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FABLE XXI.

L'ANE VÊTU DE LA PEAU DU LION.

De la peau du lion l'âne s'étant vêtu
Étoit craint partout à la ronde;
Et, bien qu'animal sans vertu, '

Il faisoit trembler tout le monde.

Un petit bout d'oreille échappé par malheur
Découvrit la fourbe et l'erreur :

Martin fit alors son office.

Ceux qui ne savoient pas la ruse et la malice
S'étonnoient de voir que Martin

Chassât les lions au moulin.

Force gens font du bruit en France Par qui cet apologue est rendu familier. Un équipage cavalier

Fait les trois quarts de leur vaillance.

1. Sans courage, dans l'acception propre du mot virtus.

2. Martin-bâton, qui a déjà fait son office dans la fable v du livre IV.

FIN DU CINQUIÈME LIVRE.

SOURCES.

LIVRE V.

RAPPROCHEMENTS. - COMMENTAIRES.

FABLE I. Le Bûcheron et Mercure. Æsop., 44, 127.

Le petit préambule qui précède cette fable est cité souvent pour preuve que La Fontaine avait beaucoup réfléchi sur les conditions de son art et les connaissait à merveille.

<< Une ample comédie à cent actes divers, » c'est à jamais la poétique définition de l'apologue, et l'on peut remarquer que La Fontaine revient par là à l'idée d'ensemble et à l'unité de plan qui durent caractériser, avons-nous dit, la fable primitive.

La fable du Bucheron et Mercure est longuement, mais joyeusement contée dans le Nouveau prologue du livre IV de Rabelais.

FABLE II. Le Pot de terre et le Pot de fer. Esop., 295, 329. On lit dans l'Ecclésiastique, chap. XIII: « Celui qui se lie avec un plus grand que lui se met un fardeau pesant sur les épaules. N'entrez point en société avec un plus riche que vous quelle union peut-il y avoir entre un pot de terre et un pot de fer? car lorsqu'ils se heurteront l'un contre l'autre, celui de terre sera brisé. Quid communicabit cacabus ad ollam? quando enim se colliserint, confringetur. »

Citons, à propos de cet apologue, quelques réflexions de M. Saint-Marc Girardin.

« Le pot de terre est sage, et il refuse d'abord. Mais quoi! le pot de fer est bon prince. « Allons donc, mon cher! Quel

« scrupule est-ce là? Croyez-vous que je ne sache pas bien que « nous sommes tous égaux? Ne datons-nous pas tous de 89? Me « prenez-vous pour un prince d'ancienne date? Venez avec moi. >> Comment résister à de pareilles prévenances? Ajoutez-y le plaisir secret que trouve la vanité à se mettre de pair avec plus grand que soi. « Je ne suis qu'un roturier, nous disons-nous << tout bas, et me voilà de pair à compagnon avec un prince. « C'est lui qui m'appelle, c'est lui qui me cherche. Il y aurait « de l'orgueil à refuser. » Pour ne pas être coupable d'orgueil, la vanité cède, et voilà la camaraderie qui commence de la plus charmante manière le prince tutoie et se laisse tutoyer. C'est l'égalité parfaite. Seulement, comme l'un en prend plus que l'autre au fond n'en donne, il arrive un jour que tout change. Voltaire quitte Sans-Souci, où Frédéric l'avait invité, et revient en maudissant celui qu'il appelle Busiris au retour, et qu'il appelait le Salomon du Nord au départ. C'est l'histoire du voyage des deux pots.1 >>

:

FABLE III. Le Petit Poisson et le Pécheur. Æsop., 124, 20.

FABLE IV. Les Oreilles du Lièvre. Faern., 97.

Voici la traduction de cette fable de Faerne : « Le lion, s'étant fait roi des animaux, exila de son royaume tout animal qui n'avait pas l'honneur de porter une queue. Le renard, effrayé, faisait ses préparatifs de départ, lorsque le singe qui, sur l'ordre du roi, se préparait à quitter le pays, dit au renard que l'édit ne le regardait nullement, puisqu'il avait une queue, et même plus qu'il n'en fallait. « Vous dites vrai, répliqua celui-ci; mais « qui m'assure qu'il ne plaira pas à Sa Majesté de me mettre au « premier rang des animaux sans queue? » Quiconque vit sous un tyran, fût-il innocent, est souvent puni comme coupable. »>

FABLE V. Le Renard ayant la queue coupée. Æsop., 7, 6. Faern., 61.

FABLE VI. La Vieille et les deux Servantes. Esop., 79, 44.

FABLE VIII. Le Satyre et le Passant. Æsop., 126, 26.

1. La Fontaine et les Fabulistes, t. II, p. 72.

FABLE VIII. Le Cheval et le Loup. Æsop., 263, 134.

297

Faern., 4.

La Fontaine a traité un peu différemment le même sujet dans la fable xvII du XIIe livre le Renard, le Loup et le Cheval.

Cette fable ésopique a formé, au moyen âge, un épisode ou, comme on disait, une branche du Roman de Renard. Cette branche a pour titre : C'est de la Jument et d'Ysengrin.1 Lorsqu'elle a fait son coup, la jument, qui se nomme Rainsaut dans le cycle, Rainsaut s'en tourne regibant,

La queue levée, va fuyant...

Dans l'Ysopet de 1333, le lion (au lieu du loup) aborde le cheval aussi hypocritement que dans La Fontaine. S'il ne l'appelle pas mon fils, il l'appelle frère.

Il lui dit Frère, Dieu vous saut (sauve)!

Je sais moult bien ce qu'il vous faut :
Pour très bon mire (médecin) suis tenu;

Je suis de Salerne venu...

Ces traits, que nous relevons en passant, sont pour montrer ce qu'il y a de pittoresque et d'animé dans l'ancienne fable française, et comment la fable de La Fontaine s'y rattache directement et étroitement.

FABLE IX. Le Laboureur et ses Enfants. Esop., 33, 22.

FABLE X. La Montagne qui accouche. Phædr., IV, 23. bardi Sulmonensis, 25.

Ugo

Horace, traduisant un proverbe grec, avait dit en un vers:

Parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Rabelais s'est emparé de l'image : « La mocquerie est telle que de la montagne d'Horace, laquelle crioit et lamentoit énormement comme une femme en travail d'enfant. A son cry et lamentation accourut tout le voisinage en expectation de veoir quelque admirable et monstrueux enfantement, mais enfin ne nacquist d'elle qu'une petite souris. » (Liv. III, ch. xxiv.)

Boileau a traduit Horace :

La montagne en travail enfante une souris.

Art poétique, ch.

1. Voyez dans l'édition de Méon, t. Ier, p. 281.

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Le poëte allemand Hagedorn refait la fable de La Fontaine : « Dieux! secourez-nous! Hommes, fuyez! une montagne en travail va accoucher. Elle jettera autour d'elle, avant que l'on soit sur ses gardes, et le sable et les rochers. Suffénus sue, il rugit, il écume. Rien ne peut calmer sa noble fureur. Il frappe des pieds, il grince des dents. Pourquoi ? Il rime, il veut couvrir Homère de honte. Mais voyons que résulte-t-il de part et d'autre? Suffénus enfante un sonnet et la montagne

une souris. >>

Lessing donne cet apologue comme un exemple de ce qu'il appelle une fable composée, une fable à deux compartiments, si l'on peut s'exprimer ainsi. Nous en avons déjà rencontré une précédemment le Coq et la Perle (livre I, fable xx). A ces exemples, Lessing ajoute le suivant :

« On reprochait à la lionne qu'elle ne mettait qu'un petit au monde : Oui, un seul, répondit-elle, mais c'est un lion. - Je fais sept tragédies dans un an, disait à un poëte un rimeur enflé de vanité; mais vous, une en sept ans! Oui, une seule, répondit le poëte, mais c'est Athalie. »

Nous avons ici l'idée inverse et la contre-partie de la montagne qui accouche.

FABLE X. La Fortune et le Jeune Enfant. Esop., 256, 62.

Un demi-siècle avant La Fontaine, Régnier, dans sa XIV" satire, avait raconté la même fable:

La Fortune est à nous, et n'est mauvaise ou bonne
Que selon qu'on la forme, ou bien qu'on se la donne.
A ce point, le Malheur, amy comme ennemy,
Trouvant au bord d'un puits un enfant endormy,
En risque d'y tomber, à son ayde s'advance,
Et luy parlant ainsy le réveille et le tance:
Sus, badin, levez-vous; si vous tombiez dedans,
De douleur vos parens, comme vous imprudens,
Croyant en leur esprit que de tout je dispose,
Diroient, en me blasmant, que j'en serois la cause.
Ainsi, nous séduisant d'une fausse couleur,
Souvent nous imputons nos fautes au Malheur.

Nous trouverons plus d'une fois encore, dans la suite des fables de La Fontaine, l'apologie de la Fortune trop maltraitée par les

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