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« Le bois résonne, les lièvres fuient, rencontrent un marais, s'arrêtent; ils hésitent, regardent devant et derrière, ont peur. » Dans l'Ysopet de 1333, les lièvres, voyant sauter les grenouilles, éclatent de rire:

Ils en rient si durement,
Ce dist la fable vraiement,

Que du ris leur fendist la bouche,

Si que aux oreilles leur touche.

Nous avons rapporté, dans notre étude générale, la conclusion mélancolique et touchante que Marie de France a tirée de cet apologue.

FABLE XV. Le Coq et le Renard. Æsop., 36, 88. — Philibert Hégemon, fable XIV 1.

La fable de Marie de France offre quelques traits heureux : il s'agit d'un coulon, d'un pigeon, au lieu d'un vieux coq. Le renard lui dit doucereusement:

« Pourquoi, fet-il, sicz-tu lassus

En si grant vent? Descens çà jus (ici en bas),
Si siez lez moi (près de moi) en cet abri. »

Il lui annonce une paix générale entre les animaux, en vertu d'un bref du roi. Quand l'autre l'avertit que les deux chiens approchent Ils pourraient bien, dit le renard, n'avoir pas connaissance du bref royal,

et il part.

«Ne sai s'ils ont le brief oui
Qui vint dou Roi... >>

FABLE XVI. Le Corbeau voulant imiter l'Aigle. Esop., 207, 3; Gorrozet, 69; Verdizotti, Cento favole bellissime, 1661,

fab. LXVII.

La fable indienne est différente. Les personnages sont la grue et l'épervier. « Une grue, citoyenne des bords d'un lac, y vivait des insectes qu'elle y trouvait en abondance. Un jour elle aperçut

1. Dans la Colombière, 1583, in 12, p. 54, verso.

un épervier qui, après avoir donné la chasse à une perdrix, l'avait prise et la dévorait. « Cet épervier, dit en elle-même la « grue, fait sa nourriture des oiseaux les plus délicats, et moi qui « l'emporte sur lui par la force et par la grandeur, je me contente « de vils insectes. Je veux suivre son exemple. » La grue, après ce beau monologue, aperçoit une perdrix qui, d'un vol léger, rasait la surface de l'eau. Elle veut fondre sur cette proie; mais la pesanteur de son corps l'entraîne; elle tombe sur les bords du lac, qui étaient très-fangeux; ses pattes s'enfoncent dans le limon, elle fait de vains efforts pour s'en tirer. Un berger, qui était aux environs, prend l'oiseau, l'encage et le porte à ses enfants. »

Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.

Ce trait final est dans Bidpay et n'est pas dans Ésope. Avant La Fontaine, Corrozet et Verdizotti l'avaient appliqué à la fable ésopique. Voici les derniers vers de la fable LXIXx de Corrozet :

Lors ung pasteur, qui veid cette folie,
Accourt bien tost, puis le prend et le lie,
Les esles couppe, et sans aultre desbat

A ses enfants le baille pour esbat.

Et Verdizotti termine de même sa fable de l'Aquila e il Corvo :

Ai Fanciulletti suoi per giuoco il diede.

Corrozet a introduit aussi dans sa fable un corbeau au lieu d'un geai qui se trouve dans celle d'Ésope: il a encore été imité à cet égard par Verdizotti. La Fontaine, qui a suivi son exemple, paraît plutôt avoir emprunté cette fable à Corrozet et à Verdizotti qu'à Ésope.

Le dernier vers de la moralité :

Où la guêpe a passé le moucheron demeure,

présente une image bien souvent exprimée:

Sic tenues retinent bibulos et parvula tela,
Dumque volat, grandis frangit asylus eas.
PHILELPH., fab. xvIII.

LE LÉGISTE.

Homme, que fais-tu dans ce bois?

Au moins, parle à moi, se tu daignes.

L'HERMITE.

Je regarde ces fils d'iraignes
Qui sont semblables à vos droicts.
Grosses mouches en tous endroicts
Y passent; menues y sont prises :
Pauvres gens sont subjects aux loix,
Et les grands en font à leurs guises.
P. GROSNET.

« Or ça, nos loix sont comme toiles d'araignes: or ça, les simples moucherons et petits papillons y sont prins; or ça, les gros taons malfaisans les rompent, or ça, et passent à travers. » RABELAIS, liv. V, ch. XII.

FABLE XVII. Le Paon se plaignant à Junon. Phæd., III, 48. Il faut comparer à cette fable la fable de Lessing: Jupiter et le Cheval.

« Père des animaux et des hommes, dit le cheval en s'approchant du trône de Jupiter, on prétend que je suis une des plus belles créatures dont tu as orné le monde, et mon amourpropre m'oblige à le croire. Toutefois, n'y aurait-il pas en moi différentes choses encore à corriger?

Et que penses-tu donc qu'on pût corriger en toi? Parle; j'accepte la leçon, dit le dieu dans sa bonté, et il sourit.

— Peut-être, continua le cheval, serais-je plus vite à la course, si mes jambes étaient plus hautes et plus effilées; un long cou de cygne ne me déparerait pas; une plus large poitrine augmenterait ma force; et puisque enfin tu m'as destiné à porter l'homme, ton favori, la nature pourrait bien me donner ellemême la selle que, par bienveillance, le cavalier met sur mon dos.

Bien, répliqua Jupiter; patiente un instant! » Jupiter, d'un visage sérieux, prononça le mot de la création. La vie alors jaillit au sein de la poussière; il y eut combinaison de matière organisée, et tout à coup se dressa, devant le trône du dieu, le hideux chameau.

A cette vue le cheval frissonna et trembla d'horreur et d'é

pouvante.

« Voici des jambes plus hautes et plus effilées, dit Jupiter; voici un long cou de cygne, une plus large poitrine, une selle donnée par la nature! Veux-tu, cheval, que je te métamorphose ainsi? »

Le cheval tremblait encore.

« Va, continua Jupiter; la leçon, cette fois, sera exempte de châtiment. Mais pour exciter parfois en toi un souvenir repentant de ta témérité, continue de subsister, toi, nouvelle créature (Jupiter, en parlant ainsi, jetait sur le chameau un regard de conservation), et que le cheval ne te voie jamais sans frémir! »

FABLE XVIII. La Chatte métamorphosee en Femme. Æsop., 172, 48.

Nous avons dit, dans notre étude sur la Fable, que cette idée d'une chatte métamorphosée en femme avait paru peu acceptable aux fabulistes du moyen âge et en particulier à Marie de France, et l'on a vu comme elle s'était permis de modifier l'anecdote. La même vérité générale a, de plus, inspiré un grand nombre d'apologues, et Marie de France notamment a écrit la jolie fable du Prêtre qui enseigne au Loup l'alphabet, laquelle montre également la force du naturel, et prouve que « les loups vieillissent dans la peau où ils sont nés. » Le digne prêtre instruit le loup et veut le convertir aux bonnes doctrines. Le loup se laisse faire assez docilement. « A, B, C, » dit le prêtre indiquant les lettres. « A, B, C, » répète le loup après son précepteur. « Maintenant dites seul,» reprend celui-ci. Le loup essaye d'épeler : « A, fait-il, Agneau, Agneau. » Ce qui est dans la pensée vient toujours aux lèvres.

Voyez encore, dans notre étude générale, la fable de l'Autour et du petit Busard.

FABLE XIX. Le Lion et l'Ane chassant. Phædr., II, 11; 130, 99.

Esop.,

L'Ysopet de 1333 raconte spirituellement la chasse du lion et de l'âne; le lion dit à l'âne :

« Tais-toi, Bernart;

Bien en as desservi ta part. >>

Dont cuida Bernart l'oreillu,
Le fol, le lourd et le pelu,

Pour le braire qu'il avoit fait

Que pour égal au lion estoit.

Le lion dit, comme celui de La Fontaine :

Je meismes paour éusse

De toy, se je ne te cognusse.

Une autre fable analogue à celle-ci, mais qui contient une leçon un peu différente, se trouve dans les Latin Stories of the thirteenth and fourteenth centuries, publiées par M. Wright, p. 50, Fabula de Columbis et duce:

L'épervier a ravi une colombe et l'a dévorée. Les autres colombes tiennent conseil pour savoir à qui elles se plaindront. << Allons nous plaindre au grand-duc, disent-elles. C'est un oiseau grave et sévère, à la tête grosse, aux grandes ailes : il doit être bon justicier. » Elles vont trouver le grand-duc et lui exposent comment leur compagne a été enlevée. Leur plainte entendue, le grand-duc, avec un son caverneux, répond : « Clock! » d'un air imposant. « Quelle voix tonnante! s'écrient les colombes; à coup sûr il ne fera qu'un coup de bec de l'épervier! » Elles s'en retournent donc enchantées. Mais voilà l'épervier qui revient et qui dérobe une autre colombe. Les colombes revolent vers le grand-duc, disant : « Fais-nous justice! Clock!» répond le grand - duc non moins solennellement que la première fois. << Comme il est en colère! s'écrient les colombes; certes il nous rendra bonne justice. » Une troisième colombe devient bientôt la victime de l'épervier rapace. Les colombes reviennent demander vengeance, et la même réponse : « Clock!» leur est faite. « Qu'est-ce que signifie cet éternel clock? disent les colombes; cet animal est un sot et un trompeur! » Et, irritées, elles se mettent à poursuivre et insulter le grand-duc, qui est obligé de s'aller cacher dans quelque crevasse de muraille ou de rocher. Et chaque fois qu'il se montre pendant le jour, tous les oiseaux qui ont appris des colombes leur aventure font comme elles et houspillent le prétendu justicier. La fière attitude, les belles paroles, quand elles ne sont pas suivies d'actes qui justifient l'attente qu'elles font naître, n'inspirent pas longtemps le respect.

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