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FABLE VII.

LE SATYRE ET LE PASSANT.

Au fond d'un antre sauvage
Un satyre et ses enfants
Alloient manger leur potage,
Et prendre l'écuelle aux dents.

On les eût vus sur la mousse,
Lui, sa femme, et maint petit :
Ils n'avoient tapis ni housse,
Mais tous fort bon appétit.

Pour se sauver de la pluie
Entre un passant morfondu.
Au brouet on le convie :
Il n'étoit pas attendu.

Son hôte n'eut pas la peine
De le semondre deux fois.
D'abord avec son haleine
Il se réchauffe les doigts :

Puis sur le mets qu'on lui donne,
Délicat, il souffle aussi.

1. De l'inviter.

Le satyre s'en étonne :
Notre hôte! à quoi bon ceci?

L'un refroidit mon potage;
L'autre réchauffe ma main.
Vous pouvez, dit le sauvage,
Reprendre votre chemin.

Ne plaise aux dieux que je couche Avec vous sous même toit!

Arrière ceux dont la bouche

Souffle le chaud et le froid!

FABLE VIII.

LE CHEVAL ET LE LOUP.

Un certain loup, dans la saison
Que les tièdes zéphyrs ont l'herbe rajeunie,
Et que les animaux quittent tous la maison
Pour s'en aller chercher leur vie ;

Un loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l'hiver,
Aperçut un cheval qu'on avoit mis au vert.
Je laisse à penser quelle joie.

Bonne chasse, dit-il, qui l'auroit à son croc!
Eh! que n'es-tu mouton! car tu me serois hoc;'
Au lieu qu'il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. Ainsi dit, il vient à pas comptés;
Se dit écolier d'Hippocrate;

Qu'il connoît les vertus et les propriétés
De tous les simples de ces prés;

Qu'il sait guérir, sans qu'il se flatte,
Toutes sortes de maux. Si don coursier vouloit

Ne point celer sa maladie,

Lui loup, gratis, le guériroit;
Car le voir en cette prairie

1. Me fût-il hoc, c'est-à-dire me fût-il assuré. Cette expression proverbiale vient du hoc, jeu de cartes, qu'on appelle ainsi parce qu'il y a six cartes qui sont hoc, c'est-à-dire assurées à celui qui les joue. (MÉNAGE.) Dans Molière (Femmes savantes, acte V, scène 1), Martine dit :

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Paître ainsi sans être lié

Témoignoit quelque mal, selon la médecine.
J'ai, dit la bête chevaline,

Une apostume sous le pied.

Mon fils, dit le docteur, il n'est point de partie
Susceptible de tant de maux.

J'ai l'honneur de servir nosseigneurs les chevaux,
Et fais aussi la chirurgie.

Mon galant ne songeoit qu'à bien prendre son temps,
Afin de happer son malade.

L'autre, qui s'en doutoit, lui lâche une ruade
Qui vous lui met en marmelade

Les mandibules et les dents.

C'est bien fait, dit le loup en soi-même fort triste:
Chacun à son métier doit toujours s'attacher.

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2. On dit aujourd'hui herboriste. Mais La Fontaine a écrit arboriste. 11 suivait en cela l'usage vulgaire de son temps, ainsi que le prouve le passage suivant de Richelet, dans son dictionnaire imprimé à Genève en 1680: « Le peuple dit arboriste; quelques savants hommes: herboriste. » La plupart des éditeurs modernes ont changé ce mot; nous le rétablissons c'est le mot de La Fontaine. (W.)

3. Imitation évidente de ces vers de Faerno, dans la fable IV, intitulée Asinus et Lupus.

Ibi lupus Jure, inquit, hoc mihi accidit,

Neque enim, coquus qui sim, agere medicum debui.
Quam quisque novit artem, in hac se exerceat.

FABLE IX.

LE LABOUREUR ET SES ENFANTS.

Travaillez, prenez de la peine :

C'est le fonds qui manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :

Un trésor est caché dedans.

1

Je ne sais pas l'endroit; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût :
Creusez, fouillez, bêchez; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort,

Que le travail est un trésor.

1. La moisson qui a lieu au mois d'août. On disait anciennement ouster pour moissonner :

Quand ils vandangent et oustent,

lisons-nous, par exemple, dans le Livre des Miracles de Notre-Dame, XIIIe siècle.

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