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<< Dame, lui dit-il, vous êtes bien subtile: vous me faictes belle chère et beau semblant... Certes, ne vous y attendez plus vous m'avez trop plumé pour une fois. » C'est à peu près le petit discours du personnage de La Fontaine :

Vous voulez de l'argent, ô mesdames les eaux!

Dit-il; adressez-vous, je vous prie, à quelque autre :
Ma foi! vous n'aurez pas le nôtre.

FABLE III. La Mouche et la Fourmi. Phædr., IV, 23. bardi Sulmonensis, 37.

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Morlini, 17.

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On peut comparer les arguments de l'une et de l'autre dans l'Ysopet du moyen âge. La mouche dit :

Tu es recluse en ta tanière,

Moi, je vole comme legière;

En ton creux te mets et avales (descends),

Je demeure en hautes salles.

Tu ne vis fors de grains sans plus,

Et moi j'ai viandes à refus.

L'eau que tu bois est trouble et ord (sale),

Je bois bon vin et clair et fort

En hannap d'or, tant com me plaist;
Table de roi m'abreuve et paist,

A toutes ses viandes touche;
Baise la reine en la bouche,
Quand je veux.....

La fourmi ne réplique pas moins victorieusement que dans la fable de La Fontaine, et nous remarquons dans sa réplique ces vers qui rappellent la sentence que l'avare Harpagon veut faire graver en lettres d'or dans sa salle à manger :

Tu vis pour manger seulement;
Je mange pour longuement vivre.

FABLE IV. Le Jardinier et son Seigneur.

On a désigné une fable de Camerarius (la quatre cent seizième), comme ayant pu suggérer l'idée de cette fable de La Fontaine. La fable de Camerarius a pour titre : Mala mulata pejoribus, ou, pour traduire : « Tomber de mal en pis. » Le maître d'un champ, voyant mûrir ses moissons, place un gardien pour empêcher

les gens et les bêtes d'y faire des dégâts. Comme ce gardien ne peut s'acquitter de sa tâche, le maître le remplace par un cavalier. Celui-ci, poursuivant les passants qui se livrent au grappillage ou les animaux qui entrent dans le champ, cause à lui tout seul plus de dommage qu'il n'en prévient.

Il y a loin, comme on voit, de ce simple canevas à la peinture si vraie et si animée de La Fontaine.

FABLE V. L'Ane et le Petit Chien. Esop., 216, 293.- Ugobardi Sulmonensis, 17.

Dans la fable latine d'Alexandre Neckam, la moralité que La Fontaine a mise en tête de sa fable est exprimée dans ce distique:

Fabula nostra docet cunctis non cuncta licere,

Et debere modum quemque tenere suum.

Cet apologue est bien raconté dans l'Ysopet de 1333 voici les réflexions de messire Bernard l'archiprêtre; c'était alors, comme on l'a déjà vu plusieurs fois, le surnom de l'âne :

Li asnes à la pesant teste

Si vit et regarda la feste

Que à son seigneur fait le chien...

« Je suis, dit-il, plus profitable

Et par mon dos fais plus de preu (de profit)

Que le chien ne fait par son jeu.

S'il a par son jeu plus de grace

Que je, pour chose que je fasse,

Qui jour et nuit céans travaille,

Il me plaît à jouer, sans faille (sans mentir).

La conclusion est la même :

Chascun en sa vocation

Se tiengne sans présomption.

Une fable analogue se trouve dans les Avadânas :

« Au commencement des Kalpas, il y avait un roi appelé Svaranandi. Une fois, un hibou vint se poser sur le toit du palais. Il aperçut un perroquet qui jouissait de l'amitié et de la faveur du roi, et lui demanda d'où lui venait ce bonheur :

<< Dans l'origine, répondit-il, lorsque je fus admis dans le palais, « je fis entendre une voix plaintive d'une douceur extrême; le

« roi me prit en amitié et me combla de bontés. Il me plaçait « constamment à ses côtés et me mit un collier de perles de cinq ⚫ couleurs. »

«En entendant ces paroles, le hibou conçut une vive jalousie. «Eh bien, dit-il après un moment de réflexion, je veux absolu«ment chanter aussi, pour plaire encore plus que Votre Seigneu« rie. Il faudra bien que le roi me comble, à mon tour, d'amitiés 1 et de faveurs. »

« Au moment où le roi venait de se livrer au sommeil, le hibou fit entendre sa voix. Le roi s'éveilla tout effaré, et, par l'effet de la terreur, tous les poils de son corps se hérissèrent.

« Quel est ce cri? demanda-t-il à ses serviteurs; j'en suis tout

■ ému et bouleversé. — Sire, répondirent-ils, il vient d'un oiseau ⚫ dont le cri est odieux; on l'appelle Oulouka (un hibou). »

Sur-le-champ, le roi, exaspéré, envoya de différents côtés une multitude de gens pour chercher l'oiseau. Les serviteurs eurent bientôt pris et apporté au roi le coupable volatile. Le roi ordonna de plumer le hibou tout vivant, de sorte qu'il éprouva de cuisantes douleurs et se sauva sur ses pattes. Quand il fut revenu dans la plaine, tous les oiseaux lui dirent : « Qui est-ce « qui vous a mis dans ce piteux état? » Le hibou, qui était gonflé de colère, se garda bien de s'accuser lui-même : « Mes amis, « dit-il, c'est un perroquet qui est l'unique cause de mon « malheur. »

« Le Bouddha dit à cette occasion : « Le châtiment du hibou « est venu de sa propre sottise; mais au lieu de s'en prendre à << lui-même, il a tourné sa colère contre le perroquet. »

Dans cette fable, la leçon va plus loin que dans la fable ésopique : « N'accusez pas les autres des malheurs qui vous arrivent par votre faute. »

FABLE VI. Le Combat des Rats et des Belettes. Phædr., IV, 5.

FABLE VII. Le Singe et le Dauphin. Esop., 88, 242.

FABLE VIII. L'Homme et l'Idole de bois. Esop., 128, 21.

FABLE IX. Le Geai paré des plumes du Paon. Esop., 101, 205,

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Cet apologue est un de ceux qui ont été contés le plus souvent. On le rencontre dans Bidpay. Il est dans Horace :

Ne si forte suas repetitum venerit olim

Grex avium plumas, moveat cornicula risum
Furtivis nudata coloribus.

Epist., lib. I, 1.

Il est dans Renard le Contrefait. Il est dans l'espagnol Jean Ruiz. Dante lui a donné place dans les Amori e Rime. «Quand le conseil des oiseaux, dit-il, se tient, de nécessité il convient que chacun à cette nouvelle se présente. La corneille, malicieuse et rusée, pensa à changer de robe et elle acheta les plumes de beaucoup d'oiseaux, et elle s'en habilla, et elle se rendit au conseil. Mais peu de temps elle y joua son personnage parce qu'elle paraissait belle sur toutes les autres. Chacun demandait : « Qui <«< est-elle? » si bien qu'à la fin elle fut reconnue. Or, écoutez ce qui en advint. Tous les oiseaux l'entourèrent et sans plus tarder la pelèrent de telle sorte qu'elle resta toute nue. L'un disait : « Voyez donc la belle fille! » L'autre disait : « Elle mue. » Et ainsi ils la laissèrent en grande honte. Semblablement on voit chaque jour arriver aux honneurs des hommes qui se font beaux de réputation ou de vertus qui ne leur appartiennent pas. Ces hommes qui ont sué de la chaleur d'autrui, il vient un temps où ils gèlent. Donc heureux qui vaut par soi-même. »>

Lessing y ajoute un trait nouveau. Lorsque les paons ont arraché à la corneille sa parure mensongère : « Cessez, criat-elle enfin; vous avez repris tout ce qui est à vous. » Mais les paons, qui avaient aperçu quelques plumes luisantes des ailes de la corneille, répondirent : « Tais-toi, pauvre sotte; celles-ci ne peuvent non plus être à toi. » Et les coups de bec continuèrent. Le châtiment du plagiat, c'est que celui qui s'en rend coupable ne peut plus faire croire ensuite à son droit sur ce qui lui appartient même légitimement.

FABLE X. Le Chameau et les Bâtons flottants. Esop., 118, 148 ; et Planud., Vita Esopi, dans Nevelet, Fab. var. auct., p. 74.

FABLE XI. La Grenouille et le Rat. Esop., 249, 307.- Ugobardi Sulmonensis, 3. Alex. Neckam, 6.

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Suo, jure, perit laqueo, dit Neckam. Dan le Chastoiement d'un père à son fils, on trouve la même moralité exprimée de cette façon : « Tel cueille souvent le bâton dont il sera battu, » et dans l'Ysopet de 1333 La pierre revient frapper parfois celui qui l'a lancée :

La pierre refiert icelui

Qui ferir li est abeli.

Toutes images traduisant la même pensée. Elle est encore exprimée dans ces deux vers de l'Histoire macaronique de Merlin Coccaie (Folengo) :

Vidimus experti quod quisquis fallere cercat,
Deceptnm tandem se cernit tempore quoquo.

Macaron., X, p. 228, édit. Ven., 1581.

<«< Nous avons souvent expérimenté que qui cherche à tromper autrui est, avec le temps, trompé lui-même. » Les commentateurs ont même cru, avant que le passage du roman de Merlin eût été pour la première fois signalé par M. Robert, que c'était à ce passage de la célèbre Macaronée que La Fontaine faisait allusion en commençant cette fable.

Jean Ruiz, archiprêtre de Hita, a traité le même sujet en l'appliquant surtout à l'amour et aux piéges où il nous fait tomber. Voici la traduction de la fable espagnole par M. E. Baret:1 « Tu réserves à tes sectateurs, ô Amour, le sort qui arriva au mulot avec la grenouille marquetée. Le mulot voulut faire société avec elle et mourut sa victime. Écoutez bien la fable et le but de mon récit :

« Sur les bords d'un ruisseau, sire mulot avait son trou. L'onde crût tellement que c'était merveille, et que le mulot, cerné de toutes parts, ne pouvait sortir. Dame grenouille vint à lui et de sa voix la plus harmonieuse : « Seigneur amoureux, lui dit« elle, je prétends devenir votre amie, votre dame et votre com«pagne, et assurer dès ce matin votre salut en vous transpor«tant sur le tertre. Je sais fort bien nager, vos yeux en sont

2

1. Les Troubadours et leur influence, p. 448.

2.

Señor enamorado, dixo al mur la rana,

Quiero ser tu amiga, tu mujer et tu cercana...

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