Page images
PDF
EPUB

Olim quod vulpes ægroto cauta leoni

Respondit, referam : Quia me vestigia terrent

Omnia te adversum spectantia, nulla retrorsum.

FABLE XV. L'Oiseleur, l'Autour et l'Alouette. Ugobardi Sulmonensis, fab. XIV. Abstemius, 3.

La fable de l'Ysopet de 1333, l'Esprevier et le Coulon, est singulièrement prolixe, mais elle a bien le caractère du temps. Le discours que le jeune coulon adresse à l'épervier est tout un plaidoyer en voici quelques traits :

En l'arche Noël la jolie
Jà fui-je en ta compagnie;
J'aportai la pais et la greve,
Un biau rain qui estoit en sceve.
Ma forme prist Saint-Esperit;
Cest exemple me soit merit;

Et Nostre-Dame fut nommée

Par mon biau nom qui tant agrée.

Il menace son ravisseur d'un procès que lui fera son maître; ce maître est bien avec la justice: il fait présent au juge de gras oisons et de gibier. Que l'épervier prenne donc garde, car on le condamnera sévèrement !

L'épervier répond non moins longuement, il invoque l'exemple de l'aigle, leur seigneur et roi, et de ses pairs, le faucon, l'autour, le gerfaut. Charité bien ordonnée commence par soi-même. De belles paroles rendent les fous contents et satisfaits.

Il le tient, il ne le lâchera pas. Mais, reprend le conteur,

L'on dit qu'entre bouche et cuiller
Advient souvent encombrier.

On sait en effet ce qui arrive, et le fabuliste conclut :

Que le prédeur deviendra proie.
Le dit commun n'est pas tout faux:
Qui mal pense à li viendra maux.

C'est peut-être plus dans la mesure que « Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres, » qui n'est malheureusement pas vrai toujours.

Plutarque,

Ugobardi Sulmonen

FABLE XVI. Le Cheval et l'Ane. Esop., 125, 24. Les Règles et Préceptes de santé, § LIX. sis, 43.

Guillaume Tardif, le lecteur du roi Charles VIII, fait une application politique de cette fable. « Cet apologue, dit-il, veult donner à entendre que les riches et puissants hommes des cités ne doivent pas laisser porter aux pauvres ruraux et champestres toutes les charges des tailles et impôts, lesquels sont mis sur eulx par les princes pour la conservation de la chose publique. Ains les doibvent relever en payant partie desdicts impôts; car, quand les ruraux et champestres seront tant chargés et qu'on aura prins et plumé toute leur substance, il conviendra puis après que ceulx qui sont riches et puissants fournissent au demourant. »>

FABLE XVII. Le Chien qui lâche sa proie pour l'ombre. Æsop., 213, 339. Phæd., I, 4. Ugobardi Sulmonensis, 5.

M. Guillon objecte qu'il est impossible de nager sans troubler l'eau, et de voir son image quand l'eau est troublée. La Fontaine ne dit pas que le chien nageait, quand il vit son image. C'est Phèdre qui indique cette circonstance :

Canis per flumen carnem dum ferret natans...

Déjà Ugobardus évitait d'être aussi précis, et Marie de France prévenait l'objection en faisant passer le chien sur un pont, d'où il voit se refléter dans l'eau l'ombre d'un fromage qu'il porte entre ses dents :

Purpensa sei en sun curaige

K'il les voleit aveir andeus (tous les deux).

Iluec fu il trop cuveiteus.

En l'iaue saut, sa bouche ovri,

E li furmages li chéi;

E umbre vit et umbre fu,

E son formage en ot perdu.

On peut comparer à cet apologue une fable du quatrième chapitre du Pantcha-Tantra: « La femme d'un villageois abandonne son mari pour suivre un galant et emporte avec elle tout

ce qu'elle possède. Arrivée au passage d'une rivière, elle se laisse persuader de confier à son amant son avoir et ses vêtements, pour les porter de l'autre côté, après quoi il viendra la chercher. Le misérable, au lieu de tenir sa promesse, se sauve en emportant le paquet, et la pauvre femme, ainsi abandonnée, voit venir un chacal ayant un morceau de viande à sa gueule. Le chacal, apercevant un poisson au bord de l'eau, dépose ce qu'il tient pour s'emparer du poisson; mais cette nouvelle proie lui échappe et un vautour emporte le morceau de viande. La malheureuse femme ne peut s'empêcher de rire de cet accident, et le chacal lui dit « Votre conduite n'a pas été plus sage que la mienne, « car vous êtes ici nue sur le bord de l'eau, et vous n'avez ni «<mari ni galant.1 »>

Cette fable en partie double rappelle les vignettes de Grandville, où l'action qui se passe entre les bêtes est répétée par des êtres humains.

FABLE XVIII. Le Chartier embourbé. Avian., fab. 32.- Faern., 91. Voici comment Faerne formule la conclusion de sa fable:

Vigilando, agendo, providendo, quod possis,
Paratur e cœlo favor.

« Pareillement en Salluste l'aide, dit Marcus Portius Cato, des dieux n'est impétrée par vœux ocieux, par lamentations mulièbres. En veillant, travaillant, soy évertuant, toutes choses succèdent à souhait et bon port (Vigilando, agendo, bene consulendo res prospere crescunt). Si en nécessité et dangers, est l'homme négligent, éviré et paresseux; sans propos il implore les dieux : ils sont irrités et indignés. » RABELAIS, liv. IV, chap. XXIII.

Varron disait : « Dii laboribus omnia vendunt facientes deus adjuvat, les dieux vendent toutes choses au prix du travail et n'assistent que ceux qui mettent la main à l'œuvre. »

FABLE XIX. Le Charlatan. Abstemius, 133.

Poggii facetiæ,

248.

1. Analytical account of the Pancha-Tantra, by Horace Hayman Wilson. London, 1827, p. 181.

« Le fond de cette fable, dit Champfort, est un fait arrivé dans une petite ville d'Italie; mais le charlatan n'avait fait cette promesse qu'à l'égard d'un sot, d'un stupide, et non pas d'un âne. Que fait La Fontaine ? Il charge, pour rendre la chose plus comique et plus plaisante. A la place du stupide il met un âne, un âne véritable, et le tout finit par une leçon excellente. »

Il y a sur ce sujet non-seulement une facétie, mais encore un fait historique.

Giulio Camillo Delminio était inventeur d'une mnémonique à l'aide de laquelle il se faisait fort, dans l'espace de trois mois, de rendre un homme capable de traiter en latin quelque matière que ce fût, avec toute l'éloquence de Cicéron. François Ier, auprès de qui, en 1533, il trouva moyen d'avoir accès, lui fit donner six cents écus et le chargea de rédiger son invention par écrit; ce que Giulio, mort en 1544, n'a exécuté que fort imparfaitement dans deux petits traités assez confus qu'il a laissés, l'un intitulé Idea del theatro, l'autre Discorso in materia di esso theatro. Étienne Dolet, dans ses lettres et dans ses poésies, a parlé de cet Italien comme d'un escroc qui avait pris le roi pour dupe.

On n'avait pas, du reste, attendu jusqu'à La Fontaine, comme Champfort le supposait, pour mettre un animal à la place d'un être stupide ou d'un individu quelconque, et donner ainsi plus de sel à l'historiette. Bonaventure Desperriers a choisi pour héros de l'aventure non pas un âne, mais un singe. Son récit est un peu long, mais assez spirituel et plaisant pour que nous n'hésitions pas à le reproduire ici:

« Un M. l'abbé avoit un singe, lequel étoit merveilleusement bien né; car, outre les gambades et plaisantes mines qu'il faisoit, il connoissoit les personnes à la physionomie; il connoissoit les sages et honnêtes personnes à la barbe, à l'habit, à la contenance, et les caressoit; mais un page, quand bien il eût été habillé en damoiselle, si l'eût-il discerné entre cent autres; car il le sentoit à son pageois, 1 incontinent qu'il entroit dans la salle, encore que jamais il ne l'eût vu. Quand on parloit de quelque propos, il écoutoit d'une discrétion, comme s'il eût en

1. Air, façon de page.

1

1

tendu les parlants, et faisoit signes assez certains pour montrer qu'il entendoit et s'il ne disoit mot, assurez-vous qu'il n'en pensoit pas moins. Bref, je crois qu'il étoit encore de la race du singe du Portugal, 1 qui jouoit fort bien aux échecs. M. l'abbé étoit tout fier de ce singe et en parloit souvent, en dînant et en soupant. Un jour, ayant bonne compagnie en sa maison et étant pour lors la cour en ce pays-là, il se prit à magnifier 2 son singe: << Mais n'est-ce pas là, dit-il, une merveilleuse espèce d'animal? « Je crois que nature vouloit faire un homme quand elle le fai« soit, et qu'elle avoit oublié que l'homme fût fait, étant em<< pêchée à tant d'autres choses: car, voyez-vous? elle lui fit le << visage semblable à celui d'un homme; les doigts, les mains et « même les lignes écartées dedans les paumes, comme à un « homme. Que vous en semble? il ne lui faut que la parole, que « ce ne soit un homme. Mais ne seroit-il possible de le faire par« ler? On apprend bien à un oiseau, qui n'a pas tel entendement << ni usage de raison comme cette bête-là. Je voudrois qu'il m'eût «< coûté une année de mon revenu et qu'il parlât aussi bien que << mon perroquet, et ne crois point qu'il ne soit possible; car «< même, quand il se plaint ou quand il rit, vous diriez que c'est << une personne, et qu'il ne demande qu'à dire ses raisons : et « crois, qui voudroit aider à cette dextérité de nature, qu'on y « parviendroit. » A ces propos, par cas de fortune, étoit présent un Italien, lequel, voyant que l'abbé parloit d'une telle affection

1. C'est un conte qui se trouve au livre II du Cortegiano de Baltazar de Castiglione. Un gentilhomme, à qui ce singe appartenait, jouant un jour contre lui aux échecs, en présence du roi de Portugal, perdit la partie; ce qui le mit si fort en colère, qu'ayant pris une pièce des échecs, il en donna un grand coup sur la tête du singe. L'animal, se sentant frappé, fit un cri, et se retirant dans un coin, semblait, en remuant les babines, demander au roi justice de l'injure qui lui avait été faite. A quelque temps de là, son maitre, pour faire la paix, lui demanda revanche le singe se fit beaucoup prier pour y consentir; enfin il se remit au jeu, où il ne manqua pas, de même que la première fois, d'avoir bientôt l'avantage. Mais, jugeant à propos de prendre ses sûretés, il saisit de la main droite un coussin et s'en couvrit la tête pour parer le coup qu'il appréhendait de recevoir, tandis que de la main gauche il donnait échec et mat au gentilhomme; après quoi, il alla gaillardement faire un saut devant le roi en signe de victoire.

2. Exalter.

« PreviousContinue »