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blée est un concile œcuménique que l'on a tenu à Rome. Les souris y ont été au nombre de plus de deux mille. Les nation's ont délibéré chacune à part. La Calabre a proposé ainsi ; ainsi la Pouille. Toute l'affaire a été menée avec la plus grande prudence et la plus grande discrétion. Aussi tous les membres de l'assemblée s'en retournent-ils chez eux très-satisfaits de la besogne qu'ils ont faite et parfaitement rassurés sur l'avenir. Une vieille souris, infirme et boiteuse, qui n'a pu assister au concile, dissipe leur illusion. Elle s'informe à celles qui en reviennent de ce qu'on a fait à Rome. Les autres lui racontent comment tout s'est bien et solennellement passé, et lui disent la conclusion à laquelle on s'est arrêté en dernier lieu. « Et qui attachera la clochette?» demande la vieille souris. Les autres ne savent que répondre. « Alors, rien n'est fait, » dit-elle.

FABLE III. Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe. Phæd., I, 10.

Diogène Laërce, dans la vie de Diogène le Cynique, raconte que celui-ci entendit un jour la plainte réciproque de deux avocats et les condamna tous deux, disant que l'un avait dérobé ce dont il s'agissait et que l'autre ne l'avait pas perdu. Philippe de Macédoine, d'après Plutarque, sur le différend de deux coquins qui s'entr'accusaient de plusieurs crimes, en bannit un et condamna l'autre à suivre le banni hors du royaume. Tout cela est contestable en bonne justice, et La Fontaine ne se l'est pas dissimulé.

L'Ysopet de 1333 n'a pas admis la décision contradictoire du singe. Renard attaque le lièvre (non plus le loup) en justice, et l'accuse de lui avoir volé une geline, une poule. Il demande contre lui le combat judiciaire.

En jugement son genou ploie,

Contre le lièvre tend son gaige.

Mais le lièvre discute, en juriste consommé, les cas où l'on peut être admis à demander le champ clos, et prouve que tel n'est pas le cas présent. Le singe le renvoie des fins de la plainte et déboute Renard, en se fondant sur ses antécédents et sur sa mauvaise renommée. Il n'y a plus de bon mot; il n'y a plus que l'idée assez comique de Renard réclamant la bataille contre le

lièvre et le bon exemple d'un jugement fort sagement rendu en faveur des gens paisibles et de bonne vie.

FABLE IV. Les deux Taureaux et la Grenouille. Phæd., I, 30.

FABLE V. La Chauve-souris et les deux Belettes. Æsop, 109, 125. Nous avons, dans notre étude générale, cité la même fable, telle qu'elle se trouve dans le recueil des Avadânas, et nous avons fait ressortir le caractère de cette version indo-chinoise.

La moralité égoïste et trop prudente de la fable de La Fontaine a été vivement critiquée. L'exemple de la chauve-souris n'est pas propre, en effet, à former de bons citoyens. Il pourrait même, les circonstances étant données, produire non-seulement des indifférents et des sceptiques, mais des renégats et des traîtres. Dans les Ysopets, il s'agit toujours d'une grande guerre entre les oiseaux et les quadrupèdes; la chauve-souris prend tour à tour l'un et l'autre parti, selon qu'elle suppose que la victoire se prononcera d'un côté ou de l'autre. Mais on s'aperçoit de cette conduite déloyale:

Quand sa fausseté est scéue

Et des deux parts apercéue,

Chascun la het, n'en doutez mie,

Et refuse sa compaignie.

Elle demeure honnie des deux espèces, et c'est pourquoi elle n'ose plus sortir qu'au crépuscule, quand oiseaux et quadrupèdes reposent déjà. On est loin alors de l'indifférence épicurienne de La Fontaine.

FABLE VI. L'Oiseau percé d'une flèche. Esop., 133.

FABLE VII. La Lice et sa Compagne. Phædr., I, 19.

FABLE VIII. L'Aigle et l'Escarbot. Vie d'Esope, p. 79 de l'édit. de Nevelet, et Æsop., fab. 223.

FABLE IX. Le Lion et le Moucheron. Esop., 149, 249.

On peut comparer à la fable de La Fontaine celle de Pantaleo Candidus, dont voici la traduction:

1

1. Weiss, ministre protestant allemand, né en 1540, mort en 1608, dont

« Le moucheron aborda un jour le lion. « Je n'ai pas peur de « toi, lui dit-il. D'où te vient ta renommée ? Est-ce parce que tu « déchires sans pitié les pauvres animaux avec tes ongles? Mais « c'est ce que font les femmes en colère quand elles chamaillent << avec leurs maris. Je veux, moi, te montrer ma force. Allons, vite « au combat! » Il dit, et sonnant la charge avec son bourdonnement qui imite les sons rauques de la trompette guerrière, il attaque son adversaire et entre dans ses naseaux. Le lion, frémissant de fureur, se déchire de ses griffes et ensanglante sa face et ses naseaux. Le moucheron, triomphant, sonne la victoire et s'envole dans les airs. Mais l'imprudent ne voit pas les fils ténus d'une petite araignée et s'y trouve pris. Près de mourir, il s'écrie: «Hélas! quelle infortune est la mienne, le vainqueur du lion « est la proie de l'araignée. » L'accident le plus léger fait échouer les plus grands desseins. >>

Cette fable avait été, bien antérieurement à Pantaleo Candidus, considérablement modifiée par le moyen âge. Les trouvères ont substitué au moucheron un taon et au lion un taureau; et puis le combat n'a même pas lieu. Après la provocation du taon, le taureau se présente pour la lutte, soufflant, creusant du pied le sol et « faisant grande tempeste. » Le taon dit alors que cela suffit à son triomphe, puisqu'il est traité en égal par le taureau. Toute l'assistance se moque de celui-ci ; et la conclusion, c'est que les puissants ne doivent pas entrer en querelle avec les petits, puisqu'ils ne sauraient y acquérir d'hon

neur.

La variante de Lessing mérite aussi d'être signalée. Un jeune moucheron, tout fier de sa vaillance, rencontre un lion qui, fatigué de la chasse, s'est couché et endormi. « Frères, s'écrie-t-il, je vais le punir, le tyran! » Il s'abat sur la queue du roi des animaux, la pique de son aiguillon et fuit d'un vol rapide. Le lion ne bouge pas. Le moucheron en tire avantage et proclame que son adversaire est mort. Il entonne un chant de victoire, au milieu duquel le lion, reposé, se réveille et reprend tranquillement sa chasse, sans se douter des prouesses du moucheron.

les fables, d'une latinité élégante, se trouvent dans les Delicia poetarum germanorum, tome II, Francfort, 1612.

258.

FABLE X. L'Ane chargé d'éponges et l'Ane chargé de sel. Æsop.,

« J'amenerai seulement le témoignage du sage Thalès, le plus ancien des sept, qui fut fort aise d'avoir découvert et affiné la ruse d'un mulet: car il y avoit une troupe de mulets qui portoient du sel de lieu à autres, entre lesquels un en passant une rivière tomba par cas fortuit dedans l'eau : le sel aiant été trempé dedans l'eau se fondit pour la plupart, de manière que le mulet se relevant se trouva fort allegé de sa charge, et en comprit aussi tost la cause, qu'il imprima bien en sa mémoire, tellement que toutes et quantesfois qu'il passoit la rivière, il se baissoit expressément, et trempoit les vaisseaux où estoit contenu le sel qu'il portoit, en se couchant tout de son long sur un costé et puis sur l'autre. Thalès, aiant entendu sa malice, commanda au muletier qu'au lieu de sel on luy emplist ses vaisseaux d'autant pesant de laine et d'esponges, et qu'on les luy chargeast sur le dos, et qu'on le chassast quand et les autres; il ne faillit pas à faire comme il avoit accoustumé, et aiant rempli ses vaisseaux et sa charge d'eau, il connut que sa ruse luy estoit dommageable, de manière que de là en avant il se tint debout, et se donna bien garde qu'en passant la rivière ses vaisseaux ne touchassent pas seulement au dessus de l'eau, non pas mesme malgré luy. »

PLUTARQUE, traduit par Amyot: Quels animaux sont les plus

advisez.

FABLE XI. Le Lion et le Rat. Esop., 221, 98.

Dans la Pantcha-Tantra, il s'agit, non d'un lion, mais d'un éléphant délivré de ses liens par un rat.

1

On sait avec quelle gentillesse Clément Marot a traité cette fable dans son épître à Lyon Jamet; 1 combien il y a prodigué de gaieté et de malice! Tous les détails sont charmants. Lorsque le lion, par exemple, a trouvé moyen, par ongles et par dents, de rompre la ratière:

Lors maître rat échappe vitement,

Puis, met à terre un genouil gentement,

1. Voyez, dans la Collection des chefs-d'œuvre de la littérature française, les OEuvres choisies de Marot, publiées par M. Ch. d'Héricault, page 37.

Et, en ôtant son bonnet de la tête,

A mercié mille fois la grand'bête,
Jurant le dieu des souris et des rats

Qu'il lui rendra.

Quand le lion est pris à son tour, et que le rat, reconnaissant, va lui faire ses offres de service, la grand'bête ouvre ses grands yeux et, les tournant un peu vers son chétif allié, lui dit avec pitié: « Va te cacher, que le chat ne te voie! »

Mais le fils de souris ne tient compte de ce dédain:

« Secouru m'as fort lyonneusement,
Or secouru seras rateusement... >>
Lors sire rat va commencer à mordre
Ce gros lien vrai est qu'il y songea
Assez longtemps. Mais il vous le rongea
Souvent et tant, qu'à la parfin tout rompt.

Vrai est qu'il y songea, n'est-il pas d'un naturel exquis? Il y aurait à signaler chaque trait dans cet apologue que La Fontaine aura sans doute désespéré de surpasser.

FABLE XII. La Colombe et la Fourmi. Esop., 41, 118.

FABLE XIII. L'Astrologue qui se laisse tomber dans un puits. Esop., 169, 19.

Cette dissertation sur l'astrologie judiciaire n'était pas aussi hors de propos, du temps de La Fontaine, qu'elle nous le paraît à présent. Alors les astrologues avaient encore un certain crédit, et dans le plan qu'il avait formé d'attaquer sous le voile de l'apologue toutes les sottises humaines, La Fontaine ne pouvait guère se dispenser de parler de celle-là, dont notre siècle ne connaît plus que le nom.

FABLE XIV. Le Lièvre et les Grenouilles. Æsop., 57, 89, 153. - Ugobardi Sulmonensis, 28.

Les deux premiers vers de la fable d'Ugobardus peuvent donner une idée de son style brusque et haché :

Silva sonat, fugiunt lepores, palus obviat hærent;

Fit mora, respiciunt ante retroque, timent

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