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Ce fut pitié là-dessus de l'entendre.
Il n'avoit pas des outils à revendre :
Sur celui-ci rouloit tout son avoir.
Ne sachant donc où mettre son espoir,
Sa face étoit de pleurs toute baignée :
O ma cognée! ô ma pauvre cognée !
S'écrioit-il Jupiter, rends-la-moi ;
Je tiendrai l'être encore un coup de toi.
Sa plainte fut de l'Olympe entendue.
Mercure vient. Elle n'est pas perdue,
Lui dit ce dieu; la connoîtras-tu bien?
Je crois l'avoir près d'ici rencontrée.
Lors une d'or à l'homme étant montrée,
Il répondit Je n'y demande rien.
Une d'argent succède à la première;
Il la refuse. Enfin une de bois.
Voilà, dit-il, la mienne cette fois :
Je suis content si j'ai cette dernière.
Tu les auras, dit le dieu, toutes trois :
Ta bonne foi sera récompensée.
En ce cas-là je les prendrai, dit-il.
L'histoire en est aussitôt dispersée ;
Et boquillons de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le roi des dieux ne sait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards vient encor;
A chacun d'eux il en montre une d'or.
Chacun eût cru passer pour une bête
De ne pas dire aussitôt La voilà!
Mercure, au lieu de donner celle-là,

1. Boquillon, synonyme populaire de bûcheron.

Leur en décharge un grand coup sur la tête.

Ne point mentir, être content du sien,

C'est le plus sûr

cependant on s'occupe

A dire faux pour attraper du bien.

Que sert cela? Jupiter n'est pas dupe.

FABLE II.

LE POT DE TERRE ET LE POT DE FER.

Le pot de fer proposa

Au pot de terre un voyage.
Celui-ci s'en excusa,

Disant qu'il feroit que sage1
De garder le coin du feu :
Car il lui falloit si peu,
Si peu que la moindre chose
De son débris 2 seroit cause :
Il n'en reviendroit morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le pot de fer :
Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai.
Cette offre le persuade.

Pot de fer son camarade

1. Qu'il ferait sagement, qu'il agirait en sage. Ancienne locution. « Tu fais que sage de confesser la vérité avant qu'on te donne la gehenne pour te la faire dire. » Amyot, traduct. de Plutarque, Vie de Marc-Antoine, chap. xII. 2. Débris n'est pas usité au singulier; il est pris ici pour destruction, brisure.

Se met droit à ses côtés.

Mes gens s'en vont à trois pieds
Clopin clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés

Au moindre hoquet1 qu'ils treuvent.

Le pot de terre en souffre; il n'eut pas fait cent pas
Que par son compagnon il fut mis en éclats,

Sans qu'il eût lieu de se plaindre.

Ne nous associons qu'avecque nos égaux;

Ou bien il nous faudra craindre

Le destin d'un de ces pots.

1. Cahot, secousse. On disait autrefois hoqueter pour secouer for

tement.

FABLE III.

LE PETIT POISSON ET LE PÈCHEUR.

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie;
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens pour moi que c'est folie :
Car de le rattraper il n'est pas trop certain.

Un carpeau, qui n'étoit encore que fretin,
Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière.
Tout fait nombre, dit l'homme, en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin :

Mettons-le en notre gibecière.

Le pauvre carpillon lui dit en sa manière :
Que ferez-vous de moi? je ne saurois fournir
Au plus qu'une demi-bouchée.
Laissez-moi carpe devenir :

Je serai par vous repêchée;
Quelque gros partisan1 m'achètera bien cher :
Au lieu qu'il vous en faut chercher

Peut-être encor cent de ma taille

Pour faire un plat : quel plat! croyez-moi, rien qui vaille. Rien qui vaille! eh bien! soit, repartit le pêcheur : Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur,

1. Financier.

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