FABLE XIII. LE CHEVAL S'ÉTANT VOULU VENGER DU CERF. De tout temps les chevaux ne sont nés pour les hommes. Lorsque le genre humain de gland se contentoit, Ane, cheval et mule aux forêts habitoit : Et l'on ne voyoit point, comme au siècle où nous sommes, Tant de harnois pour les combats, Avec un cerf plein de vitesse; Et, ne pouvant l'attraper en courant, Que le cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie. L'homme son bienfaiteur, disant: Je suis à vous; Non pas cela, dit l'homme; il fait meilleur chez nous : 1 Demeurez donc; vous serez bien traité, 1. L'usage dont vous pouvez être. Hélas! que sert la bonne chère Le cheval s'aperçut qu'il avoit fait folie; Il y mourut en traînant son lien : Quel que soit le plaisir que cause la vengeance, C'est l'acheter trop cher que l'acheter d'un bien Sans qui les autres ne sont rien. FABLE XIV. LE RENARD ET LE BUSTE. Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre; L'âne n'en sait juger que par ce qu'il en voit C'étoit un buste creux, et plus grand que nature. Combien de grands seigneurs sont bustes en ce point! FABLES XV ET XVI. LE LOUP, LA CHÈVRE ET LE CHEVREAU. LE LOUP, LA MÈRE ET L'ENFANT. La bique, allant remplir sa traînante mamelle, Ferma sa porte au loquet, La bique, comme on peut croire, Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton, Et, d'une voix papelarde, 1 Il demande qu'on ouvre, en disant : Foin du loup! Et croyant entrer tout d'un coup. Le biquet soupçonneux par la fente regarde : Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point, 1. Hypocrite. Il change sa voix et chevrelle, dit l'Ysopet de 1333, « il parle d'une voix chevrotante. >> S'écria-t-il d'abord. Patte blanche est un point Chez les loups, comme on sait, rarement en usage. Où seroit le biquet s'il eût ajouté foi Au mot du guet que, de fortune, Deux sûretés valent mieux qu'une; Ce loup me remet en mémoire Un villageois avoit à l'écart son logis. Messer loup attendoit chape-chute à la porte; 1. Les fabulistes du moyen âge tiraient généralement de cet apologue, nonseulement une leçon de prudence, mais une leçon d'obéissance filiale. L'exemple du chevreau prouvait, selon eux, que l'enfant doit bien se pénétrer des sages enseignements de ses père et mère, pour s'en inspirer au besoin. L'Ysopet de 1333 conclut par ces mots : A l'enfant vient Grand preu (grand profit), quand il voit et retient Et l'Ysopet de la fin du XIVe siècle : Chascun doibt père et mère Et croire et honorer, Et servir et aimer De cœur entièrement. A bon droit le compère (le paye, en est puni) Qui le fait autrement. La conclusion de La Fontaine ressort mieux des détails de sa fable. 2. Expression proverbiale, pour dire: attendoit l'occasion de profiter de la négligence ou du malheur d'autrui; employée aussi par Mme de Sévigné: |