FABLE VIII. L'HOMME ET L'IDOLE DE BOIS. Certain païen chez lui gardoit un dieu de bois, Il lui coûtoit autant que trois : Ce n'étoient que vœux et qu'offrandes, Sacrifices de bœufs couronnés de guirlandes. Jamais idole, quel qu'il1 fût, N'avoit eu cuisine si grasse; Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échût Bien plus, si pour un sou d'orage en quelque endroit L'homme en avoit sa part; et sa bourse en souffroit : La pitance du dieu n'en étoit pas moins forte. A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien, Il vous prend un levier, met en pièces l'idole, Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien, 1. La Fontaine fait ici idole masculin, et Corneille fournit aussi un exemple semblable: Et Pison ne sera qu'un idole sacré Qu'ils tiendront sur l'autel pour répondre à leur gré. Othon, act. III, scène 1. Cependant Ménage, dans ses Remarques sur Malherbe (1666), nous apprend que, même du temps de notre poëte, l'usage avait fixé ce mot au féminin, malgré la raison d'étymologie qui aurait dû le rendre masculin. M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole? Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels. Malheureux, grossiers, et stupides : On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton. Puis après se l'accommoda; Puis parmi d'autres paons tout fier se panada, Quelqu'un le reconnut il se vit bafoué, Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte: Il fut par eux mis à la porte. Il est assez de geais à deux pieds comme lui, Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui : FABLE X. LE CHAMEAU ET LES BATONS FLOTTANTS. Le premier qui vit un chameau Le second approcha; le troisième osa faire Quand ce vient à la continue. Et puisque nous voici tombés sur ce sujet : Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet, Que c'étoit un puissant navire. Quelques moments après, l'objet devint brûlot, Enfin bâtons flottants sur l'onde. J'en sais beaucoup de par le monde De loin, c'est quelque chose; et de près, ce n'est rien. FABLE XI. LA GRENOUILLE ET LE RAT. Tel, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui, 1 Qui souvent s'engeigne soi-même. 1 J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui ; 1. Cette phrase se trouve dans le Premier volume de Merlin, qui est le premier de la Table ronde, etc.; petit in-40 gothique, sans date, imprimé à Paris, dans la grande rue Saint-Jacques, à l'enseigne de la Rose blanche, feuillet XLII, réclame 1, ij. Elle est ainsi conçue: « Ainsi advient-il de plusieurs, car tels cuident engigner un autre, qui s'engignent eulx-mêmes. >> Dans la table, le sommaire du chapitre auquel cette phrase appartient est rédigé de la manière suivante : Comme Merlin prit congé du roy, et s'en vint à son maistre Blaise et lui compta la manière de cette table. Cuider signifie croire, présumer. Regnier a dit, en parlant du soldat : Il se plaît au trésor qu'il cuide ravager. Satire IX. Engeigner ou engigner signifie prendre au piége : Nus ne la peust engignier, Qu'il n'est barat qu'el' ne congnoisse. Roman de la Rose. C'est-à-dire : « Nul ne la pourrait tromper, car il n'y a point de ruse qu'elle ne connaisse. » Le mot engin, d'où ce verbe est formé, mot que nous avons précédemment rencontré dans La Fontaine : De la naîtront engins vous envelopper (Fable vi du Livre Ier, p. 54), n'est pas encore tout à fait tombé en désuétude. VAR. Dans la réimpression de 1692 sous la date de 1678, l'imprimeur, ne comprenant pas ce mot, a mis au premier vers et au deuxième enseigner au lieu d'engeigner. (W.) |