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FABLE XIV.

LE LION MALADE ET LE RENARD.

De par le roi des animaux,

Qui dans son antre étoit malade,

1

Fut fait savoir à ses vassaux 1
Que chaque espèce en ambassade
Envoyât gens le visiter;
Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,
Foi de lion, très-bien écrite :
Bon passe-port contre la dent,
Contre la griffe tout autant.
L'édit du prince s'exécute.
De chaque espèce on lui députe.
Les renards gardant la maison,2

Un d'eux en dit cette raison :

Les pas empreints sur la poussière

Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa tanière;

Pas un ne marque de retour :

1. Ces formules, prises dans la société des hommes, et transportées dans celle des bêtes, ont le double mérite d'être plaisantes, et de nous rappeler sans cesse que c'est de nous qu'il s'agit dans les fables. (CHAMFORT.)

2. Sélis avait, dans une leçon de littérature, développé cette fable. Quelqu'un lui demanda d'un air triomphant comment les renards gardant la maison avaient pu apercevoir les pas empreints sur la poussière.— « En mettant le nez à la fenêtre, » répondit le professeur encore tout inspiré du génie de La Fontaine. (SOLVET.)

Cela nous met en méfiance.
Que sa majesté nous dispense :
Grand merci de son passe-port.

Je le crois bon : mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas comme on en sort.

FABLE XV.

L'OISELEUR, L'AUTOUR ET L'ALOUETTE.

Les injustices des pervers

Servent souvent d'excuse aux nôtres.

Telle est la loi de l'univers :

SI TU VEUX QU'ON T'ÉPARGNE, ÉPARGNE AUSSI LES AUTRES.

Un manant au miroir prenoit des oisillons.
Le fantôme brillant attire une alouette:
Aussitôt un autour, planant sur les sillons,
Descend des airs, fond et se jette

Sur celle qui chantoit, quoique près du tombeau.
Elle avoit évité la perfide machine,

Lorsque, se rencontrant sous la main de l'oiseau,
Elle sent son ongle maline.1

Pendant qu'à la plumer l'autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé :

1. VAR. La Fontaine a mis maline dans toutes les éditions qu'il a publiées, non que ce mot s'écrivit de son temps différemment qu'on ne le fait aujourd'hui, mais parce qu'il a usé du privilége qu'avaient les poëtes d'altérer quelquefois légèrement la prononciation ou l'orthographe de certains mots pour les assujettir à la rime. Seule, l'édition de 1692, sous la date de 1678, porte maligne. (W.)

Le mot ongle était déjà masculin du temps de La Fontaine, ainsi que le constate la première édition du dictionnaire de l'Académie française. Ce mot vient toutefois d'ungula, qui est féminin en latin, et il y a eu longtemps incertitude dans notre vieille langue sur le genre auquel il appartenait.

Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage;

Je ne t'ai jamais fait de mal.

L'oiseleur repartit: Ce petit animal

T'en avoit-il fait davantage?

FABLE XVI.

LE CHEVAL ET L'ANE.

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir
Si ton voisin vient à mourir,

C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un âne accompagnoit un cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le cheval de l'aider quelque peu;
Autrement il mourroit devant qu'être à la ville. 1
La prière, dit-il, n'en est pas incivile :
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu.
Le cheval refusa, fit une pétarade;

Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,
Et reconnut qu'il avoit tort.

Du baudet en cette aventure
On lui fit porter la voiture,2
Et la peau par-dessus encor.

1. Devant qu'être à la ville. Malherbe disait de même :

Et qu'avant qu'être à la fête

De si pénible conquête...

1

(Ode au roi Henri le Grand, sur l'heureux succès du voyage de Sedan.)

2. La voiture, pour la charge, le fardeau.

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