manuscrit.

2. La Fontaine désigne ici Patru, célèbre avocat au parlement de Paris, et membre de l'Académie française, son ami et celui de Boileau. Patru était considéré comme un des hommes les plus éloquents de son temps, et comme un des meilleurs critiques. Ses décisions faisaient autorité; et cependant, si Boileau et La Fontaine eussent déféré en tout à ses conseils, le premier n'aurait pas composé son Art poétique, et le second n'aurait pas écrit ses fables. (Voyez l'Histoire de l'Académie françoise, par d'Olivet, édition de Ch. L. Livet, 2 vol. in-8°, 1858, tome II, p. 155.)

3. On disait alors brèveté ou brièveté, mais déjà la première forme de ce mot, celle qu'emploie ici La Fontaine, était la moins commune.

puisque sans elle il faut nécessairement qu'il languisse. Cette opinion ne sauroit partir que d'un homme d'excellent goût; je demanderois seulement qu'il en relâchât quelque peu, et qu'il crût que les grâces lacédémoniennes ne sont pas tellement ennemies des muses françoises, que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.

Après tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tire point à conséquence pour moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poésie, que le Parnasse a jugé ceci de son apanage. A peine les fables qu'on attribue à Ésope virent le jour, que Socrate1 trouva à propos de les habiller des livrées des Muses. Ce que Platon en rapporte est si agréable, que je ne puis m'empêcher d'en faire un des ornements de cette préface. Il dit que Socrate étant condamné au dernier supplice, l'on remit l'exécution de l'arrêt à cause de certaines fêtes. Cébès l'alla voir le jour de sa mort. Socrate lui dit que les dieux l'avoient averti plusieurs fois, pendant son sommeil, qu'il devoit s'appliquer à la musique avant qu'il mourût. Il n'avoit pas entendu d'abord ce que ce songe signifioit: car, comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, à quoi bon s'y attacher? Il falloit qu'il y eût du mystère là-dessous, d'autant plus que les dieux ne se lassoient point de lui envoyer la même inspiration.

1. Ces fables étaient connues depuis longtemps lorsque Socrate vint au monde.

2. Bayle (Dictionnaire, article Ésope, p. 1113) accuse avec raison La Fontaine d'avoir dénaturé le récit de Platon. Ce récit se trouve dans le Phedon ou Dialogue sur l'âme.

Elle lui étoit encore venue une de ces fêtes. Si bien qu'en songeant aux choses que le ciel pouvoit exiger de lui, il s'étoit avisé que la musique et la poésie ont tant de rapport, que possible étoit-ce de la dernière qu'il s'agissoit. Il n'y a point de bonne poésie sans harmonie : mais il n'y en a point non plus sans fiction; et Socrate ne savoit que dire la vérité. Enfin il avoit trouvé un tempérament : c'étoit de choisir des fables qui continssent quelque chose de véritable, telles que sont celles d'Ésope. Il employa donc à les mettre en vers les derniers moments de sa vie.

:

Socrate n'est pas le seul qui ait considéré comme sœurs la poésie et nos fables. Phèdre a témoigné qu'il étoit de ce sentiment; et, par l'excellence de son ouvrage, nous pouvons juger de celui du prince des philosophes. Après Phèdre, Aviénus a traité le même sujet. Enfin les modernes les ont suivis nous en avons des exemples, non-seulement chez les étrangers, mais chez nous. Il est vrai que, lorsque nos gens y ont travaillé, la langue étoit si différente de ce qu'elle est, qu'on ne les doit considérer que comme étrangers. Cela ne m'a point détourné de mon entreprise; au contraire, je me suis flatté de l'espérance que, si je ne courois dans cette carrière avec succès, on me donneroit au moins la gloire de l'avoir ouverte.

Il arrivera possible que mon travail fera naître à d'autres personnes l'envie de porter la chose plus loin. Tant s'en faut que cette matière soit épuisée, qu'il reste encore plus de fables à mettre en vers que je n'en ai mis. J'ai choisi véritablement les meilleures, c'est-à-dire celles qui m'ont semblé telles : mais, outre que je puis m'être trompé dans mon choix, il ne sera pas bien difficile de donner un

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