FABLE XI. L'ANE ET SES MAITRES. L'âne d'un jardinier se plaignoit au Destin Et pourquoi? pour porter des herbes au marché! Le Sort, de sa plainte touché, Lui donne un autre maître; et l'animal de somme J'attrapois, s'il m'en souvient bien, Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien Il fut couché tout le dernier. Autre plainte. Quoi donc ! dit le Sort en colère, Que cent monarques pourroient faire! Le Sort avoit raison. Tous gens sont ainsi faits : La pire est toujours la présente. 1. Suam quisque conditionem miserrimam putat. FABLE XII. LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES. Aux noces d'un tyran tout le peuple en liesse Ésope seul trouvoit que les gens étoient sots Le Soleil, disoit-il, eut dessein autrefois Aussitôt on ouït, d'une commune voix, Les citoyennes des étangs. Que ferons-nous s'il lui vient des enfants? Dirent-elles au Sort un seul Soleil à peine Se peut souffrir; une demi-douzaine Mettra la mer à sec et tous ses habitants. Adieu joncs et marais notre race est détruite ; Bientôt on la verra réduite A l'eau du Styx. Pour un pauvre animal, Grenouilles, à mon sens, ne raisonnoient pas mal. FABLE XIII. LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT. Ésope conte qu'un manant, Charitable autant que peu sage, Aperçut un serpent sur la neige étendu, N'ayant pas à vivre un quart d'heure. Il l'étend le long du foyer, Le réchauffe, le ressuscite. L'animal engourdi sent à peine le chaud, Il lève un peu la tête, et puis siffle aussitôt ; Tu mourras. A ces mots, plein d'un juste courroux, 1. La récompense. Ce mot est encore en usage en poésie dans ce sens; et Voltaire a dit : Très-peu de gré, mille traits de satire, Épître à la duchesse du Maine. Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête, Un tronçon, la queue et la tête. 1 L'insecte, sautillant, cherche à se réunir; Mais il ne put y parvenir. Il est bon d'être charitable : 1. Mauvaise dénomination. Le serpent n'est pas un insecte. Il fallait le reptile. |