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hommes. Un humoriste espagnol, don Francisco de Quevedo Villegas, à la fin du xvIe siècle, avait de même pris la défense de l'aveugle déesse dans une célèbre fantaisie philosophique et morale intitulée la Fortuna con seso, y la Hora de todos. En voici le sujet :

<< Jupiter, ennuyé des éternelles récriminations des hommes contre la Fortune, se décide un jour à lui ôter son bandeau, afin que, devenue clairvoyante, elle puisse redresser tous les torts qu'elle a commis. En effet, la déesse, criant son nouveau mot d'ordre: A chacun selon ses œuvres! parcourt l'univers sur sa roue rapide et y met tout dans une étrange confusion. Le riche égoïste et orgueilleux perd sa richesse, et le pauvre devient riche. Le magistrat qui faisait un indigne usage de son autorité passe soudain au banc des accusés, tandis que l'accusé injustement poursuivi occupe le siége du magistrat. Un médecin, en quête de fièvres, passait sur sa mule; l'Heure réparatrice le prit et le changea en bourreau. Un condamné venait, accompagné d'un alguazil et suivi d'un exécuteur qui le bâtonnait; l'heure sonna, et l'alguazil fut sous le bâton au lieu du condamné. Deux grands seigneurs qui se pavanaient dans un magnifique carrosse furent enlevés de leurs coussins moelleux et obligés de décrotter ceux qu'ils avaient éclaboussés. Un tavernier fut mis à la question avec du vin frelaté. Un avare fut enfermé dans son coffre-fort vide. On ne vit partout qu'avocats devenus bègues, apothicaires empoisonnés, inquisiteurs brûlés vifs. Un entrepreneur de mariages, contraint d'épouser une de ses clientes, se pendit de dépit. La réparation s'étendit même plus loin on vit un homme que des oies faisaient danser pieds nus sur une plaque de tôle rougie au feu, et un autre que trois dindons engraissaient et engavaient, comme ils avaient été engavés.

<< Mais voilà qu'en peu d'espace tout est de nouveau à l'envers: le pauvre enrichi est plus arrogant et plus dur que celui qui a été dépouillé de sa richesse, tandis que celui-ci se montre humble et pieux dans la pauvreté. Le juge, touché de repentir, fait un retour sur lui-même, et sa victime abuse du pouvoir qui lui est confié. Les hommes de bien se sont faits vauriens, et les vauriens sont devenus hommes de bien. Il faudrait tout changer encore une fois. Jupiter, irrité contre l'espèce humaine, replace

sur le front de la Fortune son bandeau. Au moins, comme elle distribue ses bienfaits au hasard, personne ne sera fondé à lui reprocher ses faveurs ou ses dédains. »>

FABLE XII. Les Médecins. Esop., 31, 43, ou 234 et 126. Cependant aucune de ces fables ne se rapporte entièrement, ni pour le sujet ni pour la moralité, avec la fable de La Fontaine. La dernière (126) s'en rapproche le plus.

FABLE XIII. La Poule aux œufs d'or. Æsop, 136, 153.

M. Saint-Marc Girardin1 cite une fable, qui se trouve dans les poésies latines de Milton, et qu'on peut rapprocher de celle-ci : « Un fermier avait dans son champ un pommier donnant chaque année quelques fruits très-beaux, que le fermier offrait à son propriétaire. Celui-ci, ravi de la beauté des fruits, fit transporter l'arbre dans la cour de sa maison. L'arbre y périt, et le propriétaire repentant se disait : « Pourquoi ne pas m'être contenté des « pommes que me donnait mon fermier? Pour avoir voulu trop. j'ai perdu mon arbre et ses fruits. >>

FABLE XIV. L'Ane portant des reliques. Esop., 261, 135. Faern.,

95.

FABLE XV. Le Cerf et la Vigne. Æsop., 65.

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FABLE XVI. Le Serpent et la Lime. Esop., 187, 271. Phædr.,

V, 8. Ugobardi Sulmonensis, 51.

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Nous avons mentionné, dans notre étude générale, la singulière digression à laquelle s'est livré, à la suite de cet apologue, l'Y'sopet de 1333, et l'histoire des « bons compagnons de Picardie, » qui avaient dévalisé l'église de Saint-Mathurin.

FABLE XVII. Le Lièvre et la Perdrix. Phædr., I, 9.

M. Walckenaer a signalé dans les manuscrits de Conrart, t. XI, p. 536, une fable intitulée le Renard et l'Écureuil, qui commence par les quatre mêmes vers que celle-ci : « Mais le reste, dit-il, est évidemment d'une autre main que celle de La

1. La Fontaine et les Fabulistes, t. II, p. 216 et 475.

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Fontaine. » M. Paul Lacroix1 n'est pas de cet avis: il prétend que cet apologue fait allusion à la disgrâce du surintendant Fouquet, ce qui n'est pas inadmissible, et qu'il est bien l'œuvre de La Fontaine, ce qui est une autre question. Nous partageons le sentiment de M. Walckenaer; mais comme, parmi les fables qu'on a hypothétiquement attribuées à La Fontaine, le Renard et l'Écureuil, à cause de la répétition du début, est de celles sur lesquelles il peut subsister quelque doute, nous croyons à propos de reproduire cette fable, afin que le lecteur en puisse juger luimême :

LE RENARD ET L'ÉCUREUIL.

Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux?
Le sage Ésope, dans ses Fables,

Nous en donne un exemple ou deux.
Je ne les cite point, et certaine chronique
M'en fournit un plus authentique.

Le renard se moquoit un jour de l'écureuil,
Qu'il voyoit assailli d'une forte tempête :
Te voilà, disoit-il, près d'entrer au cercueil,
Et de ta queue en vain tu te couvres la tête!
Plus tu t'es approché du faîte,

Plus l'orage te trouve en butte à tous ses coups.

Tu cherchois les lieux hauts et voisins de la foudre,
Voilà ce qui t'en prend! Moi, qui cherche des trous,
Je vis en attendant que tu sois mis en poudre.

Tandis qu'ainsi le renard se gaboit,

Il prenoit maint pauvre poulet
Au gobe,

Lorsque l'ire du ciel à l'écureuil pardonne;
Il n'éclaire plus ni ne tonne;

L'orage cesse, et, le beau temps venu,

1. OEuvres inédites de Jean de La Fontain, Paris, librairie Hachette, 1863, p. 3.

2. On sait que l'écureuil, dans la plupart de nos patois, se nomme fouquet ou foucart, et que le surintendant avait pour devise un écureuil montant sur un arbre, avec ces paroles : Quo non ascendam?

Un chasseur ayant aperçu

Le train de ce renard autour de sa tanière :
Tu paieras, dit-il, mes poulets!
Aussitôt nombre de bassets
Vous fait déloger le compère.
L'écureuil l'aperçoit qui fuit
Devant la meute qui le suit :

Ce plaisir ne lui dure guère,

Car bientôt il le voit aux portes du trépas.
Il le voit, mais il n'en rit pas,

Instruit par sa propre misère.

Ces deux derniers vers mériteraient d'appartenir à La Fontaine ; ils sont l'application et le complément des deux premiers. Les moralistes ont épilogué sur ces deux premiers vers :

Il ne se faut jamais moquer des misérables,

Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?

« La certitude d'un bonheur durable, ont-ils dit, ne serait pas une raison suffisante pour se dispenser de la pitié. » Cette conclusion, qui serait fort blåmable en effet, ne ressort nullement du texte. « Il ne se faut jamais moquer des misérables, » quoi qu'il doive arriver, par humanité seulement; mais la possibilité d'être exposé soi-même à une souffrance pareille à la leur est une raison de plus d'avoir compassion de ceux qui souffrent, un moyen d'exciter en leur faveur sa sensibilité et la sensibilité des autres; et c'est tout ce que La Fontaine a voulu dire.

Ugobardus de Sulmone, dans sa fable 43, de Equo et indumentis (qui correspond à la fable xvi du livre VI de La Fontaine), dit exactement de même :

Te nulla potéstas

In miseros armet, nam potes esse miser.

FABLE XVIII. L'Aigle et le Hibou. Avianus, 14, Simia et Jupiter. - Verdizotti, V, l'Aquila e 'l Guffo.

Marie de France a modifié et developpé l'apologue d'Avianus. Il s'agit d'une « singesse et de son singeot. » La singesse demande au lion si son petit est beau. Le lion répond brutalement qu'il n'y a pas de plus laide bête. La singesse, s'en allant toute triste,

rencontre l'ours. Celui-ci, dont le singeot tente l'appétit, dit à la mère « Est-ce là cet enfant dont toutes les bêtes parlent, dont on entend vanter partout la bonne grâce et la gentillesse?— Oui, dit la singesse avec empressement, c'est mon fils. Donne-le, dit

l'ours, que je l'embrasse! » La mère charmée lui tend son petit, l'autre n'en fait qu'un coup de dent.

Dans Renard le Contrefait, la même aventure est prolixement contée. Les personnages sont Renard et Tiercelin, le corbeau, qui dit de même à Renard que ses petits sont « jolis sur tous leurs compagnons.

Sais-tu comment les cognoistras?
Les plus beaux que tu trouveras

Sont mes oiseaux, sans nulle faute...

«Nature le veut ainsi, dit le poëte du moyen âge en terminant son conte père et mère, soumis à naturel amour, croient certainement

Que leurs faons sont proprement
Plus beaux que nul autre faon
Combien que nel die la raison. »

Il n'y a pas plus de conclusion ici que dans La Fontaine, puisque c'est la commune loi,

Tantôt douce et tantòt amère, »

ajoute l'auteur de Renard le Contrefait. Marie de France n'en tire, elle, qu'une leçon de discrétion : « Il ne faut pas proclamer ce qui fait secrètement notre bonheur, notre jouissance,» seule leçon, en effet, que puisse offrir cet apologue.

FABLE XIX. Le Lion s'en allant en guerre. Abstemius, 95, de Asino tubicine et de Lepore tabellario. Morlini, 4, de Leone,

Asino et turma luporum.

Dans Morlini, l'âne et le lion vont de compagnie. L'âne aperçoit une troupe de loups, il se met à braire de toutes ses forces. Les loups, reconnaissant le cri, ne font qu'avancer plus hardiment, Le lion ne dit mot; mais les loups, en approchant, flairent l'odeur et aussitôt prennent la fuite. La conclusion est : Dic voce tenui el age re grandi. Conf. livre II, fable XIX.

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