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FABLE XX. L'ours et les deux Compagnons. Æsop., 253, 57. Avianus, 9.

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Abstemius, 49.

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Philippe de Commines (chapitre 11 du livre IV de ses Mémoires) met cette fable dans la bouche de l'empereur Frédéric. Le roi de France, Louis XI, avait envoyé à cet empereur des ambassadeurs pour lui proposer de se saisir des terres que le duc de Bourgogne tenait de l'Empire, pendant que, de son côté, il prendrait les domaines que le duc tenait de la couronne de France. Frédéric III, « qui pour le long temps qu'il avoit vécu avoit beaucoup d'expérience, » dit aux envoyés du roi :

<«< Auprès d'une ville d'Allemaigne, y avoit un grand ours qui faisoit beaucoup de mal. Trois compaignons de la dicte ville, qui hantoient les tavernes, vindrent à un tavernier à qui ils devoient, prier qu'il leur accreust encore un escot, et qu'avant deux jours le payeroient du tout car ils prendroient cet ours qui faisoit tant de mal, et dont la peau valoit beaucoup d'argent, sans les présents qui leur seroient faits des bonnes gens. Ledict hoste accomplit leur demande, et quand ils eurent disné, ils allèrent au lieu où hantoit cest ours, et comme ils approchèrent de la caverne, ils le trouvèrent plus près d'eulx qu'ils ne pensoient; ils eurent paour, si se mirent en fuite. L'un gaigna un arbre, l'autre fuit vers la ville le tiers, l'ours le prit et le foula fort soubs lui, en lui approchant le museau fort près de l'oreille. Le pauvre homme estoit couché tout plat contre terre et faisoit le mort. Or, ceste beste est de telle nature que ce qu'elle tient, soit homme ou beste, quand elle veoit qu'il ne se remue plus, elle le laisse là cuidant qu'il soit mort, et ainsi le dict ours laissa le pauvre homme sans lui avoir fait guères de mal, et se retira en sa caverne, et quand le pauvre homme se veit délivré, il se leva tirant vers la ville. Son compaignon qui estoit sur l'arbre, ayant veu ce mystère, descend, court, et crie après l'autre qui estoit devant, qu'il attendist, lequel se retourna et l'attendit. Quand ils furent joincts, celuy qui estoit dessus l'arbre demanda à son compagnon par serment ce que l'ours luy avoit dit en conseil, qui si longtemps luy avoit tenu le museau contre l'oreille, à quoi son compaignon luy respondit : « Il me disoit que jamais je ne mar«< chandasse de la peau de l'ours jusques à ce que la beste fust « morte. >>

L'excellent trait : « Otons-nous, car il

sent, » a rappelé

à presque tous les commentateurs M. de Sottenville, dans George Dandin, de Molière, repoussant son gendre, qui est à jeun, et lui disant : « Retirez-vous, vous puez le vin; » et aussi Bartholo du Barbier de Séville, qui, persuadé que Basile est malade, le renvoie parce qu'il «sent la fièvre. » Ces mots peignent tous à merveille les effets de la prévention.

Ce qui pourra surprendre, c'est que ce trait célèbre se trouve dans l'Ysopet-Avionnet, publié par M. Robert: 1

Aux ongles (l'ours) le va tournoyant,

Quant voit qu'il ne bouge néant,

Si cuide qu'il soit mort pièça (depuis longtemps),

Ne le mordit ne le bleça:

Car il se doute qu'il ne pue.

FABLE XXI. L'Ane vêtu de la peau du Lion. Æsop., 262, 141. — Avianus, 5.

Cet apologue est dans les livres indiens et indo-chinois, à commencer par le Pantcha-tantra, chap. iv, f. 8. Dans l'Hitopadesa, chap. III, f. 3, l'âne, vêtu de la peau d'un tigre, s'engraisse dans le champ d'un voisin que son aspect épouvante. Mais il se met à braire, et le voisin détrompé le chasse et le tue. Dans les Avadȧnas, xci, l'âne est couvert de la peau du lion, et il nous instruit à ses dépens « à distinguer le faux du vrai. >>

1. Fables inédites, t. Ier, p. 358. Des deux Compaignons que l'ours fist dessambler.

LIVRE SIXIÈME.

FABLES I ET II.

LE PATRE ET LE LION.

LE LION ET LE CHASSEUR.

Les fables ne sont pas ce qu'elles semblent être ;
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l'ennui :

Le conte fait passer le précepte avec lui.

En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire :
Et conter pour conter me semble peu d'affaire.
C'est par cette raison, qu'égayant leur esprit,
Nombre de gens fameux en ce genre ont écrit,
Tous ont fui l'ornement et le trop d'étendue;
On ne voit point chez eux de parole perdue.
Phèdre étoit si succinct qu'aucuns l'en ont blâmé,

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1. VAR. Il y a feintes dans les deux premières éditions; ainsi le voulait la grammaire, mais le vers avait une syllabe de trop. Dans la troisième édition, celle de 1678, La Fontaine a corrigé ce mot, et a mis feinte; mais dans la quatrième édition, et sous la même date, l'imprimeur a remis feintes. (W.) 2. C'est ce qu'il nous apprend lui-même dans ces vers, lib. III, fab. x,

v. 60:

Hæc exsecutus sum propterea pluribus,
Brevitate quoniam nimia quosdam offendimus.

Ésope en moins de mots s'est encore exprimé.
Mais sur tous certain Grec1 renchérit, et se pique
D'une élégance laconique;

Il renferme toujours son conte en quatre vers :
Bien ou mal, je le laisse à juger aux experts.
Voyons-le avec Ésope en un sujet semblable.
L'un amène un chasseur, l'autre un pâtre, en sa fable.
J'ai suivi leur projet quant à l'événement,

Y cousant en chemin quelque trait seulement.
Voici comme, à peu près, Ésope le raconte :

Un pâtre, à ses brebis trouvant quelque mécompte,
Voulut à toute force attraper le larron.

Il s'en va près d'un antre, et tend à l'environ
Des lacs à prendre loups, soupçonnant cette engeance.
Avant que partir de ces lieux,

Si tu fais, disoit-il au monarque des dieux,
Que le drôle à ces lacs se prenne en ma présence,
Et que je goûte ce plaisir,

Parmi vingt veaux je veux choisir

Le plus gras, et t'en faire offrande!

A ces mots sort de l'antre un lion grand et fort;

Le pâtre se tapit, et dit, à demi mort :

Que l'homme ne sait guère, hélas! ce qu'il demande !
Pour trouver le larron qui détruit mon troupeau,
Et le voir en ces lacs pris avant que je parte,
O monarque des dieux, je t'ai promis un veau;
Je te promets un boeuf si tu fais qu'il s'écarte!

1. Gabrias. (Note de La Fontaine.) Ce nom de Gabrias n'est que celui de Babrias ou Babrius corrompu, et les fables en quatrains que nous avons sous le nom de Gabrias sont celles de Babrias abrégées par Ignatius Magister, au IXe siècle.

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