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Par ce moyen, les mutins virent
Que celui qu'ils croyoient oisif et paresseux
A l'intérêt commun contribuoit plus qu'eux.

Ceci peut s'appliquer à la grandeur royale.
Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille pour elle, et réciproquement
Tout tire d'elle l'aliment.

Elle fait subsister l'artisan de ses peines,
Enrichit le marchand, gage le magistrat,
Maintient le laboureur, donne paye au soldat,
Distribue en cent lieux ses grâces souveraines,
Entretient seule tout l'État.

Ménénius le sut bien dire.

La commune s'alloit séparer du sénat.

Les mécontents disoient qu'il avoit tout l'empire,
Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité;
Au lieu que tout le mal étoit de leur côté,
Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs étoit déjà posté,
La plupart s'en alloient chercher une autre terre,
Quand Ménénius leur fit voir

Qu'ils étoient aux membres semblables,
Et par cet apologue, insigne entre les fables,
Les ramena dans leur devoir.

FABLE III.

LE LOUP DEVENU BERGER.

Un loup qui commençoit d'avoir petite part
Aux brebis de son voisinage,

Crut qu'il falloit s'aider de la peau du renard, 1
Et faire un nouveau personnage.

Il s'habille en berger, endosse un hoqueton, 2
Fait sa houlette d'un bâton,

Sans oublier la cornemuse. 3

Pour pousser jusqu'au bout la ruse,

1

Il auroit volontiers écrit sur son chapeau : « C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau. »> Sa personne étant ainsi faite,

4

Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante approche doucement.
Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l'herbette,
Dormoit profondément;

Son chien dormoit aussi, comme aussi sa musette.

1. C'est-à-dire, recourir à la ruse. Lysandre disait qu'il fallait au besoin savoir coudre à la peau du lion un lambeau de celle du renard.

2. Une casaque.

3.

Col bastone in man, col fiasco al tergo
E con la tibia pastorale al fianco, etc.

VERDIZOTTI, il Lupo e le Pecore.

Ce n'était pas La Fontaine qui pouvait oublier de reproduire ce trait heureux du fabuliste italien. (W.)

4. Trompeur. (Note de La Fontaine.)

I.

La plupart des brebis dormoient pareillement.

L'hypocrite les laissa faire;

Et, pour pouvoir mener vers son fort les brebis,
Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu'il croyoit nécessaire;

Mais cela gâta son affaire :

Il ne put du pasteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.

Chacun se réveille à ce son,
Les brebis, le chien, le garçon.
Le pauvre loup, dans cet esclandre,
Empêché par son hoqueton,

Ne put ni fuir ni se défendre.

Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. Quiconque est loup agisse en loup :

C'est le plus certain de beaucoup.

FABLE IV.

LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN ROI.

Les grenouilles, se lassant

De l'état démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique :
Ce roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,

Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,

Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du marécage,

Sans oser de longtemps regarder au visage
Celui qu'elles croyoient être un géant nouveau.
Or c'étoit un soliveau,

De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s'aventurant,

Osa bien quitter sa tanière.

Elle approcha, mais en tremblant.

Une autre la suivit, une autre en fit autant :
Il en vint une fourmilière;

Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter sur l'épaule du roi.

Le bon sire le souffre et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue :

Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue!
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,

Qui les gobe à son plaisir;

Et grenouilles de se plaindre,

Et Jupin de leur dire : Eh quoi! votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre?

Vous avez dû premièrement

Garder votre gouvernement;

Mais ne l'ayant pas fait, il vous devoit suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux :
De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire.

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