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Notre aigle aperçut, d'aventure,
Dans les coins d'une roche dure,
Ou dans les trous d'un masure

(Je ne sais pas lequel des deux),
De petits monstres fort hideux,

Rechignés, un air triste, une voix de Mégère.
Ces enfants ne sont pas, dit l'aigle, à notre ami :
Croquons-les. Le galant n'en fit pas à demi :
Ses repas ne sont point repas à la légère.
Le hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers nourrissons, hélas! pour toute chose.
Il se plaint; et les dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un lui dit alors: N'en accuse que toi,
Ou plutôt la commune loi

Qui veut qu'on trouve son semblable

Beau, bien fait, et sur tous aimable. Tu fis de tes enfants à l'aigle ce portrait : En avoient-ils le moindre trait?

FABLE XIX.

LE LION S'EN ALLANT EN GUERRE.

Le lion dans sa tête avoit une entreprise :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prevôts,
Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise :
L'éléphant devoit sur son dos

Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire ;
L'ours, s'apprêter pour les assauts;

Le renard, ménager de secrètes pratiques;
Et le singe, amuser l'ennemi par ses tours.
Renvoyez, dit quelqu'un, les ânes, qui sont lourds,
Et les lièvres, sujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le roi; je les veux employer:

Notre troupe sans eux ne seroit pas complète.
L'âne effraiera les gens, nous servant de trompette;
Et le lièvre pourra nous servir de courrier.

Le monarque prudent et sage

De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connoît les divers talents.

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens.

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FABLE XX.

L'OURS ET LES DEUX COMPAGNONS.

Deux compagnons, pressés d'argent,
A leur voisin fourreur vendirent

La

peau d'un ours encor vivant,

Mais qu'ils tueroient bientôt, du moins à ce qu'ils dirent.
C'étoit le roi des ours au compte de ces gens :
Le marchand à sa peau devoit faire fortune;
Elle garantiroit des froids les plus cuisants;
On en pourroit fourrer plutôt deux robes qu'une.
Dindenaut prisoit moins ses moutons qu'eux leur ours:
Leur, à leur compte, et non à celui de la bête.
S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix, et se mettent en quête,
Trouvent l'ours qui s'avance et vient vers eux au trot.
Voilà mes gens frappés comme d'un coup de foudre.
Le marché ne tint pas; il fallut le résoudre :
D'intérêts contre l'ours, on n'en dit pas un mot.
L'un des deux compagnons grimpe au faîte d'un arbre;
L'autre, plus froid que n'est un marbre,

Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent,
Ayant quelque part ouï dire

1. Marchand de moutons, dans Rabelais, livre IX, chap. viu. La Fontaine a mis en vers ailleurs l'entretien de Dindenaut avec Panurge. Voyez la variante du conte de l'Abbesse malade.

2. Le résoudre, on dirait aujourd'hui le résilier.

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